L’accès à la justice constitutionnelle Algérienne
(2e partie et fin)
Par Kamel Fenniche (*)
Président du Conseil Constitutionnel
VIII: Analyse des conditions de fond de l’article 8 de la loi organique 18/16: L’article 8 de la loi organique prévoit trois conditions pour procéder à la transmission de l’exception ‘inconstitutionnalité
– Première condition: la disposition législative contenue détermine l’issue du litige ou constitue le fondement des poursuites.
– La notion de dispositions législatives. Qu’est-ce qu’une disposition législative l’article 188 de la Constitution algérienne ne répond pas directement à cette question. En France le Conseil constitutionnel dans une décision du 25 juillet 2004 C.C. 2004-500 D.C ajoute au critère matériel posé en 1958, que la loi soit « normative» c’est-à-dire qu’elle prescrive qu’elle oblige ou qu’elle interdise. Au final, il est possible de répondre qu’il s’agit d’un texte adopté par le Parlement en vue de créer une règle de droit. 2eme condition : La disposition législative n’a pas déjà été déclarée conforme à la constitution par le Conseil
constitutionnel sauf changement de circonstances. A mon avis l’objectif de ce critère est d’éviter de juger deux fois la même affaire : si le Conseil s’est prononcé sur une disposition législative par le passé, il est normal que cette décision fasse autorité et que les demandeurs ne puissent plus contester la disposition en cause. Ce critère du précédent connaît une exception posée par la loi organique qui précise que le Conseil pourra juger à nouveau une disposition législative en cas de changement de circonstances. Cette exception permet aux parties de contester une disposition législative déjà jugée si les circonstances ont changé depuis la première décision du Conseil constitutionnel. Par exemple le cas d’un nouveau principe constitutionnel. A vrai dire le changement de circonstances concerne à la fois le changement du fait et le changement de droit.
– Le changement de fait: Le contentieux de l’exception d’inconstitutionnalité est un contentieux abstrait, c’est-à-dire détaché des faits de l’espèce, puisque la question est soulevée par les parties à l’occasion d’un contentieux concret, mais les faits ne conditionnent pas l’appréciation de l’exception d’inconstitutionnalité’. Le Conseil se prononce sur la constitutionnalité d’une disposition législative.
– Le changement de droit: A mon avis le changement de droit correspond mieux à la logique de l’exception d’inconstitutionnalité car il affecte l’environnement juridique de l’exception d’inconstitutionnalité et qui permet un réexamen de la disposition législative en cause. Il peut s’agir d’un changement constitutionnel, comme il peut s’agir également d’un changement jurisprudentiel. Si le Conseil constitutionnel a fait évoluer sa jurisprudence, et cette évolution peut justifier une deuxième décision. A noter que dans tous les cas, les difficultés pour les parties, sera de prouver la réalité du changement de circonstances, qu’il soit de fait ou de droit.
3eme Condition: le moyen soulevé présente un caractère sérieux: Dernier critère de recevabilité, l’article 8 de la loi organique du 2 septembre 2018 exige que la question posée devant le juge du fond « ne soit pas dépourvue de caractère sérieux ». Il s’agit la de la volonté du législateur organique de renforcer le contrôle de l’exception d’inconstitutionnalité. Mais qu’est-ce que le critère du moyen sérieux exige par l’article 8 de la loi organique. En principe le mémoire distinct ‘exigé également par l’article 8 de la loi organique, doit motiver en quoi la disposition législative méconnaît les droits et libertés que la Constitution garantit. Le grief invoqué dans le mémoire doit être appuyé par une argumentation cohérente, pour permettre aux juges du fond d’apprécier le moyen invoqué devant eux. La pratique a démontré que les hautes juridictions françaises
(Conseil d’Etat, Cour de Cassation) apprécient différemment le caractère sérieux, le Conseil d’Etat estime qu’un doute raisonnable suffit par contre la Cour de Cassation estime que le doute doit être manifeste. IX :Procédure applicable devant le Conseil d’Etat et la Cour suprême: L’article 13: Dans un délai de deux (2) mois à compter de la réception de la transmission prévue à l’article 9 de la présente loi organique, la Cour Suprême ou le Conseil d’Etat se prononce sur le renvoi de l’exception d’inconstitutionnalité au Conseil constitutionnel. II est procédé à ce renvoi lorsque les conditions prévues à l’article 8 de la présente loi organique sont réunies.
L’article 14:
Lorsque l’exception d’inconstitutionnalité est soulevée directement devant la Cour Suprême ou le Conseil d’Etat, la juridiction concernée doit se prononcer par priorité sur son renvoi devant le Conseil Constitutionnel, dans le délai prévu à l’article 13 ci-dessus.
L’article 15:
Le premier président de la Cour suprême ou le président du Conseil d’Etat sont destinataires de la décision de transmettre l’exception d’inconstitutionnalité prévue à l’article 9 de la présente loi organique. Ils avisent immédiatement le Procureur général ou le Commissaire d’Etat, afin qu’ils fassent connaître leurs avis. Les parties sont mises à même de présenter observations écrites.
L’article 16:
L’arrêt de la Cour suprême ou du Conseil d’Etat est rendu par une formation présidée par le président de chaque juridiction et, en cas d’empêchement, par le vice-président et composée du président de la chambre concernée et de trois (3) conseillers désignés, selon le cas, par le premier président de la Cour suprême ou le président du Conseil d’Etat.
L’article 17:
La décision motivée de la Cour suprême ou du Conseil d’Etat de renvoyer l’exception devant le Conseil constitutionnel est transmise à ce dernier avec les mémoires et les conclusions des parties
L’article18:
En cas de renvoi de l’exception d’inconstitutionnalité au Conseil constitutionnel, la Cour suprême ou le Conseil d’Etat sursoit à statuer, jusqu’à ce qu’il se soit prononcé, sur l’exception, sauf lorsque l’intéressé est privé de liberté à raison de l’instance ou lorsque l’instance a pour objet de mettre fin à une mesure privative de liberté ou lorsque la loi prévoit qu’il doit statuer dans un délai déterminé ou en urgence.
L’article 19:
La décision de la Cour suprême ou du Conseil d’Etat est communiquée à la juridiction qui a transmis l’exception d’inconstitutionnalité et notifiée aux parties dans les dix (10) jours de son prononcé.
L’article 20:
Si la Cour suprême ou le Conseil d’Etat ne s’est pas prononcé dans le délai prévu à l’article 13 ci-dessus, l’exception est renvoyée d’office au Conseil constitutionnel. X:Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
L’article 21 :
Le Conseil constitutionnel, saisi en application des dispositions de l’article 188 de la Constitution, informe immédiatement le Président de la République. Il informe également, le Président du Conseil de la Nation, le président de l’Assemblée Populaire
Nationale et le Premier ministre. Ceux-ci peuvent adresser au Conseil constitutionnel leurs observations sur l’exception d’inconstitutionnalité qui leur est soumise.
L’article 22:
L’audience du Conseil constitutionnel est publique, sauf dans les cas exceptionnels définis par le règlement fixant les règles de son fonctionnement. Les parties, représentées par leurs avocats, ainsi que le représentant du Gouvernement, sont mises à même de présenter contradictoirement leurs observations.
L’article 23:
Lorsque le Conseil Constitutionnel a été saisi de l’exception d’inconstitutionnalité, l’extinction, pour quelque cause que ce soit, de l’action à l’occasion de laquelle l’exception d’inconstitutionnalité a été soulevée est sans conséquence sur l’examen de l’exception.
L’article 24:
La décision du Conseil Constitutionnel est notifiée à la Cour suprême ou au Conseil d’Etat pour informer la juridiction devant laquelle l’exception d’inconstitutionnalité a été soulevée. Conclusion: Même si la fonction la plus importante du juge constitutionnel est le contrôle
de la constitutionnalité des lois, il existe également d’autres fonctions prévues par la Constitution. Il est ainsi juge des traités, accords ou conventions, qui permet de justifier un contrôle de la constitutionnalité au moins avant que l’État se soit définitivement engagé. Le juge constitutionnel parle au nom de la constitution et est en quelque sorte «la bouche de la constitution »ses décisions et avis s’imposent à l’ensemble des pouvoirs publics et aux autorités administratives et juridictionnelles. Or, actuellement le développement de la justice constitutionnelle pose le problème de l’articulation entre le droit constitutionnel national et le droit international ce dernier a vocation à acquérir une autorité supralégislative et infraconstitutionnelle. D’autre part, les atteintes aux libertés individuelles ou aux droits-garanties trouverons souvent leur justification dans ces autres exigences constitutionnelles que sont le caractère indispensable de l’impôt et la lutte contre
la fraude et l’évasion fiscale.Les procédures juridictionnelles permettent d’assurer un contrôle aussi complet que possible de la constitutionnalité des divers actes de l’Etat.
Actuellement le juge constitutionnel domine de plus en plus la vie juridique et politique. Cette omniprésence des problèmes de constitutionnalité donne au juriste un nouveau champ de réflexion: comment transformer l’art d’interpréter et d’appliquer
la constitution en une science aussi précise que possible afin de démocratie et respect du droit continuent de se conforter mutuellement.
Par Kamel Fenniche
(*) Président du Conseil Constitutionnel