1er Novembre 1954 : la nuit du destin
En choisissant la date du 1er novembre, qui coïncidait avec la fête de la Toussaint chez les Français, pour déclencher l’insurrection armée, les dirigeants du FLN – ou le «Comité des neuf» – entamaient déjà la guerre psychologique contre l’ennemi. Mais, pour le reste, il n’y avait aucune instruction obligeant les combattants à mener leurs premières actions à une heure précise. Ce qui explique que beaucoup de régions n’ont pas connu d’attentats conséquents dès le premier jour. L’essentiel pour les moudjahidine était de donner le coup d’envoi à la lutte et d’adresser à la même occasion un appel au peuple algérien pour l’inciter à y adhérer en masse.
Si on exceptait les Aurès, toutes les autres régions ont quelque peu trainé la patte avant de se lancer pleinement dans l’action armée, pour diverses raisons, qui tiennent souvent de la logistique ou d’un manque d’encadrement.
Mostefa Benboulaïd fut sans doute le seul chef de la Révolution à pouvoir aligner, dès le premier jour, près de 400 combattants, sans compter les «bandits d’honneurs» comme Grine Belgacem qui l’ont suivi dans sa zone. C’est pourquoi, le retentissement de l’insurrection y était plus marquant. Et c’est grâce à un armement de qualité, estimé à une bonne centaine de fusils italiens Statti datant de la Seconde Guerre mondiale, que les moudjahidine de la future Wilaya I ont pu donner des frayeurs à l’armée coloniale et la déstabiliser pendant au moins deux ans, avant la grande discorde qui va considérablement affaiblir ce premier fief de la Révolution. Avec une série d’attentats et d’actions de sabotage d’envergure à travers toute la région (de Khenchela à Biskra, en passant par le mont Chelia), les Aurès montrait la voie aux autres zones.
Pourtant, historiquement, les premiers groupes constitués pour enclencher le processus était ceux de l’Algérois. C’est, en effet, dans la Mitidja que, sans doute, les premières actions ont eu lieu. Dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre, deux groupes composés de quelques dizaines d’hommes s’apprêtaient à attaquer deux casernes de l’armée françaises à Boufarik et à Blida. Dans cette dernière ville, le groupe était sous la conduite de Rabah Bitat lui-même, chef de la IV. Il est à la tête d’une petite vingtaine d’hommes, venus essentiellement de Kabylie après la défection tardive de la plupart des militants locaux qui s’étaient engagés au départ pour mener des actions. Nonobstant ces désagréments, aggravés par le manque d’armes – selon des témoignages, ils ne disposaient ce jour-là en tout et pour tout que de deux armes à feu – les combattants ont pu s’introduire dans la dite caserne et réussi à récupérer un important lot d’armes, avant de se replier rapidement.
A Boufarik, le second groupe conduit par Amar Ouamrane, ancien adjoint de Krim Belkacem et chef opérationnel de la zone IV, souffrait des mêmes lacunes. Il avait comme mission principale, lui aussi, de récupérer des armes, avec la complicité d’un soldat algérien de faction, qui n’est autre que le frère de Lakhdar Bentobbal. L’Histoire retiendra que c’est le groupe de Boufarik, avec un Souidani Boudjemaa pour seconder Ouamrane, qui lancera la première action militaire digne de ce nom dans la guerre qui commence. Il s’agit des premières actions spectaculaires : des bombes artisanales posées sur la route Blida-Boufarik et sur la voie ferrée Alger-Oran. Cela s’est passé exactement à 23h 45. C’est-à-dire un quart d’heure avant l’heure « H ». Ce qui a fait dire à certains historiens que la guerre de Libération nationale a commencé, non pas le 1er novembre, mais le 31 octobre.
Dans l’Algérois, pourtant, il y eut plusieurs opérations déclenchées dans l’intérieur de la région et qui ont eu un certain succès. On peut citer, à titre d’exemple, l’incendie d’une coopérative d’agrumes et d’une usine de transformation de l’alfa dans les environs de Blida. D’autres actions ont connu moins de succès, comme les attaques prévues contre l’usine à gaz de l’EGA (Electricité et gaz d’Algérie), un dépôt d’hydrocarbures sur le port et l’immeuble de la radio, qui ont été bien attaquées, mais n’ont subi que des dommages très légers, en raison sans doute de l’impréparation et, encore une fois, d’un manque d’encadrement et d’armement.
En Oranie, la situation était encore plus complexe. Le premier responsable, Larbi Ben M’Hidi, secondé par Abdelhafid Boussouf et Ramdane Abdelmalek, tous originaires de l’Est du pays, ne disposaient, pour toute la région, que d’une soixantaine de combattants et d’une dizaine d’armes de guerre. Dans ces conditions, il leur était quasiment impossible d’envisager des attaques d’envergure, comme ce fut le cas dans les Aurès ou dans l’Algérois. Mais, des attaques ont été tout de même menées, ne serait-ce que pour marquer symboliquement l’événement. Ainsi, quelques fermes, un transformateur, une gendarmerie et une mairie furent notamment ciblés par les moudjahidines de la première heure, même si les dégâts déplorés par l’ennemi étaient minimes.
Pour les mêmes raisons invoquées plus haut, la région du Nord-Constantinois (zone II) n’a pas connu d’actions plus retentissantes en cette nuit du 1er novembre. Didouche Mourad et ses compagnons durent alors se contenter de lancer quelques attaques sans envergure dans les campagnes, en épargnant ce jour-là le chef-lieu de la zone.
En somme, le bilan de nuit du 1er novembre apparaît assez maigre, voire décevant pour certains dirigeants qui ambitionnaient de déstabiliser dès le premier jour l’état-major de l’armée ennemie. Les historiens les plus objectifs ont recensé une centaine d’attentats (de faible ou moyenne envergure) en une trentaine de lieux. S’agissant des pertes dans les rangs de l’ennemi, le bilan fait état de seulement dix morts. Mais c’est surtout les très faibles quantités d’armes récupérées qui ont le plus déçu les moudjahidines, parce que c’était pour eux, à ce moment-là, une priorité absolue. Cela dit, pour eux, le vrai succès c’est d’avoir proclamé la lutte armée, d’avoir «allumé la mèche» selon l’expression de Didouche Mourad, en attaquant simultanément des cibles coloniales sur un front qui s’étend à 1 500 kilomètres, avec si peu de moyens et un nombre de combattants si limité. Un défi qui est loin d’être mince.
In Memoria