60ème ANNIVERSAIRE DE LA COMMEMORATION 17 OCTOBRE 1961 A PARIS
« 17 OCTOBRE 1961 MASSACRES QU’ON VEUT OCCULTER »
RATTONADES DANS LES RUES DE PARIS
« UN CRIME D’ETAT LE SANG DES ALGERIENS SUR LA SEINE »
(*) Dr Boudjemâa HAICHOUR
Répondant à l’invitation du Dr Abdellaziz Belaïd, Président du Parti El Moustakbal à participer au 60ème Anniversaire de la Commémoration du « 17 Octobre 1961 à Paris », organisée au Palais de la Culture-Alger, j’ai l’insigne honneur de remercier les organisateurs d’avoir inscrit dans leur programme d’activités, cette manifestation à caractère mémoriel qui rappelle le rôle joué par la Fédération FLN de France durant la guerre de libération nationale.
Cette célébration intervient à un moment où le Président Macron, je ne sais si c’est pour des raison électoralistes où pour séduire tantôt l’extrême droite tantôt l’extrême gauche, s’emploie à oublier volontairement ou non, que l’Algérie est une Nation plusieurs fois millénaire bien avant des siècles lorsque la Gaule se cherchait une origine généalogique. En ce jour anniversaire des massacres du 17 Octobre 1961 à Paris, des centaines d’Algériens tués noyés charriés dans les eaux de la Seine.
Macron va-t-il adresser un discours à l’occasion pour témoigner de la nécessité de comprendre ce qui est vérité historique lorsqu’il s’agit de la question de la mémoire ? Le 17 Octobre est l’occasion d’avancer sur ce conflit mémoriel en s’inclinant sur tous victimes des massacres, que nombreux considèrent comme étant un crime d’Etat, mais ce qui est attendu comme l’ont fait d’autres Nation, c’est la repentance ou les excuses du peuple algérien, ami du peuple français. Ce 17 Octobre 1961 fut un jour tragique car Papon, Préfet de police de Paris avait donné carte blanche à ses policiers pour massacrer. Des milliers d’arrestations dont un grand nombre furent reconduites en Algérie. Chaque 17 0ctobre, les peuples algérien et français se souviennent des massacres perpétrés contre la communauté algérienne vivant en France et en Europe lorsque la Seine charriant les cadavres d’Algériens devenait rouge de sang. Leur tort était d’avoir manifesté pacifiquement dans les rues de Paris.
Dans la nuit du Souvenir, à travers les émotions et les peines, nous allons revisiter l’Histoire à la source même de ce qui nous fait agir, penser ou croire. Loin des passions, la jeune génération veut découvrir les vérités d’une tranche de vie de l’histoire où l’horreur, la peur, la misère et la douleur s’y rencontraient sans cesse. Le plus grave c’est d’accepter et de vouloir l’oublier. Ce jour-là, Papon avait déployé un important dispositif de forces de l’ordre. Les Algériens sont sortis avec des slogans soigneusement étudiés : « A bas les mesures racistes » « A bas les internements » «Libérez nos ministres». La Fédération FLN de France avait donné des consignes pour ne pas répondre à la provocation.
UNE HISTOIRE MACULEE DE SANG QUI TOURNE AU DRAME
Des corps d’ouvriers algériens gisaient à la surface de la Seine. Jean-Luc Einaudi parle de plus de 200 morts dans son livre « La Bataille de Paris, 17 0ctobre 1961 » sans compter les disparus. Le « film Octobre à Paris » a été tourné à chaud par Jacques Panijel membre du Comité Maurice Audin.
Une manifestation pacifique un certain 17 Octobre 1961, plus de 20.000 Algériens descendus dans les rues de Paris, se sont vu tabassés et jetés dans la Seine par celui qui fut impliqué dans les persécutions massives contre les minorités raciales ou religieuses, je veux parler de Maurice Papon.
Ce dernier est rendu coupable de tout ce que la conscience universelle considère comme une atteinte à la dignité humaine et par conséquent condamné par les Hautes Cours de justice. Déjà le 24 octobre 1941, il fut directement lié à l’affaire des 50 otages fusillés à Bordeaux, considérés comme des résistants contre le nazisme.
C’est également sous son autorité que des centaines de juifs de tous âges internés au camp de Mérignac, furent déportés de 1942 à 1944 à Drancy et moururent exterminés dans les camps dont 81 enfants. Son procès a été intenté par une dizaine d’associations où les plaignants ont mis en exergue son implication dans les affres touchant aux droits de l’homme.
DES BORDS DU RHUMMEL AUX BORDS DE LA SEINE
Les habitants de Constantine se souviennent des atrocités de Maurice Papon qui a entrepris une véritable chasse à l’homme quand il a été préfet en 1949 et Igame dans le département de Constantine, sorte de préfet régional de 1956 à 1958 avant de rejoindre ses fonctions de préfet de police de Paris sur recommandation du ministre de la Défense de l’époque Maurice Bourgès-Maunoury. Des DOP (Détachements opérationnels de Protection) sorte de cellules spécialisées qui servaient dans l’investigation et les interrogatoires). Il y avait également les Centres de renseignement et d’action (CRA) des bords du Rhumel qu’il reprendra à Paris alors préfet de police (1958/1967) sous le nom de « Service de coordination des affaires algériennes ».
Les Algériens ont connu les triques, les noyades et les ratonnades, moyens illégaux condamnés moralement. On leur a fait subir la pratique systématique de la torture par les forces de police auxiliaires commandées par le capitaine Raymond Montanier sur les bords et dans les eaux de la Seine. Ces méthodes furent dénoncées par la presse de l’époque. Il faut dire que les événements qui ont eu lieu à Paris en Octobre 1961 ont permis d’ouvrir les négociations entre le GPRA et le gouvernement français le 20 mai 1961. Deux rapports issus de deux enquêtes initiées en 1998 par la gauche au pouvoir, celui de la commission ordonnée par JP Chevènement « Le rapport Mandelkern» en consultant les archives de la police et celle d’Elisabeth Guigou dirigé par Jean Géronimi le «Rapport Géromini» sur la base des archives judiciaires.
En 1961, Paulette Péju fut mandatée par le FLN pour rédiger le récit détaillé des événements d’Octobre publié chez Maspero sous le titre les Ratonnades d’Octobre rapidement interdit à la vente. En 1985, Michel Levine publie son livre sous le titre « Les ratonnades d’Octobre un meurtre collectif à Paris » précédé d’un roman de l’écrivain Didier Daenick « Meurtres pour Mémoire ». En 1986 Ali Haroun publie son ouvrage intitulé La 7ème Wilaya-la guerre du FLN en France 1954/1962 à Casbah éditions. En 1991 paraît « La bataille de Paris » de Jean-Luc Einaudi qualifié de travail remarquable par Jim House et Neil Mac Master, sans oublier « le reportage photos » publié par Anne Tristan sous le titre « Le Silence du Fleuve » et « le documentaire britannique » produit par la TV de Philip Broders et Alan Haylong diffusé le 2/03/1993 par France 3.
UN CRIME D’ETAT ET LE CONFLIT MEMORIEL ALGERO-FRANÇAIS
Beaucoup d’historiens ont travaillé sur le 17 Octobre 1961 qui feront ressortir la répression policière qui fut féroce et d’une extrême violence, causant des centaines de morts (voir l’éditorial d’Hervé Bourges pour Témoignage Chrétien, les photos d’Elie Kagan et l’article américain «La Seine charriant les cadavres algériens». Olivier Le Cour Grandmaison publie dans l’édition dispute 2001 «Le 17 Octobre 1961: un crime d’Etat à Paris» (éditions La Dispute 2001). En Octobre 2001, le maire de Paris, le socialiste Bertrand Delanoë, inaugure la plaque commémorative sur le pont Saint-Michel. En Octobre 2003, la mairesse de Nanterre, député-maire Mme Jacqueline Fraysse rejoint la même initiative, en dévoilant une plaque commémorative aux abords de la Seine en mémoire des victimes, avec un appel aux autorités françaises de reconnaître les crimes du colonialisme et assumer enfin le passé colonial.
En mai 2005, le geste de l’ambassadeur de France en Algérie, M.Hubert Colin de la Verdière qui s’est déplacé à Sétif pour se recueillir à la mémoire des massacres du 8-Mai 1945. Pourquoi la France officielle tarde à reconnaître ses crimes comme l’ont fait d’autres Etats à l’égard des peuples qui les ont colonisés ? Il serait impensable qu’on puisse parler d’une mission civilisatrice du colonialisme et d’en glorifier ses actes génocidaires par la loi du 23 Février 2005. La proposition de loi présentée par un groupe de députés algériens qui a été déposée, n’invente en rien de ce que d’autres nations ont demandé, c’est-à-dire les excuses pour les crimes et les massacres commis par le colonialisme. Le devoir de mémoire nous rappelle toujours cette longue nuit coloniale et contre la culture de l’oubli.
La France a un devoir de vérité et on ne peut falsifier l’Histoire ni l’occulter car elle doit être assumée sans passion ni haine, avec raison et sagesse. Le regard vers l’avenir des générations passe par la reconnaissance des faits historiques coloniaux. Cette évocation intervient à un moment où l’Algérie entame les élections locales de l’Algérie nouvelle que le Président Tebboune avait inscrit dans son programme de campagne, étape où des réformes politiques et institutionnelles annoncées pour consolider les assises de la démocratie participative se fraient le chemin de l’alternance dans la gouvernance locale.
60 ans après, les douleurs restent vivaces. Entre l’Algérie et la France, le contentieux de l’Histoire reste à assumer de part et d’autre de la Méditerranée. La reconnaissance des crimes commis par le colonialisme ne peut être comprise, comme une humiliation d’autant que d’autres peuples sont allés à la repentance. On peut citer l’exemple de l’Allemagne qui a reconnu ses torts causés au peuple français durant la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, la proposition de loi présentée par un groupe de députés algériens n’invente en rien de ce qui se passe chez d’autres nations. L’interprétation de certains articles des Accords d’Evian n’entrave en rien à ce que la reconnaissance et pourquoi pas la repentance se fasse comme ce fut le cas pour la torture reconnue par la France officielle.
UNE REPENTANCE QUI GLORIFIE LA FRANCE DES LUMIERES
C’est de cette repentance que se glorifiera la France des Lumières comme l’avait grandie la Révolution de 1789. C’est à cette condition et seulement cette condition que nous aurons cette communion vers une coopération fructueuse et mutuellement bénéfique entre la France et l’Algérie, loin du « syndrome du paradis perdu ». Notre émigration est à sa quatrième génération. Les problèmes sont tout à fait différents de ceux leurs aînés. Il en ressort de ces rencontres que notre communauté est partie prenante de tout ce qui se passe dans le pays. Son attachement à la Patrie est viscéral et de plus en plus, les jeunes générations veulent contribuer par tous les moyens à la vie de leur pays.
LES AMNISTIES ONT BLANCHI LES CRIMES DE LA COLONISATION
Des discussions riches et des questions pertinentes que les membres de la communauté m’ont posées, postulent à l’idée d’une stratégie à mettre en œuvre quant à sa place dans le pays d’accueil et dans leur pays. Notre communauté vivant à l’étranger a la place qui lui est sienne dans son pays d’origine et en tant que diaspora elle peut jouer un rôle prépondérant également dans le pays d’accueil, afin d’infléchir sur le cours des événements, notamment dans les échéances électorales.
Est-il venu le moment de préparer les assises sur l’émigration par la mise en place d’une stratégie prenant en charge les préoccupations de notre communauté nationale à l’étranger, sa participation sur le sol d’accueil et dans le pays d’origine ? Il est nécessaire en ce mois d’octobre 2021, de continuer à développer un dialogue sur les deux rives de la Méditerranée dans une géopolitique de plus en plus complexe.
En vue de parvenir à un climat de solidarité, de complémentarité et de prospérité partagées, l’acte politique de la reconnaissance des actes touchant aux droits et à la dignité de l’homme que la colonisation a fait subir aux peuples colonisés doit être reconnu. Le processus qui permet à l’historien d’écrire une histoire raisonnée du passé, doit tirer les leçons où la mémoire n’est ni l’oubli, ni l’entretien de la rancune. Car le récit national du 17 Octobre 1961 ne peut pas effacer les séquelles de ce drame de cette période douloureuse.
Le Président Macron qui a instruit l’historien Benjamin Stora à lui présenter un « Rapport sur le conflit mémoriel Franco-Algérien » lui a remis des préconisations appelées à être discutées avec la partie algérienne pour aboutir à une réelle convergence sur ces aspects liés à la mémoire. En ce jour souvenir des massacres perpétrés contre la communauté algérienne, nous nous inclinons à la mémoire de tous nos Chouhadas. Puisse la France officielle tirer les leçons en vue d’aller vers les excuses et la repentance qui la glorifieront en tant que pays des droits de l’homme dans une réelle réconciliation entre les peuples des deux rives de la Méditerranée dans une prospérité partagée.
(*) Dr Boudjemâa HAICHOUR Chercheur Universitaire
1-Linda Amiri : « La bataille de France, la guerre d’Algérie en Métropole » Le Grand livre du mois, 2004.
2- Raphaëlle Branche/SylvieThenault : « La France en guerre (1954/1962) Paris édition Autrement 2008.
3 –Sylvie Thenault : « Histoire de la guerre d’indépendance algérienne » Flammarion 2005.
4- J.P Brunet : « Police contre FLN, le drame d’Octobre 1961 » Flammarion 1999.
5- Jean Luc Einaudi : « La bataille de Paris, 17 Octobre 1961 », Paris Seuil 1991.
6-Jean. Luc Eunaudi : « Octobre 1961, massacre à Paris » Paris Fayard 2001.
7- Ali Haroun : « La 7ème Wilaya- la guerre du FLN en France » Paris éditions du Seuil 1986.
8- Jim House/ Neil Macmaster : « Paris 1961, les Algériens, la terreur d’Etat et la mémoire, Paris, Tallandier, 2008.
9- Leïla Sebbar : « La Seine était rouge », Paris Octobre 1961 Roman T. Magnier 2003.
10- Stora Benjamin : « La Gangrène et l’Oubli – la Mémoire de la guerre d’Algérie », la Découverte Paris 1991.
11- Paulette Péju : « Ratonnades à Paris » La Découverte 2000.