Abdelhamid Ibn Badis : Un homme
à la grande humanité
Abdelhamid Ben Badis est né le 4 décembre 1889 à Constantine. Il était issu d’une ancienne famille de la ville connue pour ses origines berbères. Il signait ses premiers articles du nom de Sanhadji, réclamant ainsi son appartenance à cette célèbre tribu berbère. Il fut très jeune initié à la connaissance de l’Islam. Il aurait été influencé dès son jeune âge par les enseignements diffusés par les disciples du savant Abd el Kader El Medjaoui.
En 1908, il part parfaire sa formation à la mosquée Zitouna de Tunis. Il fut au contact de nombreux savants musulmans qui lui permirent de s’initier à la littérature et à l’histoire. Le monde musulman vivait alors un grand bouillonnement d’idées, marqué notamment par le mouvement d’idées inspiré des premiers salafistes et où Djamal Eddine El Afghani joua un rôle essentiel. Ce dernier préconisait le réveil du monde musulman et la lutte contre les pays du monde occidental qui dominaient les peuples de l’Islam. Son disciple Mohammed Abdou avait une position moins radicale et restait plus en retrait sur la question politique. Pour ce dernier, la voie de la renaissance du monde musulman résidait dans la renaissance spirituelle. Il eut une grande influence sur beaucoup d’intellectuels algériens qui considéraient que la priorité résidait dans la purification de l’Islam en le débarrassant des hérésies et des croyances rétrogrades qui empruntaient au paganisme. Ben Badis en fut profondément marqué et trouva une source d’inspiration.
De retour en Algérie, il enseigna quelque temps à Constantine avent de partir pour le Moyen Orient. Après avoir accompli le pèlerinage, il résida un temps à Médine puis se rendit en Syrie et sur le chemin du retour il s’arrêta à la mosquée Al Azhar du Caire. En 1913, il est à Constantine où il développe son enseignement de l’Islam.
De son rapprochement avec quelques intellectuels musulmans avec qui il partageait les mêmes idées sur la renaissance du monde musulman allait naître l’idée de créer une association des oulamas : Bachir El Ibrahimi, Tayeb El Okbi, Mbarek El Mili.
Ibn Badis partait d’une préoccupation simple : comment le peuple algérien pouvait accéder à l’indépendance ? Il avait la conviction que cela deviendrait possible si celui-ci avait une profonde conscience nationale. Pour lui, la fermeté de la volonté d’indépendance découlait d’un fort sentiment d’appartenance à une communauté propre disposant d’une identité affirmée. La tâche des intellectuels musulmans était pour lui bien claire. Il leur fallait œuvrer pour enraciner au sein des Algériens l’idée que ceux-ci appartenaient à une communauté qui avait sa propre histoire, ses propres valeurs, sa culture spécifique. Les tentatives d’assimilation du pouvoir colonial étaientle plus grand obstacle qui était sur la route de l’indépendance. Ben Badis fit de l’appartenance à l’Islam une composante essentielle de cette identité algérienne qu’il cherchait à inculquer. Mais cet Islam de libération devait être celui de la science et de la tolérance qui combat les hérésies et les croyances rétrogrades. L’Islam que lui et ses compagnons prêchèrent fut celui de la bonté, de la tolérance, cherchant à persuader et jamais à contraindre. A aucun moment il ne poussa au repli des Musulmans sur eux-mêmes ni au rejet des populations d’autres confessions. En toutes circonstances, il appela au respect de toutes les croyances, même dans les moments les plus durs de la répression coloniale. Il condamna fermement les pratiques rétrogrades de certains Algériens qu’il estimait d’inspiration païenne et contraires au vrai message de la religion. Avec lui, l’Islam fut un ferment de l’unité nationale. Le sentiment national qui se développa grandement à partir des années 1920, se nourrit de l’influence des multiples cercles et associations à caractère culturel, sportif, humanitaire où les partisans des oulamas jouèrent des rôles importants. Ibn Badis et ses compagnons ne poussèrent à aucun moment à la violence et à la haine contre les populations d’autres confessions. Ils préconisèrent la tolérance et à la coexistence. Jamais la violence vécue par les Algériens ne fut utilisée pour justifier la haine ou l’appel à la révolte.
Sur le plan politique, Abdelhamid Ibn Badis eut une position claire : dans ses statuts, l’association des oulamas affirmait clairement : « toute discussion politique ainsi que d’ailleurs toute intervention dans une question politique est rigoureusement interdite. » Ibn Badis considérait que les clivages politiques étaient normaux mais risques de divisions et de inévitables. L’Islam ne devait pas servir à renforcer un individu ou un groupe contre un autre. Ibn Badis montra la voie très tôt en œuvrant pour le rapprochement des différentes composantes du mouvement national autour des revendications communes d’égalité. C’est lui qui affirmait dans son appel du 3 janvier 1936 : « Il est indispensable qu’un congrès se réunisse de toute urgence dans la capitale ou ailleurs et qu’un large débat soit constitué et clôturé par la formule fixant pour toujours, du point de vue politique, le sort de six millions d’êtres humains qui sont tantôt considérés comme Français, sans jouir des droits afférents à cette qualité, tantôt traités en étrangers dans leur propre pays. »
En avril 1936, était publiée dans Al Chihab sa fameuse déclaration : « Cette nation algérienne et musulmanen’est pas la France. Elle ne saurait être la France. Elle ne veut pas devenir la France. Elle ne pourrait pas devenir la France même si elle le voulait. Elle est même une nation très éloignée de la France par sa langue, par ses mœurs, par sa religion et elle ne veut pas s’y intégrer. »
A partir de 1936, Ibn Badis prend des positions de plus en plus radicales. Cette année-là, il fit partie de la délégation qui se rendit à Paris pour présenter la liste de revendications de représentants du mouvement national. Le discours qu’il prononça à Alger, au retour des délégués maqua une date importante dans la radicalisation du mouvement national. En 1937, il se prononce ouvertement contre les naturalisations des Algériens à la nationalité française. La même année il lance un appel aux élus algériens des différentes assemblées pour leur demander de s’en retirer tant que l’égalité entre les communautés n’était pas reconnue. Le 29 août 1937, le deuxième Congrès Musulman qui regroupe toutes les composantes du mouvement national reprend son appel.
Ben Badis décède à Constantine le 16 avril 1940.
In Memoria