Ahmed Benzelikha, Président du Comité National Algérien Mémoire du Monde, à l’UNESCO à La Patrie-news
« L’inspiration vient de cette belle terre d’Algérie »
Linguiste, financier et spécialiste en communication, diplômé des universités de Constantine et de Montpellier, Ahmed Benzelikha est écrivain aussi. Dans cette interview, il parle de ses romans, de ses passions, de ses inspirations.
Propos recueillis par
Adila Katia
La Patrie-news : Quel a été le déclic qui vous a poussé à écrire ?
Ahmed Benzelikha : J’écris depuis 2004, après avoir d’abord pratiqué l’écriture journalistique depuis 1990. Je ne sais pas si on peut parler de déclic, tant l’écriture est un long processus de maturation. Je me souviens que, jeune, mon professeur d’espagnol, Abdallah Hamadi, par ailleurs spécialiste du réalisme magique sud-américain, m’avait dit une fois qu’on n’écrit vraiment qu’après l’âge de quarante ans. Je crois qu’il avait raison, l’écriture est une somme d’expériences, de connaissances et de réflexions, qui s’acquièrent avec le temps et l’intelligence de vouloir comprendre, et non pas expliquer, ce qui nous entoure et ce qui est en nous.
Il y a aussi par ailleurs la motivation d’écrire, qui, elle, se puise dans les convictions individuelles. Pour ma part il y avait la motivation de partager, dans mes essais, les savoirs que j’ai pu acquérir, grâce à ceux qui m’ont formé et ma pratique dans mes domaines de spécialisation en communication, en digital et dans les finances. Ainsi, par exemple, mon ouvrage « Presse Algérienne Éditoriaux et Démocratie », a pu servir à beaucoup de thèses et mémoires universitaires et à la recherche en général, je suis d’ailleurs reconnaissant aux Professeurs comme Paul Siblot ou Ahcene Djaballah d’avoir contribué à la référentialisation de ce livre. Pour mes ouvrages romanesques, la motivation première était de proposer des romans à thèse, sans sacrifier pour autant la passion du récit, qui puisse faire valoir les positions de notre pays, par exemple historiques et anticolonialistes. Dans le roman « La Fontaine de Sidi-Hassan » consacré à la résistance algérienne, ou pour le dialogue des civilisations et des religions et la sauvegarde des valeurs universelles, comme dans les livres de « La Roqya de Cervantès » et d’ « Elias-la nouvelle Odyssée » ou de dénonciation d’une mondialisation déshumanisante et aliénante via le néolibéralisme, le numérique et les guerres cybernétiques, pour le roman « Les Dupes ».
En ayant, à chaque fois à l’esprit, l’exigence de hisser haut l’étendard littéraire de notre pays, car les grands pays comme le nôtre, ont toujours quelque chose à exprimer de par leur histoire multiséculaire, la grandeur de leur combat libérateur, les valeurs auxquelles ils croient et les principes qu’ils défendent, en dépit de la fausseté, du nivellement par le bas, du mercantilisme, de la veulerie et de la médiocrité, promues par les forces négatives.
Vos personnages vivent des aventures, vous éveillez la curiosité du lecteur, en mêlant actualité et un retour à travers le temps. Un moment pour se poser et se rappeler la mythologie grecque ainsi que l’histoire du pays, passé et présent. Votre plume nous mène loin. D’où vient l’inspiration ?
L’inspiration vient d’abord de cette terre, de son humus populaire, du génie de cette belle terre d’Algérie, comme avait tenu à me le dire notre regretté Mostafa Lacheraf au cours d’une rencontre qui restera mémorable pour moi. Pour le reste c’est la curiosité intellectuelle, l’organisation méthodique et, bien sûr, la culture et la réflexion. Il faut aussi des capacités et des compétences, pour pouvoir proposer des produits littéraires de qualité, tant sur le plan de la forme que du fond, où l’imagination n’exclue pas la rigueur, où l’esthétique se conjugue avec la pertinence et où, aussi, l’humanisme n’est pas dupe des rapports économiques et des enjeux de pouvoir qui mènent le monde. L’imaginaire n’est pas en fait ce monde étrange et étranger, que certains se plaisent à voir comme une évasion délassante, mais bel et bien la projection de la confrontation de notre conscience au monde réel.
En plus d’être essayiste et romancier, je vous découvre poète. En général, les auteurs commencent par un recueil de poésie avant que leurs plumes ne s’aventurent sur les chantiers littéraires, pouvez-vous nous parler de « L’Esquif des Mots » ?
Peut-être que je suis un auteur atypique ? En fait, je vous répondrai qu’il y a poésie et poésie, comme il y a le vrai et le faux, la personne brillante et l’individu médiocre. La poésie est, de ce point de vue, un exercice difficile, parce qu’elle commande l’au-delà des mots. Vous connaissez, sans doute, le « Barzahk », cet espace-temps intermédiaire entre la vie et l’éternité, la poésie s’inscrit dans cet espace indéfini, de même que « L’Esquif des mots », qui est d’abord un voyage métaphysique, entre deux mondes, à partir d’une rencontre à B’chilga du côté de M’sila, où j’ai travaillé plusieurs années, où deux disciples l’un irakien et l’autre suisse mélangent leurs mots devant un mystérieux cheikh qui pourrait bien être Sidi Benbouziane, Sidi Alaoui, Sidi Hadjres ou Sidi Zerzour.
« L’Esquif des mots » revient à l’essentiel, à ce que nous sommes véritablement, à cette éternelle essence humaine que nous partageons et non pas à ce que nous voulons faire croire qu’on est à travers nos illusions et, pour certains, à travers leurs mensonges et leurs compromissions. Les mots qui démontrent d’abord la capacité à nommer depuis l’apprentissage d’Adam, sont le véritable esquif des hommes.
Quel est votre regard, sur l’actualité en tant que fin analyste et aussi celui de l’homme de Culture ?
Nous vivons une situation internationale de grande recomposition, dans laquelle l’Algérie a, sans doute, un rôle-pivot à jouer et qu’elle entend, grâce à sa volonté politique, sa force et son union jouer. De grands succès ont d’ailleurs été enregistrés sur ce plan, d’autres viendront indubitablement, pour le reste nos convictions exhortent chacun de nous d’aller vers les belles actions et qu’en cela se concurrencent les compétiteurs au service de la patrie et du peuple.
Je crois profondément que l’Algérie relèvera tous les défis, sur tous les fronts, grâce à la volonté et aux convictions de ses hommes et femmes, dignes héritiers de la génération de Novembre 1954 et fidèles au serment de nos glorieux martyrs. D’énormes potentialités sont à notre disposition, avec des opportunités historiques, il s’agit de continuer sur la même lancée et surtout de se faire confiance les uns aux autres, pour renforcer les fondations qui sont en train d’être posées avec sérieux et sincérité pour aller de l’avant, dans le même élan rassembleur.
Quant à la culture, elle est à revivifier et à semer dans les âmes, les esprits et les comportements car elle est le gage de l’authenticité, la voie des idéaux, l’ennemi de l’ignorance et de la petitesse, le socle des valeurs et un levier puissant pour l’essor des nations, la science et la culture sont deux sœurs jumelles que l’éducation élève.
Une société cultivée est une société consciente de sa valeur. En outre, la culture permet la diversité sans l’adversité et empêche la radicalité, elle renforce le discernement et construit le jugement autour de la réflexion et non autour de l’égoïsme et des préjugés. Nous n’avons aujourd’hui malheureusement qu’une pâle copie de l’idéal culturel, formatée autour des réseaux sociaux, de la manipulation médiatique, du sensationnel, des loisirs et des jeux où les foules se pressent autour de clowns et se font disperser par des bateleurs. C’est d’ailleurs le monde que je décris dans « Les Dupes ».
A l’inverse de ce que veulent faire croire ses adversaires matérialistes et cyniques, qui cherchent à la confiner aux « hobbies« , la culture n’est ni un signe de faiblesse, ni un élément accessoire ou une coquetterie intellectuelle, elle est un axe autour duquel peut se révéler la qualité des personnes et des sociétés et donc de l’organisation des actions de celles-ci et surtout de leurs résultats. Tant, aujourd’hui, les résultats et le type d’hommes qui en sont à l’origine sont le vrai visage de tout système. Ce que les théories managériales évoquent sous la forme du schéma des « inputs » et des « outputs ».
Cela devient une habitude pour moi mais quels conseils donneriez-vous à cette nouvelle génération, un peu perdue comme Elias qui décide de tout abandonner et tenter l’aventure ?
De croire en eux-mêmes et en leurs capacités à bâtir, côte à côte, sans relâche, le présent et l’avenir de leur pays, de tenter la vraie aventure : celle de vivre heureux et épanouis sur cette terre riche, gorgée de bienfaits, généreuse et si prometteuse du Nord au Sud et d’Est en Ouest, aujourd’hui et demain. La meilleure des terres car la nôtre, celle de nos ancêtres et celle de nos enfants. De comprendre aussi les enjeux de notre époque et d’être pénétrés du sens du devoir et du sacrifice, car nulle existence n’est exempte d’efforts et de lutte. Il faut vaincre le pessimisme, contourner les obstacles, compter d’abord sur soi et saisir chaque opportunité, entreprendre, créer, innover et s’affirmer, pour construire sa vie, quant à l’environnement il ne peut que s’améliorer grâce aux efforts conjugués de tous et à une gouvernance de qualité. A ce titre pourquoi ne pas penser à deux grands départements ministériels, pour des actions d’envergure, l’un de la Mer et l’autre du Sahara et des hauts plateaux, tant ces deux espaces clés sont porteurs d’extraordinaires potentiels socio-économiques pour la jeunesse.
Vous êtes non seulement écrivain mais aussi cadre supérieur avec un profil polyvalent en communication, en finances, en administration et en sciences du langage, vous avez été directeur d’établissement financier, journaliste-enseignant universitaire, président à l’Unesco, quel domaine vous parle le plus ?
Je dirais que tous les domaines me parlent, car tous m’ont permis sur plus de trente ans, d’abord de servir mon pays et ma société, ensuite m’ont donné à mieux comprendre les choses à travers différents angles et modes de traitement avec rigueur et objectivité. Dans le monde complexe où nous vivons, cette polyvalence est certainement nécessaire, quant à l’écriture elle permet de donner du sens à ce qui nous entoure, à le structurer en discours et les discours mènent aujourd’hui le monde, nous le voyons à travers les médias et le cyberespace, au centre des enjeux et des défis de l’ère nouvelle qui s’annonce.