Ahmed Zeghdar, ministre de l’Industrie à La Patrie news
« Stabilité du cadre juridique de l’investissement pendant au moins dix ans »
Dans cette interview, qu’il a accordée à la Patrie news, Ahmed Zeghdar parle, sans retenue et sans rétention, des grands dossiers pris en main par le département de l’Industrie, qu’il dirige. Il a parlé du projet de la loi sur l’investissement, actuellement examiné par la commission compétente de la chambre basse du Parlement, des projets d’investissements débloqués, des entreprises publiques relancées, des conditions posées aux potentiels investisseurs dans la filière automobile, de la gouvernance des entités économiques étatiques…
Propos recueillis par S. Biskri
La Patrie news : Le projet de loi sur l’investissement a été transmis à l’APN pour examen. Quelles sont ses principales orientations et dispositions ?
Le ministre de l’Industrie Ahmed Zeghdar : Comme vous venez de le dire, le projet de loi sur l’investissement, adopté par le président de la République en Conseil des ministres, est en cours d’examen par les députés. Il est fondé sur la liberté d’investissement et aussi sur la transparence et l’égalité des chances des investisseurs grâce à l’assouplissement des procédures administratives dans le traitement des dossiers. L’un des points essentiels de ce projet est la stabilité du cadre juridique, qui reste en vigueur pendant au moins dix ans, sachant que les lois de 2001 et 2016, qui changeaient au gré des lois de finances. Le chef de l’Etat a donné des assurances aux investisseurs, qu’ils soient algériens ou étrangers.
Ce projet de loi vise le développement des régions des Hauts-Plateaux, du sud et du Grand sud, dans l’optique de réaliser des équilibres régionaux en matière d’investissement. Il donne, en outre, plus d’envergure à certains organismes, dont l’ANDI (Agence nationale de développement de l’investissement, ndlr), qui devient Agence algérienne de l’investissement. Elle change de nom pour mieux mettre en valeur les potentialités du pays et conférer plus de visibilité à l’Agence, à l’étranger.
Par ailleurs, ce projet de loi institue, pour la première fois, un Guichet unique dédié aux grands investissements, dont la valeur dépasse les deux milliards de dinars, et aux investissements étrangers. Il fixe clairement les prérogatives du Conseil national de l’investissement (CNI), qui interférait, auparavant, dans l’élaboration et la planification des investissements. Désormais dans le cadre de la nouvelle loi, le CNI esquisse des stratégies d’investissement sans droit de regard sur les conventions et les accords.
La détermination des priorités en matière de mesures incitatives est dévolue au Guichet unique, qui sera placé sous l’autorité du Premier ministre. Le chef de l’Etat lui a donné ce caractère distinctif pour un traitement rapide des dossiers d’investissement. Les représentants des organismes et des ministères au sein du Guichet unique ont les pleins pouvoirs de décision. Il en sera de même pour les guichets uniques décentralisés dans les wilayas. Une plateforme numérique, que nous concevons en coordination avec le ministère de la Poste et des télécommunications et celui des Start-ups, sera accessibles aux investisseurs, qui y déposeront leurs dossiers et obtiendront automatiquement les agréments. Les autres autorisations, tel que le permis de construire, sont délivrés dans des délais fixes. Cette plateforme contiendra toutes les informations utiles, dont les disponibilités en foncier industriel et touristique (superficies et localisation dans toutes les wilayas).
Autre disposition importante du projet de loi sur l’investissement porte sur les secteurs prioritaires. La sécurité alimentaire est menacée dans le monde. Nous avons donné, en conséquence, la priorité de l’investissement dans le secteur de l’agriculture, mais aussi dans l’Industrie pharmaceutique, l’industrie chimique, et dans le tourisme en raison du potentiel du pays. Les secteurs prioritaires et les mesures incitatives changent de région en région, en prenant en considération la durée de la réalisation et de l’exploitation. A titre d’exemple, les délais de réalisation sont de 5 ans dans le sud et de 3+1 dans les villes du nord.
Ce sont là les principaux axes du projet de loi sur l’investissement. Nous avons déjà préparé les projets de textes règlementaires, sur instruction du président de la République. Ils sont au niveau du Premier ministre pour validation. L’arsenal juridique sera en vigueur dès l’adoption du projet de loi sur l’investissement par l’Assemblée populaire nationale et le Conseil de la nation.
Les visites marathoniennes du président de la République dans plusieurs pays a donné une visibilité au marché algérien, qui capte l’intérêt des investisseurs étrangers. Les échos, qui nous parviennent représentations diplomatiques en Algérie, le confirment. Cette loi sur l’investissement contribuera à la relance économique pour les prochaines années.
En amont de la préparation du projet de loi sur l’investissement, des entraves ont été levées sur des centaines de projets bloqués. Quelles étaient les contraintes ? Quel est le retentissement sur la création des richesses et de l’emploi ?
Lors de la Conférence nationale sur la relance de l’industrie, les orientations du président de la République étaient franches et claires : lever toutes les entraves sur les projets bloqués. Nous avons présenté, dans l’urgence, une feuille de route, qui a été adoptée en Réunion du gouvernement et en Conseil des ministres. Nous avons procédé immédiatement au recensement des projets à l’arrêt. En décembre 2021, nous avons comptabilisé 402 projets bloqués. Après l’implication de neuf départements ministériels (les finances, l’intérieur et des Collectivités locale, l’environnement, l’habitat, les travaux publics…) au sein d’une commission nationale que le ministère de l’Industrie préside et le Médiateur de la République, nous avons recensé 915 entreprises confrontées à des obstacles. Aussitôt, le président de la République a adressé aux walis l’instruction n°3, les exhortant à lever les contraintes sur l’investissement. Jusqu’à présent, 867 agréments ont été accordés et plus de 602 entreprises sont en service. Ce qui a conduit à la création de 35 000 postes d’emploi permanents, avec la perspective de les porter à 52 000 emplois en un laps de temps court. Nous effectuons des sorties de terrain dans toutes les wilayas pour encourager ces entreprises à lancer leurs activités.
Nous poursuivons l’opération de recensement des entreprises en phase de création. Jusqu’à présent, nous avons répertorié 746 sociétés, qui sont à 50% de taux d’avancement. Nous les accompagnons dans les procédures, ne pas rééditer l’expérience des projets restés à l’arrêt pendant dix ans à 20 ans, parce qu’ils ont été implantés sur des terres agricoles ou n’ont pas respectés les conditions liées aux superficies du foncier industriel…. Dernièrement, j’ai visité dans la wilaya d’Ouargla, une grande entreprise de fabrication des panneaux solaires. Une première à l’échelle du continent africain. Elle emploie 300 salariés.
Vous avez pris en charge un autre dossier important, celui du foncier industriel inexploité. Ou en est l’opération d’assainissement ?
Comme l’a dit le Premier ministre : « le foncier industriel est destiné à celui qui investit ». Nous constatons, depuis des années, des pratiques négatives. Des opérateurs requièrent du foncier industriel pour investir et d’autre pour spéculer et surenchérir sur son prix. Sur instruction du Premier ministre, nous avons fait un inventaire du foncier industriel inexploité. A ce jour, nous avons récupéré, à l’amiable ou par voie de justice, 2311 hectares, au niveau national. Beaucoup de dossiers sont en suspens dans les tribunaux. Nous avons l’intention de restituer toutes les parcelles inexploitées et les mettre à la disposition de l’Agence algérienne de l’investissement. L’opération n’est pas circonscrite aux fonciers industriels et touristiques dans les zones d’activités. Il nous a été demandé, en coordination avec le ministre de l’Intérieur, des Collectivités locales et de l’Aménagement du territoire de procéder à un inventaire de l’ensemble du foncier industriel non exploité, y compris par les grandes entreprises publiques. Dans les zones d’activités de Reghaïa et Rouiba, des sociétés disposent de 40 hectares alors qu’elles n’occupent que 10 hectares. Ces parcelles seront restituées pour pouvoir les attribuer à de nouveaux investisseurs, qui généreront des richesses et des emplois.
Des entreprises publiques étaient à l’arrêt à cause de difficultés financières. Une démarche a été engagée pour les relancer. Pouvez-vous nous faire un point de la situation ?
Dans le cadre du plan d’action du gouvernement, nous avons fait un état des lieux sur les entreprises publiques à l’arrêt pour des raisons économiques et financières. Nous avons recensé 51 entreprises en difficultés. Nous nous sommes attelés à lever les obstacles afin de les relancer de manière effective. Aujourd’hui 15 entreprises ont redémarré. D’ici la fin de l’année, 29 autres seront remises en activités. Je vous donne l’exemple du groupe Agrodiv, à Blida qui était à l’arrêt depuis plus de 20 ans. Il a repris ses activités et emploie actuellement 180 salariés.
A Jijel Africaver, spécialisée dans la fabrication du verre a été reprise, ainsi que l’unité des graines oléagineuses (ex-Nutris appartenant aux frères Kouninef en détention, ndlr) grâce à un partenariat entre le groupe Madar et Agrodiv. L’usine de levure de Bochekouf, à Guelma, qui ne fonctionnait pas à cause de sa localisation dans une zone d’habitation, s’est reconvertie dans la production de pâtes sans gluten. Ce qui a permis de faire des économies sur leur importation. Une usine dédiée aux levures sera construite à Oran. Une société de recyclage des composants des ordinateurs a été également relancée à Sidi Bel Abbes. Des entreprises de construction navale à Bouharoun et le complexe sidérurgique d’El Hadjar, qui connaissaient des contraintes financières, ont été aussi relancées. Nous visons la préservation des emplois et la création de nouveaux.
Nous prenons en compte, en coordination avec les administrateurs judiciaires, aussi les entreprises saisies par décisions de justice. Les dossiers ont été traités par le CNI. Les entités ont été affectés aux secteurs concernés par leur types d’activités, comme l’habitat, le tourisme, les travaux publics. L’industrie gère trois entreprises. La récupération de l’usine Kotama à Jijel revêt un caractère stratégique, car elle nous permet d’atteindre l’autosuffisance pour la consommation locale de l’huile de table. Nous avons encore certes quelques problèmes à aplanir avec les partenaires étrangers, en ce qui concerne les équipements importés.
Il y a aussi l’entreprise publique «El Mahroussa » pour la production des huiles alimentaire qui a redémarré. Une nouvelle ligne de production sera inaugurée, à la fin du mois à l’occasion du 60ème anniversaire de l’indépendance. Cela nous permettra de couvrir 25% de la consommation locale. Nous augmenterons ainsi les capacités de production nationale. Une unité à Oran, chargée de fabrication des pipelines et qui sera transférée à Sonatrach. Nous avons ressuscité entièrement certaines entreprises.
Dans les prochaines semaines, des dossiers de grandes entreprises suspendues seront étudiés. Nous créerons de nouvelles unités après la condamnation définitives de ces sociétés confisquées.
L’un des objectifs de votre département et de porter la contribution de l’Industrie de 10 à 15% du PIB. Qu’en est-il ?
Le président de la République a effectivement évoqué cet objectif lors de la Conférence nationale sur la relance industrielle. L’industrie contribuait à hauteur de 6% au PIB. Sur la foi des derniers rapports, le secteur public a enregistré une dynamique de 18% comparativement à l’année précédente, laquelle a enregistré un ralentissement économique. Nous nous échinons à transcender une conjoncture économique mondiale défavorable. Les hausses sans commune mesure des prix des matières premières et des frais de transports ont empêché certaines activités industrielles de réaliser des taux de croissance élevés. Nous prévoyons un taux de 10% à la fin de l’année. Les efforts conjugués du secteur privé, qui constitue 85% du tissu économique national (1,3 millions de grandes, moyennes et petites entreprises), des entreprises publiques et de l’Etat qui a débloqué 866 projets d’investissement et relancé 29 entreprises à l’arrêt, entrent dans cette stratégie.
Nous projetons, en outre, de baisser les importations et de porter la valeur des exportations de 5 à 7 milliards de dollars. Nous donnons la primauté à la filière agricole, spécifiquement la transformation alimentaire, qui n’est pas suffisamment développée, eu égard aux grandes potentialités de la production agricole. Nous comptons arrimer l’industrie à l’agriculture, secteur prioritaire. La branche de la mécanique est très importante. Elle est appelée à connaitre une dynamique après finalisation des cahiers de charge par segment d’activités.
Le dossier de l’Industrie automobile est épineux. De quelle manière vous le gérez ?
C’est un dossier qui nous tient à cœur, car nous voulons construire une vraie industrie de l’automobile. Les sommes colossales dépensées en 2013 -plus de 12 milliards de dollars- est un crime contre le pays et contre le Trésor public. Avec cet argent, nous aurions pu drainer les plus grands constructeurs automobiles. Deux milliards de dollars nous aurait permis d’acheter une chaine de production complète. Néanmoins, l’investissement a été réduit au gonflage des pneus.
A présent, nous nous n’inscrivons plus dans une démarche d’urgence. Nous prônons des solutions rationnelles et durables, pour ne plus commettre les mêmes erreurs. L’Algérie possède des capacités immenses et un marché attractif pour les plus grands constructeurs automobiles. La nouvelle loi sur l’investissement enclenchera le redémarrage de cette industrie.
Tout citoyen veut acquérir un véhicule neuf. C’est légitime, mais à quel prix. Nous souhaitons que les prix soit abordables aux consommateurs algériens. Au-demeurant, les pouvoirs publics n’ont pas interdit, aux particuliers, d’acheter des véhicules de l’étranger. Chaque mois, 2000 à 3000 véhicules neufs sont importés, avec un pic de 10000 voitures de différentes marques en janvier 2022. Le marché est ouvert à tout citoyen. Le gel de l’importation touche uniquement les concessionnaires, afin d’éviter une saignée des devises. Je vous le dis, néanmoins : les cahiers de charge, pour toutes les spécialités et branches, sont en phase d’élaboration par les services compétents. Nous sommes en négociations avancées avec des entreprises étrangères, les incitant à investir en Algérie et à recourir à la sous-traitance locale, car des sociétés algériennes fabriquent des pneus, des batteries, les câbles…. Il n’est plus question d’autoriser le montage des véhicules et le gonflage des pneus, même si nous sommes conscients qu’il n’est pas possible de fabriquer localement des moteurs, soumis à des brevets.
Le but est d’arriver progressivement à un taux d’intégration de 30% au minimum dans la filière automobile. Puisque l’Algérie a ratifié la Convention relative à la zone de libres échanges africaine, la production des véhicules devrait être orientée sur le marché local et l’exportation, afin d’équilibrer les budgets en devise. Quand nous parviendrons à des accords respectant ces conditions, nous autoriserons les constructeurs, avec lesquels nous sommes en pourparlers, à commercialiser leurs véhicules sur le marché national, qui est prometteur. Nous disposons de la main-d’œuvre qualifiée, de l’énergie et des usines de montage confisquées par la justice. La production reprendra dans moins d’une année.
Aujourd’hui, nous avons un potentiel dans la branche des motocycles. Il y a des options de partenariat avec l’entreprise Sigma. Des sociétés privées à Béjaïa, Sétif et Bordj Bou Arreredj atteignent des taux d’intégration de plus de 20%. Des partenariats avec des américains et des finlandais dans l’industrie des tracteurs et des bus sont en cours. Il reste le dossier des véhicules qui doit être traité avec raison et sur la base d’accords gagnants-gagnants.
La gouvernance des entreprises publiques constitue un axe important de la stratégie du secteur. Pouvez-vous nous en parler davantage ?
La bonne gouvernance des entreprises publiques est l’un des axes de la Conférence nationale de la relance industrielle. Nous avons constaté que la gestion des entreprises publiques ne correspondait plus aux nouvelles exigences économiques, défaut d’esprit d’initiatives, les conseils d’administration manquent de vision proactive. En fonction des résultats de l’évaluation de la gouvernance des entreprises, nous avons procédé à des changements à la tête de certains groupes industriels, qui souffraient d’insuffisances et d’inertie de leurs gestionnaires. Tous les cadres dirigeants doivent désormais signer un contrat de performance. Les entreprises sont astreintes au respect du cahier de charge du Conseil d’administration, fondé sur la performance, le contrôle et l’évaluation continue. Nous réceptionnons au fur et à mesure des rapports sur les groupes afin de mettre en œuvre un plan de réforme et assigner aux gestionnaires des objectifs, dont un taux de croissance de 10 à 15%. A la fin de l’année, le guide du gestionnaire sera prêt.