Boumediene à la tête de l’Etat-major général
(3eme Partie)
Quand Abdelhafid Boussouf est appelé en Tunisie en septembre 1957, pour faire partie du CCE, puis du GPRA, à partir de septembre 1958, c’est son ex-adjoint Boumediene qui lui succéda à la tête de la wilaya V, avec le grade de colonel. Celui-ci dirigea cette vaste wilaya depuis le PC d’Oujda, au Maroc, en lui impulsant une nouvelle dynamique, avec la restructuration des unités. C’est d’ailleurs à ce titre qu’il fut nommé chef du commandement opérationnel de l’Ouest dès qu’il a gagné Tunis, avant d’être désigné comme chef de l’Etat-major général de l’ALN nouvellement créée, qui était la fusion des deux états-majors en Tunisie et au Maroc sous un même commandement. Cette instance venait suppléer la dissolution du COM (Comité des opérations militaires) installé en Tunisie et conduit jusqu’alors par le colonel Nacer (Mohamedi Saïd).
Il faut dire qu’à sa création, en 1959, l’Etat-major général (EMG) n’avait pas comme vocation, ni comme ambition, de se substituer au commandement de la Révolution, qui avait son instances souveraine, à savoir le Conseil national de la révolution (CNRA) et un organe exécutif, le Gouvernement provisoire. Tous les membres du CNRA était acquis pour l’idée de faire de l’ALN une armée professionnelle et moderne, avec une hiérarchie et un mode de fonctionnement précis. C’était aussi une façon de décharger les anciens chefs des wilayas et officiers de l’ALN ayant rejoint la direction de l’Extérieur, au Caire puis à Tunis, de leur double responsabilité politico-militaire. Il n’y avait donc aucune arrière-pensée à cette idée d’instauration d’un état-major de l’armée, d’autant que l’EMG était l’aboutissement somme toute naturel de l’existence de deux états-majors de l’ALN. Le colonel Boumediene avait, selon les différents témoignages, les faveurs et les encouragements de l’ensemble des dirigeants de la Révolution, et notamment des membres du CIG (Comité interministériel de guerre), composé du trio Boussouf, Bentobal et Krim. Il était particulièrement apprécié, d’après certains récits, de Krim Belkacem qui voyait en lui un dirigeant militaire distingué.
Boumediene a, en effet, réussi très rapidement à instaurer la discipline dans les rangs de l’armée stationnée près des frontières marocaines et tunisiennes. Il mena avec succès la première mission qui lui avait été assignée, qui était de briser la stratégie de l’encerclement des maquis, mise en place par les plans « Challe » et « Morice » notamment, seul moyen pour pouvoir acheminer des armes et des munitions aux maquis de l’intérieur, à une époque où les wilayas étaient au bord de l’essoufflement. Il ordonna aussi de monter des opérations d’envergure et d’intensifier les harcèlements contre les patrouilles françaises qui surveillaient les frontières, en coordination avec les unités de l’ALN activant à l’intérieur. De 1960 à 1962, il a réussi à tripler les effectifs de l’ALN, qui comptait désormais 25 000 soldats bien équipés à l’Est et 10 000 à l’Ouest.
Le jeune colonel s’est entouré de ses principaux adjoints, à savoir les commandants Ali Mendjeli, Si Slimane (Kaïd Ahmed) et Azeddine (Zerrari). Tout son staff s’est déplacé en Tunisie, à Ghardimaou plus précisément, où il a installé son PC, jusqu’à l’indépendance, même si son PC à Oujda (Maroc), demeurait opérationnel jusqu’à la fin. Il eut l’audace d’intégrer les anciens déserteurs de l’armée française dans la modernisation de l’armée nationale aussi bien dans les domaines techniques que dans celui de la gestion et de la formation, même si cela n’était pas toujours apprécié des pionniers de la lutte de Libération.
Tout allait bien entre le chef de l’EMG et la direction politique de la Révolution, puisqu’aucun hiatus majeur ne fut signalé, jusqu’au jour où éclata le conflit qui allait provoquer «la crise de l’été 1962», vécue comme un véritable séisme par tous les combattants, puis, bientôt, par tout le peuple algérien. A l’origine de la crise, un fâcheux quiproquo ayant opposé le staff de l’EMG, Boumediene et ses lieutenants, au président du GPRA de l’époque, Benyoucef Benkhedda, au sujet d’un pilote français capturé par les Algériens qui avaient abattu son avion sur le sol tunisien. Benkhedda accuse Boumediene et son commandement militaire d’abandonner les maquis de l’intérieur et lui enjoint d’entrée en Algérie, en mobilisant des troupes pour venir à la rescousse des wilayas, affaiblies par les grandes opérations de l’armée française qui étaient, alors, à leur apogée. Boumediene et son EMG refusent d’obtempérer et décident de remettre leur démission le 15 juillet 1961 et de quitter, un mois plus tard, le CNRA. Comme première réaction, le GPRA décide de fractionner l’armée en deux commandement (Maroc-Tunisie), dans le dessein de réorganiser l’armée en vue de la maitriser. Mais la plupart des unités préférèrent suivre leur chef, le colonel Boumediene. S’ensuivit une épreuve de force entre les deux «camps», où le GPRA tenta de monter les wilayas de l’intérieur contre «l’armée des frontières». Mais rapidement, Boumediene reçut l’appui de trois chefs historiques détenus alors à Aulnoy : Ahmed Ben Bella, Mohamed Khider et Rabah Bitat, lesquels vont aider Boumediene à s’imposer politiquement face au GPRA et de rallier de plus en plus de dirigeants à sa cause. C’est à partir de là que ses ambitions de pouvoirs vont commencer à se raffermir.
… à suivre
In Memoria