Bruno Retailleau : Un héritage colonial au cœur des tensions franco-algériennes.
Par Abdelkader Reguig
«Nous on garde comme point de repère et unique point de repère le président Macron», a déclaré le président Algérien Abdelmadjid Tebboune
La figure de Bruno Retailleau, ministre français de l’Intérieur, incarne aujourd’hui les fractures coloniales qui persistent entre l’Algérie et la France. Ses prises de position perçues comme hostiles, interprétées comme une résurgence des logiques impériales, ravivent les plaies d’un passé colonial encore mal assumé par Paris. Son héritage familial – son père Michel Guy Marie Bernard Retailleau ayant participé à la guerre d’Algérie (1954-1962) – symbolise, pour de nombreux Algériens, l’incapacité française à rompre avec une mémoire coloniale oppressive. Une question centrale émerge : comment envisager un avenir commun sans justice historique ?
Un passé colonial qui hante le présent
Michel Guy Marie Bernard Retailleau, père du ministre et ancien soldat est décédé d’une mort naturelle le 2 février 2019, à lâge de 82 ans. Ancien AFN (anciens combattants d’algérie) durant la guerre d’indépendance algérienne, il incarne une génération associée à la répression coloniale. Des chants militaristes de l’AFN glorifiant les « combats » en Algérie (« Nous étions sur des pitons […] nous avons sué tout le sel de notre corps ») aux récits familiaux, cet héritage nourrit, selon beaucoup d’Algériens, la rigidité méprisante de Bruno Retailleau envers leur pays. Ses déclarations résonnent comme un écho des discours colonialistes, minimisant les crimes français : torture, massacres de civils (Sétif, Guelma, Kherrata en 1945) et spoliations territoriales.
À l’Assemblée nationale, le député David Guiraud (LFI) a fustigé l’hypocrisie du gouvernement : « Ce n’est pas l’Algérie qui nous agresse, […] c’est vous qui agressez la France ». Il dénonce un exécutif qui instrumentalise la « défense nationale » tout en « piétinant les droits des Français musulmans » et en alimentant un climat de stigmatisation. Ses mots soulignent une fracture plus profonde :
« Pourquoi M. Retailleau et son gouvernement s’acharnent-ils à couper le fil tissé entre nos deux peuples, qui ont tant d’enfants en partage ? Ces enfants n’ont pas à « tourner la page » de la colonisation, mais exigent la vérité. Les crises actuelles découlent de ces non-dits ».
En Algérie, ces tensions sont perçues comme la prolongation des discriminations coloniales. La société civile rappelle que la France n’a jamais officiellement reconnu l’ampleur de ses crimes, malgré les timides avancées sous Emmanuel Macron, jugées « cosmétiques » à Alger. La demande d’une reconnaissance totale – incluant les 1,5 million de martyrs revendiqués – reste lettre morte.
M. Michel Bisac, président de la Chambre de Commerce Algéro-Française, met en garde contre les provocations répétées de Bruno Retailleau : « Une rupture du fil tissé entre nos peuples serait désastreuse ». Avec 3 000 entreprises françaises dépendantes du marché algérien (4,8 milliards d’euros d’échanges), les enjeux économiques sont colossaux. Pourtant, l’Algérie, forte de ses partenariats diversifiés (Chine, Russie, Turquie États-Unis), affirme ne pas céder aux pressions. Les représailles politiques pourraient coûter cher à Paris, notamment au Sahel, où Alger demeure un acteur sécuritaire incontournable.
La réconciliation, une équation historique
Pour Alger, toute normalisation passe par un travail de vérité et des réparations concrètes. Les déclarations de Macron sur les « crimes inexcusables » (2021), dépourvues d’actes forts, sont jugées insuffisantes. La polémique Retailleau cristallise ce blocage : perçu comme le gardien d’une mémoire coloniale hostile, le ministre incarne une France nostalgique de son empire, incapable de regarder son histoire en face.
Désormais, l’Algérie refuse de dissocier enjeux bilatéraux et règlement du passé. Les intérêts économiques français ne primeront pas, prévient-elle, sur la dignité d’un peuple marqué par 132 ans de colonialisme.
L’Algérie, souveraine, exige désormais des actes, non des promesses. Les appels au dialogue, comme ceux de l’ancien Premier ministre Dominique Villepin rappelle « l’Appel du Gl de Gaulle de Londres.. Ce dernier, soutenu par la Chambre de Commerce Algéro-Française et des millions de Français attachés à la mémoire du référendum sur l’autodétermination de 1961, représente une voix majoritaire dans le paysage politique actuel. Surprise du dernier baromètre du Cluster 17 (le Point) Dominique de Villepin confirme sa dynamique et prend même la tête du classement.
La balle est dans le camp français : perpétuera-t-elle les fantômes du colonialisme, ou bâtira-t-elle avec l’Algérie une relation équitable, affranchie du poids du sang et du déni ? L’histoire jugera. Mais Alger, forte de ses alliances globales, a déjà choisi de ne plus… patienter.
Une crise politique est comme un mal de dent, il faut soigner la carie avant qu’il n’y ait infection.
Jean Pierre Szymaniak
Abdelkader REGUIG
Président de l’Ordre des Ingénieurs Experts Arabes ( ORAREXE).Genève Suisse
Émail: orarexe@gmail.com