Catastrophes naturelles et industrielles : pour une plus forte résilience de l’Algérie !
(Par Noureddine Khelassi)
Les images apocalyptiques de la double explosion qui a frappé Beyrouth le 4 août, et qui serait dues à un incident dans un bâtiment stockant 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium, incitent à réfléchir plus que jamais sur le propre engagement de l’Algérie pour développer une plus grande résilience aux catastrophes. Le pays, et c’est un truisme que de le dire, est fortement soumis aux risque majeurs de par la singularité de sa géographie, sa topographie et son économie politique. Une partie importante de ses territoires est exposée aux séismes et aux inondations, à la sécheresse, aux feux de forêt récurrents, aux glissements de terrain, aux invasions périodiques de criquets et même au risque de tsunamis. Plus de 90 pour cent de la population vit sur le littoral qui compte pour seulement 12 pour cent de la superficie du pays. Par conséquent, une forte densité d’implantations conjuguée à la mobilité, la migration, la pauvreté, le chômage et la crise du logement, rend de larges pans de la population vulnérables à la conjugaison des aléas naturels et socio-économiques.
Il est toutefois vrai que les pouvoirs publics successifs ont été peu ou prou conscients de la forte exposition du pays et de ses croissantes vulnérabilités. De ce fait, ils ont démontré ces quarante dernières années un certain engagement, en édictant une législation ad hoc et en planifiant des actions pour une plus grande résistance aux catastrophes. L’impact du tremblement de terre d’El Asnam (1980) a élevé la sensibilisation de la population et favorisé une indéniable volonté politique en la matière. L’Algérie s’est donc concentrée sur la consolidation de ses capacités de préparation et de réponse aux catastrophes. Les autorités ont alors finalisé en 1981 un code de construction parasismique national et adopté en 1985 un plan de gestion et de réduction des catastrophes. Tout en consacrant à partir de 1987 des capacités de surveillance et des aptitudes techniques pour le développement et la diffusion des connaissances sismiques.
L’Algérie a également tiré des leçons des inondations de Bab El Oued (2001), du tremblement de terre de Boumerdes (2003), des inondations de Ghardaïa (2008) et des feux de forêts annuels. Son Plan national pour la réduction et la gestion des catastrophes ainsi que son cadre juridique et règlementaire ont été renforcés en 2003, et le pays a adopté aussi la loi sur la Prévention des Risques Majeurs et la Gestion des Catastrophes en 2004. De même que le Schéma National d’Aménagement du Territoire (SNAT) a été mis à jour en 2010 pour inclure des dispositions importantes pour l’aménagement du territoire et la planification urbaine.
En 2004, le Ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme a également édicté un nouveau règlement de construction parasismique. Depuis 2005, dans le contexte de l’adoption mondiale du Cadre d’Action de Hyogo (CAH), le PNUD apporte son concours pour améliorer les capacités institutionnelles de l’Algérie. Il a initié avec le Gouvernement algérien le premier projet de gestion de risque de catastrophes (GRC), en mettant l’accent sur le développement des capacités locales et le savoir-faire technique pour la Réduction des risques de catastrophes (RRC) dans neuf wilayas. Depuis 2009, l’engagement de haut niveau politique, les programmes de développement des capacités, la participation dans des fora et autres manifestations à une échelle internationale et régionale, ont contribué à alimenter l’élan de la RRC en Algérie, avec un net engagement technique et financier en sa faveur.
Néanmoins, des défis sociaux et institutionnels demeurent. En l’absence d’un organe national de coordination efficiente de la RRC, les efforts des multiples secteurs et partenaires manquent cependant d’un cadre efficace de coopération qui aurait favorisé des résultats consolidés et sédimentés dans le domaine de la RRC. Cependant, la Délégation Nationale Aux Risques Majeurs (DNRM) créée en 2012, assure quand même un minimum de coordination de différents secteurs afin de réduire les risques majeurs à travers le territoire national. La DNRM a été instituée par le Décret n°11-194 du 22 Mai 2011. Placée auprès du ministre de l’Intérieur, elle fonctionne comme un service extérieur de l’Administration centrale. Elle est chargée de la coordination et de l’évaluation des actions menées dans le cadre du système national de prévention et de gestion par les différentes institutions concernées. Elle est assistée par un Comité intersectoriel présidé par le ministre de l’Intérieur et formé de 24 membres représentants les différents secteurs et autres centres et agences ayant un lien avec les risques majeurs.
Les progrès en matière de RRC sont indéniables tant à l’échelle nationale que locale, mais il reste beaucoup à faire, notamment en matière de développement des capacités des autorités locales et de la société civile. La DNRM assume certes sa mission de coordination, mais l’approche multisectorielle devrait être adoptée et complètement assimilée grâce à la mise en œuvre de politiques, de plans et de programmes de RRC exhaustifs et parfaitement intégrés. La batterie de lois, de règlementations, de décrets et d’ordonnances devrait être rigoureusement mise en application. Les partenaires de l’Algérie et les donateurs publics, privés, régionaux et internationaux devraient être plus impliqués et beaucoup plus engagés.
Ceci dit, la catastrophe de Beyrouth n’est pas sans faire rappeler l’accident grave de Fertial (Ex-Asmidal) d’Annaba en 2019, et où une explosion de gaz dans l’unité d’ammoniac aurait pu tourner au grand drame si ce n’était l’arrêt automatique de la chaîne de production et l’intervention efficace de la protection civile. Elle fait surtout remonter le souvenir de la puissante explosion qui a frappé en 2004 la zone pétrochimique de Skikda, détruisant alors trois unités de production de GNL. Ce désastre constitue la plus grande calamité industrielle survenue depuis l’Indépendance.
On doit par conséquent se demander aujourd’hui pourquoi l’Algérie, en dépit de sa volonté politique et du renforcement des capacités institutionnelles et réglementaires destinés à faire face aux conséquences des dangers naturels et industriels, n’arrive-t-elle pas encore à construire une solide résilience et réduire sa forte vulnérabilité ? Pour atteindre plus ou moins ces deux objectifs, à long terme, les pouvoirs publics devraient notamment songer à la création d’un grand ministère de gestion et de réduction de risques de catastrophes pour mieux en juguler les effets dévastateurs sur les populations. .
N.K.