Cent trente-quatrième anniversaire De la naissance de Cheikh Abdelhamid Ben Badis: 4 décembre 1889 / 4 décembre 2023
“Cheikh Abdelhamid BEN BADIS prospectives et visions prémonitoires de La Diplomatie Contemporaine”
Par: Dr Boudjemaâ HAÏCHOUR-
chercheur universitaire
Permettez-moi tout d’abord d’adresser mes plus vifs remerciements aux autorités locales de la wilaya de Constantine, à sa tête Monsieur le Wali, pour cette généreuse invitation par laquelle nous rappelons le parcours lumineux et les vertus du leader du mouvement réformateur, dans notre pays, à savoir Cheikh Abdelhamid Ben Badis, à l’occasion du 134ème anniversaire de sa naissance.
Comme aujourd’hui un 04 décembre 1889 l’Algérie à vu la naissance de celui qui allait devenir le principale propulseur du mouvement réformiste musulman, Abdelhamid Benbadis , dans cette même année 1889 naquit Bachir el Ibrahimi l’autre figure emblématique de ce mouvement réformiste , les contrées arabes connaitront la naissance de Taha Hussein , Abbas Mahmoud El Aqad, Abderahmane Errafiai , Ilia Abou Madhi , et d’autres .
C’est l’année des célébrités par excellence. dans cet échantillonnage monstrueux de personnages, Abdelhamid Ben Badis arrache sa place parmi des figures marquantes et influençables de son siècle et de sa génération ,plus encore puisque il s’agit d’un érudit pieux et convaincu .
Le sujet que nous avons voulu aborder en mémoire de l’Imam Cheikh Abdelhamid Ben Badis paraît être insolite dans la mesure où traditionnellement, ce sont les questions identitaires et théologiques qui prennent le dessus. Afin de montrer un autre aspect de la réflexion d’Ibn Badis, à savoir comment il apprécie les problèmes politiques internationaux de son époque, j’ai choisi quelques articles parus dans le journal Echihab qui font de Ben Badis, non seulement un visionnaire mais surtout un fin connaisseur des événements qui ont façonné les relations internationales tant au plan diplomatique, économique que politique.
Ce grand homme d’esprit ouvert a manifestement été inspiré des idées de tolérance et de réconciliation dans une période d’entre les deux guerres.
Né en décembre 1889 à Constantine d’une famille tirant sa généalogie des Beni Sahadja, Ben Badis Abdelhamid avait eu un grand père Mekki qui fut un grand notable en 1864 et son père Mohamed Mostefa fut un membre influent au Conseil supérieur algérien.
Après avoir appris le Coran à 13 ans, il eut comme maître cheikh Hamdane Lounici. Il étudia la théologie et les sciences sociales à la Zeïtouna en Tunisie de 1908 à 1912. Ben Badis avait beaucoup d’ambitions surtout de revenir à Constantine enseigner avec de nouvelles méthodes la langue arabe et les éléments de fiqh el islami. Il se rendit au Machrek arabe à l’occasion du pélerinage où il rencontra d’éminentes personnalités du mouvement réformiste.
C’est là où il aiguisa sa conscience politique et culturelle face à l’apartheid du code de l’indigénat. Il aura durant toute sa vie à mener un combat multiforme contre toutes les tentatives de dépersonnalisation de la nation algérienne.
Il se place comme un homme de grande envergure politique et diplomatique contre l’entreprise coloniale. Le plaçant à l’avant-garde de l’élite arabophone, il montra une nature réconciliatrice, un homme de rassemblement et de dialogue avec toutes les tendances de son association ainsi que dans le cadre du mouvement national de libération. Il fut un modèle salafiste ouvert.
Il devient un combattant redoutable par sa plume et ses prêches contre toutes les déviances survenus par quelques adeptes confrériques qui se sont égarés de la voie coranique et de la sunna. En fondant en 1925, son journal El Moukend, puis Echiheb d’où l’on tire les plus grandes réflexions et positions de son temps. Dans Echiheb, Ben Badis mettra toute son énergie pour apporter les éclairages sur son temps.
Au-delà des aspects théologiques, ce sont des questions d’ordre politique mais aussi diplomatique dont nous allons exposer quelques-unes parmi celles qui nous ont le plus intéressées.
Ben Badis et la question palestinienne
Ben Badis s’est toujours exprimé sur la question palestinienne et la spoliation des terres palestiniennes par le sionisme déjà en quête de mettre en exécution les recommandations du congrès de bazel en suisse de 1897 recommandé par la puissance de l’époque qu’est l’Angleterre. La responsabilité de la persécution des Juifs est d’essence européenne et non arabe. Benbadis se dresse contre les Anglais d’avoir laisser s’installer sur la terre arabe, l’Etat d’Israël et surtout d’avoir entaché les Lieux Saints d’El-Qods dont il connaissait les retombées dix années avant 1948, notamment dans son article n°06 du 1er Jumad 1357 (14 Août 1938).
On peut dire au travers de ces quelques positions internationales que Cheikh Ben Badis fut un fin diplomate et sut de son temps apporter tous les éclairages sur la reconsidération des relations inter-Etats. Ben Badis se place comme penseur, journaliste et connaissant les dossiers chauds de la diplomatie de son époque.
Il faut dire que Ben Badis s’inscrivait dans une perspective de prospective et assez souvent, traite des questions internationales. Il fut un penseur de la diplomatie active et militante qu’entreprendront des diplomates de la Révolution de 1954. Voilà donc un des volets de cette intense activité de l’Imam Ben Badis que nous avons essayé de porter au public au-delà de l’homme de culte et de pensée islamique.
Aujourd’hui en fin de 2023 la question palestinienne revient sur la scène avec l’un des plus meurtrier génocide dans l’histoire de l’humanité commit par l’entité sioniste visant à exterminer toute une population dans la bande de Gaza , un terrorisme d’état sans précédant , classé par différents activistes politiques et certaines organisations comme crime contre l’humanité , une crise humanitaire massive c’est produite avec plus de 400 000 habitants sans abris après des bombardements intensifs qui ont touchés directement la population civile. les bombardements sans relâche sur la bande de Gaza par l’entité sioniste, génèrent plus de 14 854 personnes tuées, dont 6 150 enfants, selon le gouvernement du Hamas.
Parmi les 2,4 millions d’habitants de Gaza, environ 1,7 million ont été déplacés, une dizaine d’hôpitaux qui devaient recevoir des blessés ont été bombardés en l’espace de trois jours mettant le système de santé palestinien en effondrement total. la trêve entrée en vigueur le 24 novembre 2023 , après 48 jours de frappes aériennes incessantes avec un envahissement terrestre dévastateur permis hormis libération des otages de part et d’autres , a permis l’entrée des aides humanitaires après un blocus nutritionnelle et médical.
Ben Badis qui évoquait le soulèvement de la communauté musulmane algérienne contre le débordement du tailleur juif ivre, Eliaou Khalifa à l’origine de l’incident du 5 aout 1934 dans la prière de ichaa , injuriant des Musulmans et insultant le prophète lors de leurs ablutions dans la mosquée de Sidi Lakhdar, ne n’abstenant à cela il alla jusqu’a uriner contre le mur du lieu saint.
Ces faits ne pouvaient que faire bondir la population musulmane constantinoise connue pour sa ferveur et son penchant vers sa religion et sa tradition qui déposa une plainte auprès du commissariat de police resté indifférente.
Ben Badis en tant que journaliste qualifia cette incident comme une tragédie puisque les juifs commencèrent par utiliser des armes à feu faisant des morts parmi les algériens dépourvus d’armes . la reposte fut intense et engendra des morts de part et d’autres , devant l’arrogance des juifs soutenus par la complicité du préfet de Constantine Jean-Marie Laban, le maire Émile Morinaud et le chef de la police de Constantine René Miquel qui différencient entre les autochtones et les juifs sous un code de l’indigénat donnant un sur droit absolu à la communauté juive , qui allait exiger un laisser passé au passants par la rahba de souk al Asr quatier des juifs montrant leur haine et mépris pour les musulmans. dans ce fait Benbadis na cessé de rappeler les mauvaises habitudes des juifs qui prennent du plaisir a léser les arabes musulmans avec leur caractère arrogant et impulsif .
Ben Badis sollicité par le chef de police pour intervenir répéta à celui ci ” dans de tels cas ou la dignité des musulmans et le prophète de l’islam sont profondément touchés il est difficile d’aboutir à un apaisement ” et il aura fallu plusieurs tentatives pour revenir au calme notamment par l’intervention des élus des deux cotés , Benbadis et l’élu bendjelloul rassemblèrent des milliers de musulmans dans el djamaa el kebir pour essayer d’apaiser les esprits. dans le calme les funérailles furent augustes pour la communauté juive ou des milliers venus de toutes les villes limitrophes pour assister à l’enterrement , tandis que les musulmans ont été contraints par l’administration coloniale de ne faire de funèbres céleste qu’en catimini et dans le silence absolu.
Cheikh Ben Badis et l’unité du Maghreb
Dans la 9e partie du 13e volume du journal Echiheb de novembre 1937: Ramadan 1356 hégirien, le cheikh Ben Badis aborde la question maghrébine dans un texte intitulé «L’Afrique du Nord: comment y parvenir?» où il s’en prend à la puissance coloniale française présentant des propositions militant pour l’unité des quatre pays Tripoli, Tunisie, Algérie, Marrakech au présent et dans le futur.
Il développe la communauté de destin de ces quatre pays et les valeurs sûres dans les principes intangibles qui les soutiennent.
Cheikh Ben Badis et la place stratégique du Bassin méditerranéen
En publiant un article sur Echiheb n°41 volume 15, juillet 1926, l’imam Ben Badis insiste sur la nécessité de voir dans la Méditerranée un lac où se confrontent les intérêts, non seulement des pays riverains, mais aussi ceux de l’Angleterre, considérant que la rive méditerranéenne est un véritable comptoir commercial.
Et dans ce cas, il est expressément demandé de voir la nature des relations des pays limitrophes, notamment la libre circulation des flottes marines pour développer les relations commerciales inter-Etats.
Il parlait déjà du canal de Suez, de Malta, du détroit de Gibraltar pensant à la nécessité de maintenir un équilibre en Méditerranée pour nous épargner toute confrontation des puissances. Ben Badis prônait déjà l’idée de la Méditerranée un lac de paix et de coopération.
L’unité de la nation arabe et le point de vue du Cheikh Ben Badis
A notre lecture du journal n° 11 volume 13, janvier 1938: Dhou El Kaâda 1356, Ben Badis réaffirme son idée de l’unité politique qui ne peut se faire qu’à condition que tous les pays arabes soient dégagés du joug colonial. Mais en contrepartie, Cheikh Ben Badis développe le concept de l’unité de la quawmya arabe et morale.
La péninsule arabe et les convoitises anglo-françaises
Dans le numéro 53 du journal Echiheb du 5 septembre 1925, Cheikh Abdelhamid Ben Badis s’exprime sur le Machrek qui s’appuie sur les moyens de l’Occident pour son développement et dans ce cadre, il met en garde contre la faiblesse des gouvernements arabes qui ne peuvent tirer de substance que si les dirigeants arabes du Machrek sont forts pour répartir avec justice les richesses et que le revenu profite à tous les enfants de la Oumma.
Ben Badis révèle qu’il ne peut y avoir de prospérité dans la péninsule arabe face aux convoitises anglo-françaises dans un Etat d’ignorance et de misère.
De ce fait, Ben Badis prémonitoirement considère que la coopération doit se faire sur la réciprocité d’intérêts et qu’il est possible d’avoir recours aux capitaux étrangers dans la mesure où ceux-ci servent la croissance économique et le développement harmonieux de la Oumma.
Ben Badis et l’Europe
Ceux qui ont eu à suivre et lire l’oeuvre de Ben Badis, il a été publié dans Echihab du 17 octobre 1928, sur la stabilité de l’Europe et l’équilibre des forces économiques et politiques. Ben Badis passe pour être précurseur de l’Union européenne où les intérêts de pays appartenant à l’aire européenne soient sauvegardés.
La pensée prémonitoire de Ben Badis sur l’effondrement de l’URSS
Dans le N° 47 du journal Echihab 7 Safer 1345 (16 août 1926), Ben Badis publie son article sous le titre: «la Russie en crise et le système soviétique en effondrement». Il évoque les déviances des Bolcherches notamment la marginalisation de Zinoviev, Trotski, etc. L’Urss sera confrontée à des problèmes internes et externes qui seront la cause de la déstabilisation et de son éclatement. Ben Badis tout en rejetant le tsarisme et le communisme, préconise la démocratie comme voie sûre à la renaissance de la Russie.
Ben Badis et la crise de la dette franco-américaine
On peut également relever dans le n° 43 du journal Echihab du 23 Moharem 1345 du 02 août 1926, que Ben Badis développe une réflexion financière et se place comme le défenseur du franc français pensant que sa dévaluation touche beaucoup plus le peuple algérien que le peuple français. Ben Badis se présente comme expert dans le règlement de la dette française à l’égard des Américains. Aussi, dans l’article publié sous le titre «Dettes américaines et traité de Washington», Ben Badis milite pour la cause des pays endettés et soutient l’idée d’un arrangement franco-américain.
Vision diplomatique du rapprochement nippo-turque
Ben Badis avait écrit dans Echihab du 27 septembre 1926 «Rapprochement nippo-turque» à l’occasion de la visite du commandant de la flotte nippone dans les eaux turques, cette alliance est motivée par la communauté d’intérêts des deux grandes nations ottomane et japonaise au plan économique et politique. Ben Badis a analysé en fin diplomate ce rapprochement stratégique dans la région.
Vision Ben Badis du rapprochement germano-français
Nous lisons également le point de vue de Ben Badis dans le n° 50 du 18 Safer 1345 (26 août 1926), un article intitulé «rapprochement germano-français» où il fait état d’une vision prémonitoire sur la coopération franco-allemande et la place stratégique de ces deux pays dans la construction de l’Europe. Ben Badis se fait l’apologiste d’une telle alliance contre les Anglais pour la paix dans le continent européen.
Point de vue de Ben Badis sur le Traité hispano-italien
Cheikh Ben Badis avait analysé en diplomate averti ce traité dans l’article paru sous le n° 49 du 10 Safer 1345 (23 août 1926) considérant comme étant l’un des événements les plus importants de son temps, parce que touchant à l’équilibre des forces en Méditerranée contre toute tentative belliqueuse des Anglais, y compris contre les pays du Maghreb.
Il est indéniable enfin, que cette figure emblématique du Mouvement national et l’un des plus illustres penseurs de l’Algérie contemporaine, ait su analyser les faits de l’histoire évènementielle et en situer les enjeux internationaux sans jamais perdre de vue son ancrage dans l’algérianité et les combats de résistance anticoloniale par la plume et l’action. Le message badissien demeure d’actualité pour les générations qui sauront sans nul doute s’en inspirer dans le vaste mouvement des idées qui agitent ce siècle de la mondialisation.