Comment les condamnés à mort ont redonné vie à la Révolution : Un crime de guerre oublié
Leur héroïsme, leur résistance proverbiale face à la barbarie et leur foi inébranlable devant la mort ont été le viatique qui a permis de poursuivre la lutte acharnée pour la liberté et l’indépendance et de survivre à un exceptionnel déploiement des forces de la répression qui était en passe d’écraser «la rébellion» dans les djebels et les villes. Eux, ce sont les condamnés à mort !
Si l’historiographie s’est peu penchée sur leur histoire et leur «martyre», c’est peut-être parce que tous n’avaient pas de hauts faits d’armes dont ils pouvaient se prévaloir, pour la simple raison que, pendant une bonne partie de la guerre, ils se trouvaient en détention durant une si longue période, et pour certains exécutés avant la proclamation de l’Indépendance.
Selon les statistiques officielles fournies par l’Association nationale des condamnés à mort, leur nombre est évalué à près de 3 000 militants ou combattants, dont 217 ont été exécutés, 650 ont bénéficié de la grâce et environs 2 000 seront libérés dans le cadre de l’amnistie générale décidée en application des accords d’Evian de 1962.
Au-delà des chiffres, la réalité vécue par cette catégorie de nationalistes mérite d’être explorée ou revisitée pour mieux assimiler ce sentiment de détermination inébranlable qui a animé, durant toutes ces années de guerre, les moudjahidine et le peuple dans sa globalité dans leur combat contre l’occupant français. Les témoignages des survivants sur cet épisode de leur vie et de leur combat pour la libération foisonnent de récits et de descriptions édifiantes de la cruauté et de l’inhumanité avec lesquelles ils étaient traités par leurs geôliers ou leurs bourreaux.
Ces témoignages nous apprennent, par exemple, que les bourreaux étaient bien récompensés pour chaque tête coupée –1500 francs, selon certaines sources –, ce qui les motivait à guillotiner un maximum de candidats au supplice ! Il se trouve, aussi, que, face au nombre sans cesse croissant de victimes qui leur étaient présentées, ces bourreaux sadiques s’emmêlaient souvent les pinceaux, en ramassant confusément des têtes et des corps, à telle enseigne que les familles de certains condamnés exécutés n’ont jamais pu, à ce jour, retrouver les corps entiers de leurs proches.
Des récits montrent comment certaines scènes de supplice, au lieu d’abattre le moral des autres détenus, les galvanisaient et leur procuraient plus de force et de conviction pour affronter le pire qui leur était promis. Sur leur chemin vers l’échafaud ou la cour d’exécution, les moudjahidine les plus résistants et les plus solides gardent leur sérénité ou lancent de vibrants « Vive l’Algérie !», comme un double message à transmettre aux survivants pour leur faire ancrer l’idée du dévouement pour la patrie et les aider à ne jamais abdiquer devant l’épreuve, et au monde entier pour faire entendre la voix du peuple martyrisé, supplicié, mais déterminé à poursuivre le combat jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’ à l’indépendance, quels que soient les sacrifices et les drames qu’on lui fait subir.
La scène, immortalisée par de grands poètes et d’éminents artistes, du chahid emblématique Ahmed Zabana, premier d’une longue liste des guillotinés, est illustrative de la puissance de cet impact qu’avait le supplice des condamnés à mort en général sur l’essor de la Révolution et son rayonnement mondial.
On les appelait les « martyrs vivants », parce que chacun attendait son tour à la potence. Leur force est que, malgré la terreur permanente dans laquelle ils évoluaient, ils faisaient tout pour ne pas le montrer à l’ennemi, et ne laissaient transparaitre aucun signe de faiblesse ou de peur.
Toutes ces atrocités et ces exécutions sont à ajouter à la longue liste des crimes de guerre commis par la France coloniale en Algérie qu’il faudrait poser un jour pour exiger le pardon, même si d’aucuns estiment que rien ne peut les expier. Les dirigeants français ont récemment reconnu, à demi mot, la systématisation de l’usage de la torture dans les centres de détention pendant la guerre de libération algérienne. Sont-ils prêts à reconnaitre tous les abus exécutés par une justice aux ordres et zélée qui a condamné des Algériens à des peines de prison aussi lourdes et ordonné l’exécution de certains d’entre eux, sans permettre aux condamnés aucune possibilité de se défendre ?
Autre aspect important de cette histoire de cette catégorie des détenus pendant la guerre de libération : leur présence dans toutes les prisons du pays, mêmes si les prisons d’Oran et de Serkadji à Alger ont toujours battu le triste record du plus grand nombre de condamnés à mort admis dans leur enceinte. Cela prouve au moins deux choses : que les autorités coloniales avaient recours aux mêmes pratiques partout où c’était possible, pour tenter de juguler l’insurrection populaire contre le colonialisme, et que, paradoxalement, la sensibilisation se généralisait parmi les Algériens.
In Memoria