Conférence virtuelle sur les droits de l’Homme au Sahara Occidental : Intervention de Claude Mangin Asfari
En préalable à mon intervention, je voudrais vous confier combien préparer ce type d’intervention qui me touche de si près est éprouvant. Cela fait remonter beaucoup d’émotions et pourtant il faut témoigner toujours, c’est une forme de résistance. Mariés depuis 2003, c’est à dire 18 ans, mon mari a vécu plus d’années loin de moi en prison que libre.
La vie que je mène depuis plus de 10 ans est difficile et douloureuse car cela ronge mon quotidien. Je vis un statu quo qui m’emprisonne moi aussi. Je suis l’otage des manoeuvres politiciennes du Maroc et de ses alliés dont les intérêts sont plus importants que la souffrance des peuples. Mon interdiction de séjour au Maroc depuis 5 ans non seulement m’empêche d’aller voir mon mari dans sa prison mais de voir grandir mes 6 neveux et nièces qui vivent à Tan Tan et à El Aaiun.
Mon intervention porte sur le cas de mon époux Naâma Asfari, juriste international, défenseur pacifique des droits humains, prisonnier politique de Gdeim Izik, condamné à 30 ans de prison après deux procès inéquitables à Rabat et incarcéré au Maroc depuis novembre 2010. Naâma est le fils d’un ex-disparu. Son père fut enlevé devant lui dans son magasin à Tan Tan en 1976 au début de la guerre, il a disparu pendant 16 ans dans les bagnes de Hassan II, et a été libéré lors du cessez le feu en 1991, Naâma avait alors 21 ans. Le 15 novembre 2016, le Comité contre la torture a condamné le Maroc pour fait de tortures sur Naâma suite à la plainte individuelle que nous avions déposée.
La condamnation était assortie de recommandations que le Maroc n’a jamais mises en œuvre. Visio conférence intergroupe parlement européen crise ddh au SO CMangin 12052021 1 Je vais témoigner ici de cet acharnement contre Naâma et aussi contre moi en tant que défenseure des droits humains. Enfin, je terminerai en vous demandant votre soutien et votre aide à vous, nos députés élus par les citoyens des peuples des 26 pays européens, devant ce qui est la non applicabilité d’une décision obligatoire d’un organe onusien, le Comité contre la torture.
En octobre 2010, le Peuple sahraoui des Territoires occupés lançait son grand mouvement de résistance pacifique au Sahara Occidental. 20 000 hommes, femmes, enfants, vieillards créaient le «Campement de la dignité et la liberté» en installant à Gdeim Izik, à 10 km d’El Aaiun, la capitale du Sahara occidental plus, de 8 000 Khaima-tentes traditionnelles sahraouies, en prélude comme l’a dit Noam Chomsky de ce qui va être nommé les «Printemps arabes». Les autorités marocaines, après avoir pourtant négocié et trouvé un accord le 6 novembre 2010 pour répondre aux revendications socio économiques des résistants, ordonnent aux forces de sécurité, qui depuis un mois assiégeaient le Campement, son démantèlement dans la violence le 8 novembre 2010 à 5 h du matin.
Le Roi qui croyait avoir prouvé à la face du monde que les Sahraouis étaient Marocains après 35 ans d’occupation, n’a pas supporté cet acte ultime de résistance pacifique. Entre le 7 novembre et le 25 décembre 2010, ce sont 24 militants des droits de l’homme qui sont arrêtés, qu’ils aient été présents ou non dans le Campement, accusés d’avoir tué 11 agents des forces marocaines. Naâma, lui, avait déjà été arrêté le veille du démantèlement le 7 novembre dans la ville d’El Aaiun où il était venu pour accueillir le député communiste français Jean paul Lecoq venu apporter sa solidarité à ce mouvement de résistance. En février 2013, les prisonniers, après 28 mois de détention provisoire, ont été condamnés à des peines allant de 20 ans à perpétuité par le Tribunal militaire de Rabat sans possibilité d’Appel.
Mon mari, lui, a été condamné à 30 ans Visio conférence intergroupe parlement européen crise ddh au SO CMangin 12052021 2 C’est là que nous avons décidé avec l’ACAT-Association des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture de déposer une plainte en février 2014 devant le Comité contre la torture à Genève pour faits de torture sur Naâma et devant les tribunaux français. Cette plainte a aussitôt provoqué la convocation par la juge d’instruction de Mr Hamouchi, Directeur de la DST de passage à Paris ce qui a entraîné la cessation de toutes les relations judiciaires entre le Maroc et la France pendant un an. J’ai aussi porté plainte devant les tribunaux français comme victime directe de traitements inhumains et dégradants de par ma proximité avec mon mari victime de tortures.
Ma plainte devant les tribunaux français a été jugée d’abord irrecevable puis jugée recevable en Appel mais rejetée en cassation. Elle n’a pas abouti non plus auprès de la Cour Européenne des Droits de l’Homme mais il fallait essayer. En parallèle, le dépôt de la plainte de Naâma auprès du Comité contre la torture a eu pour effet que le Maroc décide d’activer la Cour de Cassation de Rabat qui 3 ans après, une durée déraisonnable, a cassé le jugement du procès du Tribunal militaire de 2013 et a convoqué un nouveau procès en Appel à partir du 26 décembre 2016.
Entre temps, le 15 novembre 2016, le Comité contre la torture, condamne le Maroc pour la 1° et seule fois de l’histoire jusqu’à présent, pour fait de tortures contre un militant. Dans sa décision, le Comité invitait instamment le Maroc, je cite : 1-à indemniser le requérant de façon adéquate et équitable, comprenant les moyens nécessaires à sa réadaptation la plus complète possible; 2-à initier une enquête impartiale et approfondie sur les évènements en question en pleine conformité avec les directives du protocole d’Istambul, dans le but de poursuivre en justice les personnes qui pourraient être responsable des traitements infligés à la victime; 3-à s’abstenir de tout acte de pression, d’intimidation ou de représailles susceptibles de nuire à l’intégrité physique et morale du Visio conférence intergroupe parlement européen crise ddh au SO C Mangin 12052021 3 plaignant et de sa famille qui constituerait autrement une violation des obligations de l’Etat partie en vertu de la Convention de coopérer de bonne foi avec le Comité pour l’application des dispositions de la Convention et de permettre au plaignant de recevoir des visites de la famille en prison.
Près de 5 ans après, le Maroc n’a toujours rien fait pour se conformer à la décision du Comité contre la torture.
De surcroit, le Maroc de permet pas à Naâma de recevoir mes visites et de ce fait exerce des actes de pression d’intimidation et de représailles à mon égard. De 2010 à 2016 , j’ai pu rendre visite à Naâma régulièrement . Mes séjours se faisaient sous haute surveillance mais à partir d’octobre 2016, date de ma 1° expulsion, j’en suis à 5 expusions, j’ai été empêchée de me rendre au Maroc. C’est la vengeance coloniale visant à atteindre mon mari à travers moi qui avais osé porter plainte. Cela a écorné l’image du Maroc membre du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU.
Les expulsions de 2017 où j’étais pourtant accompagnée de mes avocats m’ont empêchée d’assister au procès en Appel de mon mari. En avril 2018, expulsée pour la 4e fois, j’entrais en grève de la faim illimitée jusqu’à ce que je puisse retourner au Maroc. Cette grève de la faim a eu lieu à la Mairie d’Ivry-sur-Seine, notre ville de résidence où Naâma a été nommé citoyen d’honneur de la ville. Finalement, j’ai suspendu ma grève de la faim au 30e jour après que le Ministère français des Affaires Etrangères se soit engagé à obtenir que je puisse retourner au Maroc à titre humanitaire. Le Maroc ne cesse pas de me dénoncer auprès de mon gouvernement comme lorsque je participe à des soirées de sensibilisation en passant le film sur Naâma et les Prisonniers Politiques de Gdeim Izik intitulé: «Dis leur que j’existe-une histoire sahraouie». Ainsi, le 2 décembre 2018, dans une église de Strasbourg, où l’Association des Chrétiens pour l’abolition de la Torture m’avait invitée à un débat, le Consulat du Maroc a envoyé un commando de 5 jeunes marocains coiffés d’une casquette rouge frappée de l’étoile verte du drapeau marocain. Ils m’ont insultée en Visio conférence intergroupe parlement européen crise ddh au SO CMangin 12052021 4 criant tellement fort dans l’Eglise que nous avons dû couper le micro.
L’assistance, une assemblée d’une centaine de personnes, a été scandalisée que ces méthodes soient possibles en France. Mieux, le lendemain, un dimanche, le Consulat téléphonait à l’Evéché pour se plaindre que je disais du mal du Maroc dans une église.
L’Ambassade du Maroc à Paris m’a aussi dénoncée auprès du Ministère car j’avais été interviewée en Allemagne par la Deutsche Welle en septembre 2018, lors d’une tournée organisée par l’Association allemande de solidarité avec le peuple sahraoui « Freiheit für die Westsahara » durant laquelle j’avais aussi rencontré des députés du Parlement de Brême. Non seulement le Maroc m’interdit d’aller au Maroc mail il veut me faire taire en France et en Europe. Finalement, c’est dans le contexte des table-rondes organisées pas Horst Köhler, l’envoyé spécial du Secrétaire Général de l’ONU et suite à la mention de notre cas dans le Rapport du Secrétaire Général d’octobre 2018 que le Maroc a repris l’initiative et a organisé ma visite à la prison de Kénitra les 14 et 15 janvier 2019 sous l’égide du Conseil National des Droits de l’Homme marocain après 30 mois sans visite!
Durant cette visite, j’ai été suivie et harcelée en permanence par une dizaine de personnes en civil. J’ai été dénoncée auprès de mon gouvernement car j’étais allée voir Mansour El Machdoufi chargé du suivi des prisonniers de Gdeim Izik et de leurs familles à Rabat et à l’AMDH-Association Marocaine des Droits de l’Homme, association constamment ciblée elle aussi. J’ai été diffamée dans plusieurs articles de la presse des Services marocains. J’ai alors compris que ma situation était loin d’être normalisée. Et en effet, j’ai été expulsée pour la 5° fois lors de ma visite suivante, le 8 juillet 2019, sans que mon gouvernement ni le CNDH n’aient rien pu faire alors que je les avais sollicités en amont. «Cette affaire est dans les mains du roi» avait répondu Mr Bourita, le Ministre marocain des Affaires Etrangères à son homologue français Mr Le Drian, lorsque celui-ci le sollicitait à propos de mon droit de visite… Visio conférence intergroupe parlement européen crise ddh au SO CMangin 12052021 5 Suite à cette expulsion, Mme Racu, la Rapporteure sur le suivi des représailles au Comité contre la torture, a rencontré le 6 août 2019 la Mission permanente du Maroc à Genève.
Le cas de Naâma est dans le Rapport du Haut Commissariat des Droits de l’Homme de 2019 et 2020 et Mme Racu a déclaré que le Comité a décidé d’effectuer une visite au Maroc. Aucune suite n’a été donnée.
Suite à cette 5 ° expulsion, par l’intermédiaire de mon Conseil marocain, j’ai contesté l’interdiction d’entrée sur le territoire devant les juridictions administratives du Maroc La requête a été rejetée aux motifs que je constituais un trouble à l’ordre public et je cite « un danger pour la sécurité intérieure et extérieure de l’Etat » Un autre événement montre que ce bras de fer ne passe pas inaperçu à Genève. J’ai été invitée le 3 décembre 2019 à Genève à rencontrer 3 des 10 juristes internationaux qui forment le groupe d’experts auprès du Comité contre la torture.
Ce type d’invitation d’une victime par des membres de cette instance est très rare. Pendant une heure, ils m’ont écoutée, très attentifs à mon cas, à la situation de Naâma, à l’ensemble des prisonniers, à l’impossibilité des avocats français de se rendre au Maroc. Il en est ressorti qu’ils allaient demander à pouvoir se rendre au Maroc pour visiter les prisonniers.
Dernier acte, récemment, le 25 novembre 2020, soit 3 ans et demi après le verdict du procès en Appel, la Cour de cassation a confirmé toutes les peines allant de 20 ans à perpétuité. Le dossier judiciaire est donc clôt, la lutte politique pour leur libération continue. Il reste à Naâma une peine de 20 ans à purger, il n’est pas question que je ne retourne pas le voir . Nous sommes devant un cas de non applicabilité d’une décision obligatoire d’un organe onusien. Mon droit de visite a été demandé dans les recommandations accompagnant la décision condamnant le Maroc pour torture sur Naâma en 2016.
C’est là qu’intervient ma demande auprès de vous nos députés européens. Je vous demande d’obtenir du Maroc que mon droit de visite soit rétabli de manière permanente et de m’accompagner lors de ma première visite. Pour terminer, je vous cite les propos de Naâma lors d’une conversation téléphonique qui a eu lieu lorsqu’on avait droit à plus Visio conférence intergroupe parlement européen crise ddh au SO CMangin 12052021 6 de 5 mn comme c’est le cas depuis la reprise des hostilités: « (…) J’ai appris à ne pas être vulnérable à l’injustice.
Mon ennemi ne sera jamais content car je ne tombe pas dans ce qu’il cherche, c’est à dire me détruire. Et je le laisserais faire ? Non ! Ethiquement, religieusement le Maroc est condamné. Chaque fois que je pense à mon père, à ma mère, je dois être fier car j’ai fait condamner le Maroc et c’est par ton soutien. Je ne laisse personne me priver de cette joie-là.
Devant mes frères et leurs enfants, je suis fier de cette condamnation du Maroc par le Comité contre la torture même si cela me donne cette vie de difficultés. Il faut savoir continuer tout doucement à travailler. Le plus important a été fait, je suis sûr qu’on se verra hors du Maroc.»
Je vous remercie