Kamel Daoud, le fabulateur et les classes décadentes – 3ème partie
La hogra et le hirak
Comme je l’écrivais la semaine dernière, SaâdaArbane, la femme qui accuse Kamel Daoud et son épouse (psychiatre) d’avoir violé le secret médical et d’avoir exposé sa vie dans le roman Houris, est bien la rescapée qui a été recueillie (kafala) par la pédiatre et ancienne ministre Zahia Mentouri et son époux, l’historien Tayeb Chentouf. La chose a été confirmée par des collègues d’Oran, puis par l’avocate de SaâdaArbane, maître Fatima Benbraham, lors de sa conférence de presse (jeudi 21 Novembre).
Lundi dernier (18 Novembre), deux plaintes ont été déposées auprès du tribunal d’Oran, l’une au nom de Mme SaâdaArbane et l’autre au nom de l’Organisation nationale des victimes du terrorisme (ONVT), représentée par Mme Zahra Flici.
Le lendemain, Kamel Daoud prononçait un discours à Sciences Po (Paris), aussitôt publié dans Libération, intitulé : « Le droit de se taire pour trouver les mots les plus utiles ».
Za’ma ? Objecterait-on en dialecte maghrébin – formule lapidaire pour rendre compte de l’incrédulité face aux mensonges, exagérations ou hypocrisies.
Qu’un certain milieu académique et médiatique – de la direction de SciencesPo au comité de rédaction de Libération – soit aussi crédule et en extase devant un discours à la fois paternaliste et mensongerest assez révélateurde l’état de décadence de certaines classes intellectuelles.
Paternaliste, le texte l’est en effet en manipulant, en tant qu’enseignant, un étudiant imaginaire,lambda (possiblement une étudiante, comme l’écrit l’auteur), inaudible, modelable à souhait, entièrement soumis à la narration de l’auteur. Tout cela pour in fine se poser en représentant de la sagesse face aux « passions » de « son étudiant ». La « leçon », en somme, consiste à dire que l’étudiant qui se mobilise contre le génocide en Palestine est un être de passion plutôt que de raison. Et elle n’a rien d’originale… puisqu’elle est reprise en cœur depuis un an par tous les réactionnaires.
Mensonger, car s’il y a bien une chose que l’on peut légitimement reprocher à Kamel Daoud,c’est de s’être amplement exprimé – et non de s’être tu – et d’avoir servi ce faisant, depuis plusieurs années, de caution morale pour un gotha boursouflé par son islamophobie, son colonialisme et, depuis un an, par sa complicité (ou, au mieux, son silence face) au génocide en Palestine.
Outre ses nombreuses sorties essentialistes et fallacieuses depuis son triste texte sur « l’affaire de Cologne » – ce dernier ayant été dénoncé par des chercheurs reconnus et légitimes,qui ont en réaction été mis au pilori par la caste des faiseurs d’opinion – Kamel Daoud a tout au long de l’année écouléecontribué, à sa manière, à renforcer la doxa génocidaire. Il l’a fait en particulier dansle magazine réactionnaireLe Point, en y publiant plusieurs textes qui se résument en deux propositions : la première est que les Arabes et les Musulmans qui se mobilisent contre le génocide en Palestine le font avant tout en raison d’une forme d’antisémitisme atavique ; la seconde est que les mouvances de gauche qui dénoncent également les massacres ne sont que les idiots-utiles des premiers. Le lecteur ne trouvera pas un mot, dans ses textes, sur les massacres et le génocide en Palestine (la situation étant sobrement qualifiée de « guerre »). Il ne trouvera pas un mot, non plus, sur le double standard des médias occidentaux – que Kamel Daoud dénonçait pourtant, en 2009, dans le Quotidien d’Oran à l’occasion de l’opération Plomb durci (18 janvier 2009, p. 3, sa chronique Raina Raikoum intitulé « TV d’occident : pas de cadavres, donc pas de crime ! »)
L’histoire de SaâdaArbane – découverte ces derniers jours – a suscité moultes indignations en Algérie, et non sans raison. Il n’y est pas seulement question de la violation du secret médical de la part de l’épouse de Kamel Daoud, Aicha Dahdouh, et de ce dernier. Il s’agit de la hogra (agression, injustice) – que les Algériens abhorrent – dans sa forme la plus méprisable qui soit. Car le couple a attendu que SaâdaArbane soit doublement orpheline – une première fois en raison du massacre de toute sa famille par des milices terroristes dans les années 90’ ; une seconde fois après le décès de ses parents adoptifs, Zahia Mantouri et Tayeb Chentouf,en 2022 – pour se jeter sur leur proie,l’histoire de Saada, et l’offriren sacrifice, en la travestissant, afin de contenter les clichés les plus éculés de son lectorat.
Saada Arbane, doublement contraintes au silence, par les terroristes, puis par Kamel Daoud, a décidé de réagir. Et elle a accepté l’aide d’une femme puissante, l’avocate Fatima Benbraham. Cela devraita priori réjouir tous les féministes et toutes celles et ceux qui méprisent la hogra.
Un hirak (mouvement) contre Kamel Daoud, et ses soutiens, est en train de naître et, outre ses poursuites judiciaires en Algérie, une plainte sera, selon mes informations, prochainement déposée en France.
Selon la formule judiciaire consacrée, et pour paraphraser le titre (lapsus ?) de son discours à Sciences Po, il aura bien entendu le droit de garder le silence.
Les contorsions de médias, reprenant en boucle une information fallacieuse de l’AFP– la pseudo « interdiction de publier sur la décennie noire en Algérie » –et incapable de lire un article de loi, pourtant écrit également en français, ne seront, à mon avis, que peu efficientes, du moins en Algérie. Christiane Chaulet-Achour, citée dans mes textes précédents, et moi-même avons expliqué, preuves à l’appui, en quoi cette information était fausse. Quant à Kamel Daoud et son épouse, outre la violation du secret médical, ils semblent bien dans ce cas tomber sous le coup de la loi qui interdit d’utiliser ou d’instrumentaliser les blessures de la « tragédie nationale » (selon la formulation officielle) pour porter préjudice….
Maître Fatima Benbraham est aussi connue en Algérie pour ses dénonciations des crimes coloniaux perpétrés par la France en Algérie. L’affaire judiciaire Kamel Daoud sera donc, fort probablement, aussi celui du mépris colonial.
Yazid Ben Hounet, anthropologue
Ps. J’apprends qu’un ami et compatriote de Kamel Daoud a été interpellé en Algérie, sans que l’on sache exactement et formellement les raisons de son interpellation. J’observe, avec amusement, qu’il n’en fallait pas moins pour que tout l’arc politico-médiatique réactionnaire français, complice ou aphone une année durant face au génocide en Palestine, se lève comme un seul homme et d’une seule voix pour cracher sa haine de l’Algérie et son mépris de ses institution (également judiciaires)…En invoquant le respect des droits de l’homme et de la liberté d’expression.
Za’ma ?
À quoi rêvent les loups ?