Contribution/ Les essais nucléaires français et les mines anti-personnel en Algérie : un crime contre l’humanité !
Par (*) Abdelmadjid Sana
La guerre d’indépendance de l’Algérie de 1954 à 1962 n’était que la continuité logique d’une résistance suite à de nombreuses insurrections et autres formes de refus, de désobéissances civiles et de rébellion contre l’occupation coloniale de 1830.
En 1960, parallèlement aux négociations des accords d’Evian et au drame que vivait déjà le peuple algérien depuis le déclenchement de la guerre de libération, une importante région du pays allait vivre un véritable enfer.
En effet, les autorités coloniales françaises auraient conditionné les accords mettant fin à sept années d’une guerre fratricide, par la signature d’un « accord secret », leur permettant d’effectuer des essais nucléaires dans le sud de l’Algérie.
L’armée française avait décidé alors, de procéder à un premier tir nucléaire, le 13 février 1960, à Reggane, dans le Sud-ouest, à environ mille huit cents kilomètres d’Alger, dans une région prétendument inhabitée.
La première bombe nucléaire française aurait été quatre fois plus puissante que celle lancée par les Américains sur Hiroshima et Nagasaki.
Depuis le 13 février 1960, 17 autres tirs nucléaires ont été effectués par l’armée coloniale en Algérie jusqu’au transfert de ses bases en Polynésie, en 1966.
Les conséquences de ces essais furent un désastre pour la population locale de Reggane (30 à 40 mille habitants), puis un peu plus tard également à In Ekker.
Sur les 13 essais nucléaires, 12 auraient entraîné des fuites radioactives qui ont provoqué de nombreuses maladies de la peau sur la population, des cancers, des malformations d’enfants à la naissance ; la faune et la flore avaient totalement disparu sur des centaines de kilomètres à la ronde, et les terres contaminées n’étaient plus exploitables.
Dans une enquête menée en collaboration avec l’université de Princeton (USA), les journalistes ont exhumé un rapport confidentiel rédigé par un médecin militaire français sur l’impact de ces essais nucléaires.
Le site en ligne « La Voix du Nord » affirme que les journalistes auraient réexaminé des « Documents militaires déclassés » et démontré pour la première fois l’ampleur des retombées radioactives qui ont touché les archipels du Pacifique ainsi que les mensonges de l’État sur les contaminations des populations civiles et militaires. Étonnamment, cette enquête est restée complètement silencieuse sur les effets dévastateurs des essais nucléaires français en Algérie.
Aussi, le Journal “Le Monde” du 14 septembre 2020 publiait l’appel lancé par deux experts français en désarmement demandant au gouvernement français d’aider les autorités algériennes à localiser les déchets radioactifs enfouis dans le Sahara algérien. Il s’agit de Patrice Bouveret, directeur de l’Observatoire des armements et de Jean-Marie Collins, Co-porte-parole d’Ican France.
– Ils estimaient que « plus de cinquante ans après le dernier essai nucléaire français au Sahara, « qu’il était temps de déterrer les matières radioactives pour assurer la sécurité sanitaire des générations actuelles et futures, préserver l’environnement et ouvrir une nouvelle ère des relations entre l’Algérie et la France ».
– Ils rappelaient, également, que «la France avait fait détonner 210 engins nucléaires entre 1960 et 1966, mais que le sujet demeurait un tabou officiel ».
– Et ils soulignent que « le déni persiste, alors même qu’une « prise en compte des dégâts environnementaux et sociaux a eu lieu en Polynésie et un travail de réparation a été entrepris ». Cependant, « rien de tel en Algérie ».
En outre, selon Tony Fortin, chercheur et expert à l’Observatoire des armements (France), l’application de la loi de reconnaissance et d’indemnisation des victimes des explosions nucléaires de la France, dite « loi Morin » pose un « réel problème », depuis sa promulgation, qui a fait observer qu’un seul Algérien a pu bénéficier d’une indemnisation, ce qui est incompréhensible et ne correspond en rien à la réalité ».
-M. Fortin estime que « seul l’engagement des associations et des avocats a permis l’obtention d’indemnisations, lesquelles restent extrêmement limitées par rapport au nombre réel de victimes ».
-Bien que cette loi « résulte d’une mobilisation citoyenne importante ayant entraîné le soutien des parlementaires et des médias », elle concerne une des 23 maladies listées par décret qui prévoit : « Théoriquement toutes les victimes quelle que soit leur nationalité et avoir l’une des 23 maladies listées, peuvent prétendre à une indemnisation, déplorant toutefois que son application pose un réel problème ».
– Pour ce qui est des archives cartes (cartographiques) – l’emplacement des déchets nucléaires dans le Sud algérien – M. Fortin a relevé que la décision prise par l’Algérie de créer l’Agence de Réhabilitation des anciens sites des explosions nucléaires dans le Sud algérien en juin 2021 est « une première étape dans ce sens ».
-Rappelant à ce propos que l’Observatoire des armements a co-publié avec ICAN France, en 2020, une étude sur les déchets nucléaires des explosions nucléaires françaises en Algérie, dont les recommandations ont été reprises dans le rapport de l’historien Benjamin Stora en janvier 2021.
Cependant M. Fortin a regretté « qu’à ce jour, rien ne semble avoir bougé à ce niveau, même si des déblocages sur les questions mémorielles ont eu lieu dans le cadre des relations entre l’Algérie et la France ».
Pour sa part, l’Algérie n’a pas cessé de relancer les autorités françaises pour une prise en charge notamment des opérations de réhabilitation des zones contaminées et une assistance technique pour l’obtention des cartes topographiques permettant la localisation des zones d’enfouissement des déchets, radioactifs et chimiques, non découvertes à ce jour. Toutes ses demandes sont restées sans suite.
Il y a lieu de se poser tant de questions : Depuis plus de 60 ans, combien de personnes sont-elles décédées ou ont-elles été amputées ou sont-elles nées avec une malformation suite aux radiations nucléaires des zones contaminées ?
En ce qui concerne les mines, il y a lieu de rappeler que plus de 11 millions de mines anti-personnel avaient été déposées tout au long des frontières, sur plus de quatre cents kilomètres à la frontière avec la Tunisie et sur sept cents kilomètres sur la frontière avec le Maroc ; d’autres régions considérées « zones militaires de sécurité » avaient également été minées à travers tout le territoire national.
En effet, ces mines anti-personnel continuent de tuer des civils algériens, des travailleurs de la terre et leurs familles, des enfants, des bergers et leur cheptel. Elles auraient causé plus de quarante mille morts et plus de quatre-vingt mille blessés dont des dizaines de personnes.
Il y a lieu de signaler que, pour toutes sortes de raisons aussi fallacieuses que mensongères, les autorités françaises n’ont toujours pas remis aux autorités algériennes la cartographie des zones minées sur le territoire algérien.
Depuis plus de soixante ans, les autorités françaises n’ont fait preuve d’aucune compassion, ni de volonté politique réelle pour honorer leurs engagements et aider l’Algérie à décontaminer les zones concernées par le nucléaire et pour déterrer les millions de mines qui sont toujours enfoui es à travers le territoire national.
C’est pourquoi, les accords d’Evian ont contribué à l’arrêt de la guerre et à une certaine conciliation entre les deux pays, et ce malgré les massacres commis par l’armée coloniale, les organisations paramilitaires et le non-respect des termes des « accords signés en 1962 », notamment sur les contaminations nucléaires, une véritable conciliation entre les deux peuples, n’a pas eu lieu.
En effet, tous les gouvernements, qui se sont succédé depuis 1962, ont pratiqué, la même politique des petits pas », les fuites en avant, les tergiversations et toutes sortes de prétextes fallacieux notamment au détriment de vies humaines. Une telle attitude ne peut, en aucun cas, aider à l’instauration d’une véritable conciliation et à l’établissement d’une coopération saine, respectueuse et juste entre les deux pays.
Compte tenu de ce qui précède, il serait souhaitable d’envisager, en guise de soutien nombreuses demandes des autorités Algériennes :
-un recueillement de nos compatriotes pour et avec nos frères et sœurs victimes des essais nucléaires et des mines anti-personnel.
– des actions populaires pacifiques en Algérie et en France, en prenant pour exemple le comportement du Mouvement des femmes et des hommes du Hirak ayant réalisé des miracles et suscité l’admiration du monde entier depuis le 6 février 2019.
Je propose le 13 février prochain – date de l’explosion de la première bombe nucléaires française en Algérie – sera l’occasion de commémorer par des manifestations devant les représentations diplomatiques et consulaires françaises en Algérie et par la communauté algérienne en France.
Cet événement sera célébré comme une journée de solidarité et de recueillement pour et avec les victimes des essais nucléaires ainsi que les victimes des mines anti-personnel à travers le territoire national.
(*) Abdelmadjid Sana
Moudjahid et ancien diplomate
Auteur de plusieurs ouvrages