Contribution : Pour Saïd Djabelkhir et l’Algérie !
J’ai été, comme de nombreux Algériens, choqué d’apprendre la condamnation à trois ans ferme, et 50 000 DA, de l’islamologue Saïd Djabelkhir.
En déplaçant la problématique de cette affaire sur le débat fort légitime de la liberté de conscience, on n’a peut-être pas assez attiré l’attention sur les conséquences désastreuses de ce jugement dans le monde judiciaire, social et politique.
Il faut absolument qu’il soit annulé en appel, que la décision soit infirmée – non seulement pour Saïd Djabelkhir mais surtout pour l’Algérie.
Comme cela a été mentionné par la défense, il y a, au préalable, un vice de procédure dans les poursuites judiciaires.
S’agissant de l’article portant sur l’offense à l’islam (144bis2 du code pénal) – quoique l’on pense de la pertinence du contenu de la loi – il y est indiqué que « Les poursuites pénales sont engagées d’office par le ministère public ». En toute logique, seul le ministère public est habilité à engager des poursuites et il doit le faire de manière fondée et raisonnée.
En laissant un particulier (appuyé d’avocats) engager des poursuites et faire condamner un autre citoyen, on ouvre la boite de pandore. N’importe quel quidam pourra demain déposer plainte s’il estime qu’il y a offense à l’islam de la part d’autrui.
La chasse aux sorcières s’installera en Algérie et les tribunaux, déjà surchargés, se trouveront à traiter toujours davantage de cas de ce genre. On étouffera dans les tribunaux et, en dehors, on s’arrêtera de respirer, de débattre de questions religieuses de peur d’être poursuivi en justice.
L’offense présuppose l’intentionnalité, la volonté manifeste de nuire. Or, comment peut-on admettre qu’un islamologue reconnu, ayant travaillé pour les chaines publiques, dont le métier est d’étudier l’islam, ses dogmes, rites et pratiques, puisse volontairement nuire à l’islam ? On ne peut donc remettre en cause sa sincérité et sa bonne foi.
Il en découle deux options : soit ses propos sont fondés et ils doivent être discutés ; soit ils sont erronés et ils doivent être réfutés (par ses pairs). Ni plus ni moins. En acceptant la condamnation de Saïd Djabelkhir, nous passons d’une société de l’écoute et de l’indulgence, à une société du conflit et de l’accusation.
Enfin, outre que cette condamnation donne une mauvaise image de l’Algérie, elle aura surtout pour effet de paralyser le travail de nombreux chercheurs et intellectuels. Ces derniers s’autocensureront dès lors qu’ils aborderont des domaines un peu litigieux ou lorsqu’ils auront une lecture qui ne correspond pas au discours dominant.
En somme c’est la possibilité même de l’ijtihad et plus largement le savoir qui seront les grandes victimes de cette condamnation. En plein ramadan (mois du pardon et de la générosité), à moins d’une semaine de Yawm al-‘ilm, cette annonce est terrible ! Il faut maintenant œuvrer à faire valoir sagesse, dialogue, paix et modération dans tous les espaces, dans les tribunaux et en dehors. Pour Saïd Djabelkhir et l’Algérie, il faut absolument que ce jugement soit annulé !
Yazid Ben Hounet
Anthropologue, chargé de recherche au CNRS
Membre du Laboratoire d’Anthropologie Sociale
(CNRS-Collège de France-EHESS), Paris.
Le 24 avril 2021