Contribution
Rencontre Internationale de Juristes dans les Campements de Réfugiés Sahraouis
Par Mohamed Limam Mohamed Ali (*)
Les 5 et 6 décembre dernier a eu lieu la rencontre internationale de juristes (RIJ) à la Wilaya d’Aousserd (campements de réfugiés sahraouis à Tindouf). Cet événement, le premier de ce genre depuis les presque 50 ans d’existence du conflit du Sahara occidental, a été organisé conjointement par l’Union Progressiste des Procureurs (en espagnol : Unión Progresista de Fiscales, UPF), Juges pour la Démocratie (en espagnol : Juezas y Jueces para la Democracia, JJpD), l’Union des Juristes Sahraouis (UJS), la Commission nationale sahraouis pour les Droits de l’Homme (CONASADH) et l’Association des familles de prisonniers et disparus sahraouis (en espagnol : Asociación de Familiares de Presos y Desaparecidos Saharauis, AFAPREDESA), en plus du soutien logistique fourni par les autorités sahraouies.
La rencontre, sous le thème « Le statut juridique du Sahara occidental et la question de l’exploitation des ressources naturelles », a réuni plus d’une centaine de participants. Parmi eux, un ensemble prestigieux d’experts de renommée internationale qui ont présenté leurs exposés magistraux, selon le programme établi, devant les juges, procureurs, responsables politiques, activistes et interprètes.
L’objectif de la RIJ était d’analyser, de différentes perspectives, l’importance des trois arrêts rendus par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) le 4 octobre 2024, annulant les accords de pêche et d’agriculture entre l’UE et le Maroc, conclus sans le consentement du peuple sahraoui et qui violent sa souveraineté permanente sur ses ressources naturelles, son droit inaliénable à l’autodétermination et le principe d’effet relatif des traités. De plus, d’autres aspects ont également été abordés, comme l’absence de l’étiquetage des produits originaires du Sahara occidental, ses implications dans le traitement du conflit et la possibilité pour les États membres de l’UE et/ou de l’exécutif communautaire d’avoir recours à certaines arguties judiciaires pour éluder le respect scrupuleux des arrêts.
Les arrêts susmentionnés de la CJUE incorporent une distinction fondamentale pour la cause sahraouie : d’une part, le peuple sahraoui, titulaire du droit à l’autodétermination ; d’autre part, la population installée sur le territoire après l’occupation marocaine. C’est le premier qui doit donner son consentement aux traités qui le concernent, pas la seconde. Et celle-ci accepte explicitement la thèse du Front POLISARIO selon laquelle le peuple sahraoui se trouve actuellement comme suit : un quart dans le Sahara occidental, 50 pour cent dans les campements aux alentours de Tindouf, et 25 pour cent dans des pays tiers.
Ces arrêts historiques, dont les termes sont très clairs, sont rendus après plusieurs appels rejetés interjetés par la Commission européenne, le Conseil européen et certains États membres de l’UE, comme l’Espagne et la France, entre autres. Ils ont également un impact direct sur les accords de pêche et d’agriculture signés en 2019, qui incorporaient des produits originaires du Territoire non autonome du Sahara occidental, occupé illégalement par le Maroc et en attente de décolonisation.
Il est inutile de rappeler que ces arrêts doivent obligatoirement être respectés par tous les États membres de l’UE, doivent être appliqués dans tous les tribunaux des pays communautaires, sans laisser de place à des interprétations intéressées.
Le Front POLISARIO, représentant légitime du peuple sahraoui, a accueilli avec satisfaction les arrêts de la Cour de justice de l’UE et est disposé à amorcer des négociations directes avec l’UE sur les termes de potentiels accords commerciaux et de pêche concernant le Sahara occidental, de manière à ce que ceux-ci profitent au peuple sahraoui et évitent que l’argent des contribuables européens serve à entretenir une guerre injuste imposée au peuple sahraoui et une occupation illégale de son territoire, le Sahara occidental.
« Le colonialisme se démonte, il ne se négocie pas » a signalé le professeur Isaías Barreñada Bajo, docteur en Relations Internationales de l’Université Complutense de Madrid et un des intervenants de la RIJ.
Au cours de toutes ces années, le peuple sahraoui, à travers son représentant légitime et unique, le Front POLISARIO, et le mouvement de solidarité avec la cause sahraouie ont fait entendre la voix de ce peuple et ont revendiqué partout le respect de sa souveraineté permanente sur ses ressources naturelles et son opposition frontale au pillage systématique de celles-ci dans les parties du territoire de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) illégalement occupées par le Maroc. Un pillage qui permet à ce dernier de couvrir tous les frais dérivés de sa « diplomatie de ressources naturelles ensanglantées » et l’achat de volontés pour perpétuer son occupation illégale.
Les combats pour mettre fin au pillage des ressources naturelles sahraouies ont été définis par la République sahraouie, le Front Polisario et d’autres organisations non gouvernementales non seulement comme une part essentielle du conflit du Sahara occidental mais également comme un champ de bataille qui a attiré l’intérêt de la communauté internationale.
La pierre angulaire dans ce domaine est le principe de la « souveraineté permanente sur les ressources naturelles », basée sur le droit des peuples et nations à utiliser et disposer des ressources naturelles présentes sur leur territoire au profit du développement national et du bien-être, tel qu’il a été établi par l’Assemblée générale (AG) de l’ONU dans sa Résolution 1803 (XVIII) de décembre 1962. Ce droit dérive du principe de souveraineté territoriale et du droit à l’autodétermination, et a été reconnu dans de nombreuses résolutions de l’AG de l’ONU. Le droit à la libre détermination de tous les peuples et à disposer de ses ressources et richesses naturelles fait également objet de l’article 1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et du Pacte international relatif aux droits économiques.
Le changement climatique
Une des présentations de la rencontre s’est révélée novatrice dans le traitement du conflit du Sahara occidental, puisqu’elle portait sur le changement climatique et la justice climatique pour le peuple sahraoui. Pour de nombreuses personnes assistant à la RIJ, cette présentation peut être la base pour un pacte fondamental. En effet, elle a posé les fondations dans le but d’unifier les efforts sahraouis pour rejoindre la lutte mondiale contre le changement climatique, étant donné que le peuple sahraoui est de plus en plus sensibilisé à cette question, ce qui requerra un accès élargi aux mécanismes internationaux de soutien financier et technique.
Au cours du débat de cette présentation autour de la crise climatique au Sahara occidental dans son ensemble, et particulièrement dans les territoires illégalement occupés par le Maroc, le besoin de la République sahraouie d’être représentée dans la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et dans la Conférence des Parties (COP) de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques a été revendiqué, ainsi que le fait que la Partie sahraouie signe l’accord de Paris pour participer aux négociations et présenter périodiquement aux Nations Unies des rapports sur la mise en place de sa contribution, déterminée au niveau national, soulignant que la voix sahraouie sera une voix africaine qui s’ajoutera à la position africaine et la renforcera.
La recherche d’échappatoires et de subterfuges juridiques pour ignorer les arrêts de la CJUE
Tout observateur suivant de près les dernières réponses écrites du désormais ancien haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, le socialiste espagnol Josep Borell, et d’autres dirigeants communautaires, aux questions des législateurs européens et de la presse sur les différentes dimensions du conflit au Sahara occidental (droits humains, étiquetage des produits de pêche et agricoles, situation des réfugiés sahraouis, etc.) peut apercevoir une variation dans le langage, avec l’utilisation d’acrobaties sémantiques tendant à se dispenser de respecter scrupuleusement les arrêts de la CJUE, à travers la présentation de propositions et positions basées sur tous types d’échappatoires, dans le but de faire prévaloir les relations stratégiques avec le Maroc au détriment du respect des décisions de la plus haute instance juridique européenne.
De cette manière, la Commission et le Conseil de l’UE, ainsi que quelques États membres protégeant également les thèses expansionnistes marocaines, seraient en train d’essayer d’atténuer l’impact potentiel de ces revers judiciaires pour éviter de mettre fin à la conspiration européenne et à la politique de chantage du Makhzen marocain, qui ont servi de filet de sécurité pour l’adoption des accords désormais annulés. Ce point final sera, sans aucun doute, une lueur d’espoir pour la lutte du peuple sahraoui et une récompense pour son pari juridique. Les personnes qui liront les réponses écrites du chef de la diplomatie européenne n’ont pas besoin de trop d’acuité intellectuelle ou de finesse juridique pour arriver à cette conclusion.
La confusion est d’autant plus grande chez les hommes et femmes politiques européens que les arrêts antérieurs de la CJUE sur le Sahara occidental (agriculture, pêche et navigation aérienne) commencent déjà à faire partie de la jurisprudence et de l’héritage du Haut Tribunal applicables à d’autres accords similaires entre l’UE et des pays tiers, comme cela a été le cas avec la cause palestinienne, dans le verdict du tribunal sur les produits en provenance d’Israël le 12 novembre 2019. Dans ce verdict, la CJUE argumentait son arrêt en recourant à ce qui est établi dans les dispositions de ses arrêts respectifs sur l’exploitation des ressources naturelles sahraouies à travers les accords de pêche et d’agriculture souscrits entre l’UE et le Maroc. Dans l’arrêt du 12 novembre 2019, la CJUE, dans son explication du concept du territoire et de l’État (paragraphes 29, 30 et 31) renvoie à ses arrêts de 2016 et 2018, dans lesquels il est affirmé que le statut juridique du Sahara occidental est très clair du point de vue légal et qu’il constitue un exemple extrapolable aux territoires sujets au principe de décolonisation et au droit à la libre détermination.
La bataille juridique pour les ressources naturelles du Sahara occidental
Antécédents
1. En 2012, le Front Polisario commence la bataille légale contre la spoliation des ressources naturelles, au cœur de l’Europe, devant la CJUE.
2. Plus tard, le 23/04/2015, il fait une incursion au Royaume-Uni.
3. Le 01/05/2017, le Front Polisario se rend à Port Elizabeth, en Afrique du Sud, pour mener bataille contre la spoliation des ressources naturelles du Sahara occidental.
4. Le 16/05/2017, il dépose une plainte contre un cargo transportant des phosphates du Sahara occidental par le canal de Panama.
5. Le 25/10/2017 il dépose une plainte contre TRANSAVIA (filiale d’Air France) devant le Tribunal de Commerce de Créteil (France).
6. Le 18/09/2018, il dépose une plainte contre CHANCERELLE, devant le Tribunal de Paris.
7. Le 19/10/2018 une plainte est déposée contre BNB PARIBAS, AXA ASSURANCES et CRÉDIT AGRICOLE devant le Tribunal de Paris.
8. Le 09/10/2018, il dépose une plainte contre CONXEMAR, une entreprise galicienne (Espagne) d’importation et de transformation de produits de la pêche.
9. Le 14/11/2018, il dépose une plainte contre plusieurs États africains devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples.
10. Le 12/06/2020, il s’oppose à la Nouvelle-Zélande dans l’affaire de l’importation de phosphates provenant du Sahara occidental.
11. Le 12/10/2022, il dépose une plainte contre Africa Eco Race devant le parquet de Paris.
Comme il a déjà été dit, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a annulé les accords de pêche et d’agriculture passés entre l’UE et le Maroc, conclus sans le consentement du peuple sahraoui, qui violent sa souveraineté permanente sur ses ressources naturelles, son droit inaliénable à l’autodétermination et le principe de l’effet relatif des traités, et qui omet également l’étiquetage des produits originaires du Sahara occidental, étiquetage ne pouvant plus être appliqué en territoire occupé.
Signalons brièvement plusieurs points clés :
* CJUE : « Les accords commerciaux UE-Maroc de 2019 en matière de pêche et de produits agricoles, auxquels le peuple du Sahara occidental n’a pas consenti, ont été conclus en méconnaissance des principes de l’autodétermination et de l’effet relatif des traités ».
* Ces accords, affirme le plus haut tribunal, ne considéraient pas le consentement du peuple du Sahara occidental.
* Les arrêts rendus par la Cour de justice de l’Union européenne sont définitifs et sans voie de recours.
* La CJUE a rendu son verdict contre la Commission européenne, en affirmant que l’UE a violé le droit à l’autodétermination dans le Sahara occidental à travers les accords commerciaux avec le Maroc. Malgré plusieurs appels, l’arrêt est toujours exécutoire et concerne les accords de pêche et d’agriculture établis en 2019.
* La Cour de Justice annule ces accords et ordonne que l’étiquetage des tomates et des melons récoltés au Sahara occidental cite le Sahara occidental comme pays d’origine.
* « Les arrêts de la Cour constituent une grande victoire pour le peuple sahraoui, sans précédent dans l’histoire de la décolonisation, qui le conforte dans sa lutte pour la liberté et l’indépendance », comme l’a affirmé dans un communiqué de presse le Front POLISARIO, représentant international reconnu du peuple sahraoui.
* « Marquant le triomphe de la légalité internationale sur le fait accompli, ils portent un coup fatal à l’occupant marocain qu’ils privent des leviers économiques et politiques, pour maintenir sa présence illégale dans le territoire et poursuivre sa politique illégale de colonisation du territoire, par la spoliation des ressources naturelles sahraouies », ajoute le mouvement sahraoui.
Après deux jours de délibérations, lors de la séance de clôture de la Rencontre Internationale de Juristes, les experts ont présenté les conclusions et recommandations, extraites de l’analyse des présentations magistrales. Les participants à la RIJ se sont montrés satisfaits du contenu de ces conclusions et recommandations.
En souvenir de la contribution de Emhamed Jadad
Pour conclure, parce qu’il est juste de le dire et de le reconnaître, il est impossible de parler de la bataille légale sahraouie sans parler d’Emhamed Jadad, qui nous a quitté il y a un peu plus de quatre ans. C’est lui qui a transmis la posture de condamnation du Front POLISARIO envers l’attitude des dirigeants de l’Union européenne, qui ont fait tout leur possible pour échapper aux décisions judiciaires, abusant de leur pouvoir politique et financier en contrevenant à l’arrêt de la Cour de justice de l’UE déclarant que le Maroc et le Sahara occidental sont deux territoires distincts et séparés, et qu’il ne pourrait pas y avoir d’activité économique sur le territoire du Sahara occidental sans le consentement du peuple sahraoui. Une situation qui était inacceptable parce qu’elle violait les droits souverains de ce peuple. Malgré de telles manœuvres, les actions du Front POLISARIO devant les Cours de l’UE reflètent, selon les mots de Jadad, la confiance du peuple sahraoui en la justice européenne.
Dans le sillage d’Emhamed Jadad, le Front POLISARIO, comme unique et légitime représentant du peuple sahraoui, continuera la bataille légale contre le pillage de ses richesses et contre les accords illégaux qui nuisent à la souveraineté et aux droits de ce peuple.
(*) Mohamed Limam Mohamed Ali est ambassadeur de la RASD au Kenya