« YA TALEB DE MOHAMED BENSAHLA »
خاطري بالجفاء تعذب
(KHATRI BI AL JAFA TA’DAB)
(*) Dr Boudjemâa HAICHOUR
Il est difficile de séparer Tlemcen de son machouar, d’Ibn Msaïb, ibn Triki, de Ben Sahla père et fils sans aborder les chants qui ont marqué cette ville princière. Il suffit aussi tout au début de l’époque romantique le rêve oriental qu’offrait Tlemcen à ces voyageurs qui venaient s’inspirer de cette « Alhambra Tlemcenienne », un rêve rempli d’harmonies musicales du Mouwwachah et du Zajel, du Hawfi et du Hawzi.
La civilisation, encore brillante enflamme les imaginations romantiques. C’est le « Royaume du Gharnati » le style musical de cette Cité. L’Alhambra de Grenade transposée à Tlemcen. Les allusions aux réalités du XVIIIe siècle qui a vu naître Mohamed Ben Sahla dans ces jardins métaphores du Paradis.
Il s’agit de la chanson « Khatri Bel Djafa Taâdab » connue dans les milieux mélomanes de « Ya Taleb ». Ce morceau de la poésie populaire a été versifié par son auteur, Mohamed Bensahla, Tlemcénien du XVIIIe siècle. On lui connait également d’autres chansons hawzi telles (Wahd Al Ghzal Raït Al oum) Une gazelle que j’ai vue aujourd’hui, (Mali Sadr Hnine), Je n’ai de cœur compatissant, (Maa A3tak Rabi Men Zin) Que de beautés Dieu t’a façonné, (Char3allah Ya Lahbab Ma3akoum Ya Djirani) Je vous en prie par Dieu ô mes voisins.
Mohamed Bensahla est un poète du « Chi3r Al Melhoun des plus célèbres. Il a vécu à Tlemcen au XII siècle de l’Hégire correspondant au XVIIIe siècle de J.C. Presque toutes ses qacidas décrivent des sensations amoureuses. Il mourut au début du XIII siècle de l’Hégire après avoir longuement vécu.
« Ya Taleb » est un Hawzi qu’interprètent Hadj Med Tahar Fergani, Raymond Leyris, Hassan Al Annabi et toute une pléiade de la jeune génération dans l’école de Constantine. C’est un classique de notre culture populaire exécuté dans une rythmique citadine spécifique. C’est d’une langue imagée d’expression populaire.
Nous allons constater comment la structure du texte, sa morphologie et sa sémantique qui en découlent, vont conférer à la qacida de «Ya Taleb » un cachet qui donne à penser aux grands poètes andalous tel Ibn Qozman, Ibn Zumrok dans leurs Zajels ou tournures dialectales des strophes chantées.
Il ne faut pas confondre avec Boumediene Bensahla fils de Mohamed Bensahla qui est connu par sa chanson (Rajli Mchat Biya Laquiet Zin Al Qad) Mes pieds m’ont conduit là où j’ai rencontré la belle à l’élégante taille. En ce jour que de fois n’ai-je pas souhaité la retrouver. Elle a le grain de beauté et des yeux noirs au-dessus de la joue. Son charme captivant est merveilleux et captivant. Quiconque la voie est troublé… Mes pieds m’y ont conduit et mes yeux en sont la cause.
Revenons maintenant au thème de cette poésie. Il faut être un Taleb digne de ce nom. Quelle merveilleuse mélodie avec des paroles toutes simples et cette musique surgie des tréfonds de l’Andalousie ancestrale ? A lire la première strophe ci-contre, l’on remarque que Mohamed Bensahla dont le fils Boumediene sera un ardent poète de l’amour, comment il essaie de demander au Taleb de lui prescrire le remède qui le guérit.
En effet un véritable brasier a pris feu dans ses entrailles à la vue de sa bien-aimée. Les arcs de ses sourcils le blessent comme des flèches. Il est devenu fou en contemplant sa gazelle où son amour l’avait anéanti. Il est égaré et perd sa raison. Toutes les beautés sont réunies en elle. Cette gazelle des steppes, elle est élégante et svelte. Celle que Mohamed Bensahla décrit.
Est-elle la Tlemcenienne qu’il peint ? Ou est-elle une vision de l’esprit qui le plonge dans l’amour courtois que décrit Imr Qaïs dans la Djahiliya ? Bensahla vit le supplice à lire ses vers. Il est perdu et tout le monde sait le secret qu’il ressent dans la beauté d’Aïcha. Le démon qui l’habite n’en veut aucune autre. Que faire et comment s’y prendre ?
Il est dans l’embarras car elle est si belle et si éclatante. Il ne trouve pas les mots qu’il faut. Ses cheveux sont la soie et l’or. Dieu lui a donné le charme angélique.
Un cou flexible comme un rameau de saule. On comme une branche de lys rouge et or. Sa bouche est aussi corail rouge et or qui s’ouvre sur des perles précieuses. L’on comprend qu’il s’agit d’Aïcha sa bien-aimée. Dans Ya Taleb, Bensahla veut se consoler en demandant le remède pour guérir sa flamme.
En aspirant à cette beauté éclatante, Bensahla sent son cœur éperdu qui s’envole vers elle. Affaibli, épuisé, aurait-il la puissance pour se redresser ? Serait-il délivré du mal d’amour qui le ronge ? Bensahla est submergé d’une passion aux tournants infinis. C’est cette amante cruelle, pleine de suffisance et de fierté, qui l’a blessé dans sa chair et son âme où il n’a pu trouver le médecin qui le guérisse.
Ensuite l’auteur nous fait vivre à travers la chanson et le quatre-vingt vers de cette poésie les prescriptions sous forme d’un talisman du Taleb pour qu’il se rétablisse de ce mal d’amour. Bensahla a beau pleuré Aïcha, ses lamentations n’ont servi à rien puisque le Taleb n’a pu trouver le remède-miracle.
Le Taleb lui recommande de l’oublier comme elle l’a fait. Exile-toi. Ne t’entête pas de suivre une prétentieuse qui ne veut pas de toi. Mais Bensahla ne peut se séparer de son image. Sa souffrance a atteint son paroxysme devant une âme déchirée et sans recours. Comment peut-il demander de l’aide au Taleb.
Lui-même l’amante d’Aïcha et profondément amoureux d’elle ? Ne pouvant prendre une décision bienveillante à son égard, Bensahla se consume dans sa flamme. Telle est la substance de cette qacida interprétée par les chanteurs de l’école de Constantine dans une mélodie différente de l’école de Tlemcen. On m’a raconté que Raymond Leyris et Saci Brati tous deux juifs de confession ont repris cette chanson en duo à l’occasion d’une fête avec tous les artifices des quatres modes tels Rhaoui, Raml maya, Saika et Mouwwal.
Hadj Med Tahar Fergani en fera une de ses meilleures interprétations surtout qui lui confère un timbre captivant. Abdelmmoumen Bentobal dans un autre style lui donne un autre cacher et avec Hamdi Bennani, Mouloud Bahloul, Salim Fergani, Dib Ayachi, Segni Abderachid, Ahmed Aouabdia etc… c’est une génération de maîtres qui vont l’immortaliser. Et comme dira intimement Baudelaire dans les (Fleurs du Mal ) :
« Derrière les ennuis et les vastes chagrins- Qui chargent de leurs poids l’existence brumeuse- Heureux celui qui peut d’une aile vigoureuse- S’élancer vers les champs lumineux et sereins ».
Mais dans le cas de Bensahla, concluons par ces vers d’Ibn Quzman : « L’amour ne peut naître ailleurs que dans le regard- Tu vois des yeux splendides, nés de l’œuvre d’un magicien- Ils te dérobent la raison et de ta constance te dépouillent- Ton cœur, dès lors, ne t’appartient plus, c’est un captif enchaîné ».
Pour terminer cette analyse sur le texte d’Ibn Sahla, peut-on comparer à la tumultueuse passion d’Ibn Zaydoun et de Walladâ où les succès de ses rivaux lui font perdre le sens de la mesure. Il y parviendra en vilipendant son rival, Ibn’Abdous, qui renoncera pour un temps à la compagnie de Walladâ.
Dieu ne saurait consentir à apaiser un cœur rebelle à ton souvenir, un cœur qui aurait renoncé à prendre son envol, palpitant sur les ailes du désir.
Et si la brise matinale accepterait de m’emporter dans son sillage, elle te livrerait un garçon laminé par les épreuves traversées. Bensahla est-il consolé par les conseils du Taleb ? Cette compassion ne peut adoucir sa passion. Voici donc un Ben Sahla qui grâce à la passion qu’il éprouve pour Aïcha, va continuer à recourir à ce Taleb.
Et combien de fois avait-il eu recours à ce Taleb, à ces yeux remplis de magie noire, qui ne peut donner remède à son rival ? Telle est la chanson d’Ibn Sahla « Khatri bel Djafa Taâdab ». Tlemcen nous a légué ce répertoire Hawzi que Constantine entonne dans l’Antique Cirta.
Dr Boudjemâa Haichour,
Chercheur Universitaire
نص القصيدة
خاطري بالجفا تعذب
لابا ينسى هذا الغزالة مسبوغة الشفار
نارها في الكنين تلهب
حرقت قلببي وجيحت غصني ذبال
ما صبت طبيب لغرامها
عييت نسال واين دواك يا الطالب
غاب دواك يا سيدي الطالب
يالطالب عيدلي لربي مريض الحب كيفاش يبرى
غاب دوايا وغاب طبي و فنيت و لا وجدت صبرا
عمدا لي يا حبيب قلبي لهبت في الكنين جمرة
كان نتايا طبيب حربي سبب و افهم الاشارة
لحق الجدول بصوابي انظر في كتابك و اقرا
شوفلي في الكتاب و احزر
كان نتايا طفيت عني هذا المشعال
ذاك اللي شرطت واجب
نضحى عندك خديم مملوك بلا مال
تكسب و لا تبيع في يد الدلال
واين دواك يا الطالب غاب دواك يا سيدي الطالب
يا الطالب في كتابك انظر حروف الجد و المحبة
اكتبهم لي وكن شاطر بيهم ربي يدير سبة
يهدي طبع غزال الخاطرليا وتزول كل كربة
طال رجايا عييت صابر ما بعد غريب كغرية
طال رجايا فنيت من التعب
التعب لي تعبتو زعما باش ننال
صارلي كي اللي يسبب
روحت موخوذ لاربحت ولا راس المال
قفلت التعب و الشقاء هذال اللي ننال
واين دواك يا الطالب غاب دواك يا سيدي الطالب
قال الطالب شوف ليا عمبالك يا عشيق عمدا
ياما جرعت من منية وما باقي تزيد مدة
لكن نوصيك هذه الوصية اصبر و الصبر ليك عمدا
و اطلب من عالم علم الخفية شي اللي تريد به يسلى
اسال ربي الكريم و ارغب سميع بصير كريم حليم
لا يبخل من سال عالم ما في القلوب راقب
اصبر لقضاه كيفما تصبر الجمال للوطان تسير
لا غنى تنزل الاحمال
واين دواك يا الطالب غاب دواك يا سيدي الطالب
. يا الطالب كان كونت حاكم اقبل عذري وساعف امري
قولك من غير قول عالم به تقوى وزاد ضري
ما ننساشي زينة السمايم هي عقلي وضو بصري
نهواها مير العوارم من غيري فنات عمري
اه ماذا نزيد في الحب نخدم من هو خديم في طوع ام الدلال
لعل البعيد يقرب اذا حن الحنين يا عارف الامثال
يعطب من هو صحيح و يداوي المعلال
واين دواك يا الطالب غاب دواك يا سيدي الطالب
قال الطالب اصبر عليها اسمع لوصايتي تفيدك
انهِ قلبك اذا تفكرها انساها كيف ما نساتك
عمرك ضاعت في هجرها و تبدل ياعشيق لونك
بطلت صوالحك عليها مضات ايام من زمانك
خذ رايي و لا تكذب
اسمع لاهل العقول كيف تضرب لامثال
ليس مر يعود طيب اصبر لعذابها حتى يزال
اترك ما هو صعيب و اتبع ما يسهال
واين دواك يا الطالب غاب دواك يا الحاكم
.قال الطالب حصلت حصلة في شركة قيس يا العارف
قيس عاد يرتجى في ليلى خانت في عهدها العاكف
وانت اتبع في الخليلة عامين و لا بغات تعطف
تلقاها ما جبرت حيلة ربي بيا وبيك يلطف
راه ربي الكريم راقب
اذا هولت خاطري اشد التهوال
ضاق امري وصرت راهب
لو نحكي هموم قلبي لشواهق الجبال
يذوبو من محايني او يضحاو رمال
واين دواك يا الطالب غاب دواك يا الحاكم
يا الطالب لو نعيد همي لحبيبي يذوب من شكايا
كف خطابي ختمت نظمي نشهر اسمي و مرتجايا
بن سهلة ما خفيت اسمي لبدة نواح من شكايا
في القلب تركت همومي و اقدات نار في حشايا
ااه من لا ذاق ليعة الحب
اعذروني لا تلوموني في هاذ الحال راني في الممات غالب
حبيب القلب طول عليا الوجاع لا قتلني ولا حيني بالوصال
واين دواك يا الطالب غاب دواك يا الحاكم.