Décédé le 18 octobre 1983 : Tewfik El Madani, le phare qui a éclairé bien des consciences durant la colonisation.
Qui est Ahmed Tewfik el-Madani ? Disons d’abords, qu’il s’agit là, homme qui a consacré sa vie à l’indépendance du pays et à son émancipation une fois la liberté recouvrée. Et pour mieux le « connaître », nous sommes allés fouiner ici et là, notamment du côté des historiens qui sont unanimes à affirmer, sans exagération aucune, qu’Ahmed Tewfik El Madani compte depuis le début du XXe siècle parmi les personnalités éminentes de l’histoire de l’Algérie eu égard à « ses efforts importants et constants » dans l’écriture et la recherche.
Pour Abdelmadjid, Chikhi, son livre Géographie de l’Algérie, élaboré à l’occasion du centenaire de l’occupation de l’Algérie, se voulait « une réponse claire en cette période décisive pour faire connaître les aspects historiques, sociaux, culturels et économiques de l’Algérie ».
Fin connaisseur de l’Histoire de l’Algérie, Abdelmadjid Chikhi directeur général des Archives nationales, conseiller auprès du président de la République, chargé des archives nationales et de la mémoire, qui intervenait lors d’une conférence organisée à l’occasion du 62 e anniversaire de création du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), tenu en septembre dernier, n’a pas tari d’éloges à l’endroit de celui qu’il considère comme le phare qui a éclairé bien des consciences durant la colonisation.
Pour le DG des Archives nationales, Taoufik El-Madani n’a pas eu les égards dus à son engagement à la lutte pour l’indépendance du pays. Ancien ministre et ambassadeur, « TaoufikEl-Madani a tout fait pour faire connaître l’Algérie sous ses véritables aspects : sociologie, politique, géographie et ce durant les années 1930.
C’est dire que sa maturité et son sens du patriotisme ont fait de lui un phare qui a levé le voile sur les connaissances erronées propagées à dessein par le colonialisme français », a indiqué Abdelmadjid Chikhi à propos de ce grand visionnaire et non moins moudjahid de la première heure. Le DG des archives nationales a indiqué que « le défunt est le premier à se consacrer aux archives en traduisant vers l’arabe des documents ramenés de Turquie au début de l’indépendance du pays ».
Ahmed Taoufik El-Madani est né le 1er novembre 1898 à Tunis, de parents algériens, et décédé le 18 octobre 1983 à Alger. Il fut un historien et homme politique algérien, et il était connu aussi pour avoir participé à la création de l’Association des oulémas musulmans.
Dans son livre, on peut lire que cette association est le fruit du génie de quatre personnes. « Nous étions quatre, pas un cinquième avec nous. » Les trois « glorieux » comme les a appelés Ahmed TaoufikEl-Madani étaient cheikh Mohamed El Assimi, « un savant, homme de lettres, cultivé, multi genre, qui s’adapte avec n’importe quelle communauté ». Le deuxième était «Omar Ismail, il était populaire, intelligent, ambitieux, il n’avait pas beaucoup d’informations mais beaucoup d’idées, un travailleur. On dit de lui qu’il est devenu riche pendant la Première Guerre mondiale, d’un commerce dont on connaît pas la provenance ». Pour le troisième c’est Mohamed Ababssa.
« Il est de Biskra, un poète qui maitrise la langue arabe avec son dialecte local, c’était un grand réconciliateur, connu pour son hyperactivité, enthousiaste, son enthousiasme le pénétrait dans des dédales ». D’après l’auteur du livre, ces quatre hommes se sont mis d’accord, autour d’un thé sucré, pour la concrétisation d’une association qui rassemble les savants musulmans algériens en Algérie.
« El Assimi a dit, pourquoi ne pas l’appeler « association des oulémas musulmans algériens », delà fut l’appellation. Quant à Omar Ismail, il avait proposé d’« offrir 1000 francs (plus de 1000 dinars algérien), comme cadeau à celui qui réalise le projet de création de l’association ». « J’avais dit à El Assimi : alors écris à Echihab et mets-les au courant du sujet, annonce-leur aussi le prix de 1000 francs, et renforce les déterminations», indique Ahmed Taoufik El-Madani dans son livre. L’idée a été bien accueillie par les savants algériens.
« Nous avons reçu de nombreuses lettre des oulémas, et des élèves qui demandaient plus d’éclaircissement sur le sujet, que le grand Ibn Badis nous a transférés », ajoute l’auteur. Ibn Badis a été désigné par la suite président de cette association. Une précision qui s’impose. L’auteur affirme également, dans ce même livre qu’Abdelhamid Ibn Badis avait refusé d’être à la tête de cette association en raison de considérations personnelles. Mais après insistance, « contraint, il avait accepté ».
Une vie de combat
Ahmed Tewfik El-Madani a le paradoxe d’avoir été obligé de quitter un pays pour l’autre dans des directions opposées, la première fois, juste après le mouvement de résistance d’El Mokrani, où ses parents avaient été sommés de quitter l’Algérie, puis lui-même allait être exilé en 1925 vers l’Algérie.
A Alger, en contact avec Abdelhamid Ben Badis, il sera l’un des fondateurs de l’Association des oulémas algériens. C’est lui d’ailleurs qui a rédigé les statuts de l’organisation. En 1956, il avait pris la direction du Caire. Là, il allait prendre la direction du bureau des affaires arabes du FLN avant d’être nommé ministre des Affaires culturelles du GPRA, puis celui des Habous dans le gouvernement d’Ahmed Ben Bella juste après l’indépendance avant d’être désigné comme ambassadeur.
Homme politique, témoin et acteur de l’Histoire de l’Algérie, TewfikEl-Madani a durant toute sa vie été présent sur tous les terrains où s’affirmait la revendication nationale. D’ailleurs, son premier travail sérieux est une réponse à certains historiens qui prétendaient que l’Algérie était une création récente, c’est-à-dire un rejeton romain. Il utilise une documentation impressionnante et arrive à rejeter – preuves à l’appui – cette thèse bouffonne et découvre que le peuple algérien, à travers le combat des circoncellions, avait combattu Rome pendant environ six siècles. C’était sa première contribution à l’histoire de l’Algérie.
Il avait 26 ans quand il avait publié ce travail, c’est-à-dire un âge où on n’est souvent pas près de se lancer dans une grande aventure de cette importance. Turbulent, subversif, jusqu’à son dernier petit doigt, il connait l’exil, la prison et l’espoir. A 16 ans, il fait la connaissance d’une petite cellule d’une prison infecte de Tunis. Quatre années de tôle pour avoir activement participé à une manifestation anticoloniale.
L’armistice de 1918 lui permet de rejoindre la vie politique. Il fonde, avec quelques amis, le Parti Destourien. Il est son secrétaire général adjoint. En 1925, de grandes manifestations sont réprimées à Tunis. Les autorités coloniales l’exilent en Algérie ou plutôt le renvoient dans son propre pays qu’il servira d’ailleurs en occupant divers postes politiques et en tentant d’écrire son Histoire.
Cofondateur de l’Association des oulémas avec Abdelhamid Ibn Badis qu’il rencontre vers le début des années 1920, il représente l’aile éclairée et progressiste de cette organisation qui avait pour objectif essentiel la défense de la personnalité et de la culture algériennes. Il participe d’ailleurs en 1927 à la création du Nadi Ettaraqi (Cercle du Progrès et de l’évolution) qui sera, par la suite, un extraordinaire lieu de rayonnement culturel. Sa rencontre avec Ibn Badis lui permet de mieux saisir le pouls de la réalité politique algérienne. Ses articles dans Echihab et El Bassaïr où il expose le point de vue de l’Association des oulémas font de lui un homme politique averti. « (…) Tewfik ElMadani a été un grand témoin et un acteur privilégié de l’Histoire de l’Algérie des 70 dernières années.
L’exil et l’alphabet lui ont appris l’alphabet de l’espoir et la quête de temps nouveaux où l’Algérie n’aura pas de peine à se reconnaître dans son originalité et une citoyenneté à conquérir, un combat à mener. C’est vrai, les recherches sur la période ottomane, sa tentative de dédouaner les Ottomans sont très discutées. Et c’est là justement, le propre de tout travail de recherche.
Les résultats de son travail restent sujets à débat. Qui a connu cet homme – de près ou de loin – comprendra que c’est par patriotisme qu’il s’est engagé dans cette difficile tâche qu’est l’écriture-lecture de notre Histoire.
Même parti, Tewfik El-Madani n’est pas absent, il est présent dans tous les contours de la vie intellectuelle et culturelle. Ce n’est pas du tout là une notice nécrologique comme il est coutume de faire quand quelqu’un disparaît de cette terre. Mais acte et affirmation d’une présence ».
Le combat par la plume : L’Histoire de l’Algérie, le livre référence
Cet ancien étudiant de la Zaytouna à Tunis est l’auteur de 22 ouvrages dont Histoire de l’Afrique du Nord, ou Carthage en quatre siècles, Le Livre de l’Algérie, Les Musulmans en Sicile et dans le sud de l’Italie, La Géographie de l’Algérie et Ibn Khaldoun et l’Algérie, Une vie de combat, souvenirs : première partie en Tunisie, 1905-1925. Il a aussi publié une pièce de théâtre, Hannibal, jouée par la troupe de Mahieddine Bachetarzi, il admirait Shakespeare dont il a traduit quelques textes. On ne peut parler de Tewfik El Madani sans évoquer l’émergence de la science historique en Algérie.
Les deux premières décennies du vingtième siècle constituèrent sans aucun doute les premiers moments, certes très agités, du mouvement nationaliste algérien. Plusieurs écrits virent le jour. Les historiens publièrent ainsi leurs travaux. Les politiciens entamèrent la diffusion de leurs idées. Moubarak el Mili (1889-1945), Tewfik El-Madani (1898-1983) et Si Ammar-ou-Saïd Boulifa (1863-1931) proposèrent une autre lecture de l’Histoire de l’Algérie. Ce nouveau regard porté sur l’histoire de l’Algérie fut l’expression des revendications nationalistes. On comprit la nécessité d’affirmer l’existence de la nation algérienne. L’Histoire fonctionnait comme un révélateur du discours nationaliste, participant de la prise de conscience nationale et portant la contradiction au discours colonial. L’intelligentsia nationaliste de l’époque, en rupture avec les assimilationnistes, tentait par tous les moyens d’imposer un discours parallèle à l’école coloniale. Le sentiment nationaliste guidait toute approche historique.
Aux relents intégrationnistes et assimilationnistes, des élus musulmans et d’autres intellectuels s’opposaient la quête et à l’affirmation de l’identité prônée par les oulémas et et l’ardent désir d’indépendance des militants du PPA.
Ahmed Tewfik El-Madani fit publier en 1932 une Histoire de l’Algérie, très fouillée et très documentée remettant en question certaines thèses développées par des historiens français. Il en parlait ainsi : « Ceux qui, par courte vue, manque d’étude et de connaissance du milieu algérien, pensent qu’il est possible avec le temps de faire de ce peuple musulman foncièrement nationaliste un peuple français dans ses coutumes, ses mœurs, son organisation, sa langue, ceux-là sont des gens qui se bercent de l’illusion de voir midi à quatorze heures. »
Le discours d’historiens comme Moubarak El Mili, Saïd Boulifa et Ahmed Tewfik El Madani marqua une étape importante dans l’historiographie algérienne et permit de ridiculiser les élus indécis, ballottés entre leur refus de la situation coloniale et la crainte de déplaire aux autorités, réalité qui les obligea à porter un masque et à dissimuler leur impulsion de « refus » par des déclarations louant la France et les actions menées en Algérie.
Ferhat Zafane