Décryptage Bas les masques !
Mieux vaut tard que jamais. C’est ce qu’on est tentés de se dire à la lecture du rapport, fort accablant, sur les méthodes sournoises et monstrueuses qu’utilise le Maroc pour étouffer dans l’œuf toute forme de contestation et/ou d’expression libre. Le document rendu public ce jeudi par l’ONG HRW (Human Rights Watch), détaille tout le long d’une très instructive lecture le modus operandi développé depuis au moins une dizaine d’années par le « monsieur sécurité » du roi Mohamed VI, le sinistre Abdellatif Hammouchi. Cette exclamation déclinée en préambule, parce que nous avons investi une infinité de temps et d’énergie à dénoncer ces pratiques, témoignages et documents à l’appui. Claude Mangin, épouse du détenu politique sahraoui Naama Asfari, connait sans doute mieux que personne ce régime menteur et hypocrite. Dans l’entretien-fleuve qu’elle nous a accordé, elle affirme que ce régime, en apparence assaini, démocratique et expurgé des pratiques criminelles de Hassan II, est en réalité bien pire que celui qui prévalait sous le règne de ce dernier. Il est pire, car il se drape d’oripeaux clinquants et enluminés, qui éblouissent et gênent la vue. La vie aussi. Celle des militants pacifistes tant sahraouis que marocains. Le modus operandi est bien établi et systématique. Le pouvoir marocain « écrase toute opposition » à travers l’application méthodique d’un « véritable manuel » de « techniques indirectes et sournoises » tout en s’efforçant de préserver son image de « pays modéré et respectueux des droits », détaille l’organisation Human Rights Watch (HRW) dans un rapport, publié jeudi 28 juillet. L’enquête, fondée sur des entretiens avec près de 90 personnes et l’analyse de douze procès impliquant huit journalistes ou intellectuels, est la première recherche d’envergure sur la méthodologie employée par le régime de Rabat ces dix dernières années pour « museler les voix critiques » et « effrayer tous les détracteurs potentiels de l’Etat ». Derrière les dossiers apparemment épars des journalistes Omar Radi, Hicham Mansouri, Soulaimane Raissouni, Hajar Raissouni et Taoufik Bouachrine, des militants des droits de l’homme Maati Monjib et Fouad Abdelmoumni ou de l’avocat Mohammed Ziane, les mêmes procédés de surveillance policière, d’intimidation médiatique et de harcèlement judiciaire sont à l’œuvre, décrypte le rapport intitulé « “D’une manière ou d’une autre, ils t’auront” : manuel des techniques de répression au Maroc ». Cette « série de techniques (…) employées en combinaison forme un écosystème de répression », résume le rapport de HRW. Ces techniques «forment un écosystème de répression visant non seulement à museler les voix critiques, mais aussi à effrayer tous les détracteurs potentiels de l’État» marocain, observe l’organisation de défense des droits humains basée à New York. Dans ce document de 141 pages, elle s’appuie sur l’étude détaillée des cas de huit journalistes et opposants pour étayer «les failles procédurales entachant le traitement de ces affaires» qui sont, en réalité, «des attaques politiques déguisées». Parmi les cas les plus connus: ceux d’Omar Radi et Soulaimane Raissouni, deux journalistes indépendants condamnés en appel en 2022 respectivement à six ans et cinq ans de prison pour «agressions sexuelles» (et «espionnage» pour le premier). Un autre journaliste, Taoufik Bouachrine, éditorialiste arabophone influent, incarcéré depuis 2018, a écopé de 15 ans de prison pour «viol» et «traite d’être humain». Tous les trois nient ces accusations, affirmant être visés pour leurs opinions critiques vis-à-vis du pouvoir. Aucun expédient ne rebute les bourreaux de Hammouchi. Avec ces néonazis assumés, la torture cesse d’être seulement physique. On entre dans la vie des gens. On fouille leur intimité. En siphonne leurs mails, photos et conversations téléphoniques. On déclenche à distance les caméras et les enregistreurs vocaux des malheureuses personnes visées. Ces méthodes cruelles, et à nulles autres pareilles, suffisent à glacer le sang, et à inhiber toute volonté de continuer de se battre. On courbe l’échine tout simplement, en se rappelant que l’on a pu être filmé à son insu, en compagnie de sa femme, ses enfants, ses amis, et que sait-on encore… si cela ne suffit pas, le Makhzen finance des dizaines de « médias-barbouzes, dont certains s’en sont même pris à l’un de nos journalistes, et qui continue d’être suivi à la trace. Ces faux médias, amateurs d’invectives et de diffamations, étalent en public votre vie privée, votre linge sale. Car, qui n’en a pas ! Quoique moralement et légalement réprouvée, la méthode est éprouvée. Elle permet l’assassinat politique, médiatique, professionnel et social des personnes visées. On leur sort des frasques dedans lesquels les mensonges éhontés sont subtilement mélangés à pas mal de vérités axiomatiques. Untel dit que Omar Radi a trahi son pays en collaborant avec une puissance étrangère. Il dit aussi que ce journaliste a mené des études et donné des conseils à des citoyens belges ou allemands. Dur, dur, de séparer le bon grain de l’ivraie. Fort de son Pegasus, et du logiciel espion que lui a secrètement fourni l’UE sous le fallacieux prétexte de lutter contre l’émigration clandestine. Désormais, à la vue de ce rapport détaillé et accablant, plus personne ne pourra dire qu’il ne savait pas. Non, plus personne…
El Ghayeb Lamine