Eclairage prospectif
Présidentielle française : Et si c’était Le Pen
Par Mohamed Abdoun
Beaucoup d’analystes et d’observateurs sont allés très vite en besogne pour conclure que le second tour de l’élection présidentielle française était tranché. Carrément joué d’avance. Or, rien n’est plus faux que cette vision simpliste et manichéenne. Le scénario de 2017, qui avait vu Marine Le Pen s’effondrer face à un Emmanuel Macron conquérant et sûr de ses effets de manche, ne risque certainement pas de se reproduire. Lors du premier tour de la présidentielle de 2017, quatre candidats avaient réalisé entre 20 % et 24 % des voix : autant dire que de nombreux seconds tours étaient possibles et auraient pu se produire, au sein d’un paysage politique et idéologique profondément morcelé. Jusqu’au dernier moment, les électeurs de 2022 ont, eux aussi, à faire face à des incertitudes considérables, et en particulier à un choix entre un second tour entre l’extrême droite et la droite, car au fil de ses cinq années de gouvernance élyséenne, Macron a fini par virer du centre-gauche ver la droite. En revanche, on assiste à un total naufrage des courants politiques classiques qui pouvaient trancher et se montrer déterminants lors des seconds tours de toutes les élections présidentielles sous la Ve République française. En France, les données politiques ont changé du tout au tout. La « droitisation » de l’électorat et du discours politique français s’est particulièrement affirmée et accentuée durant la précampagne électorale, car en fait, il n’y a pas eu de campagne du tout. Et le droit des Français de savoir, d’être respectés, a été allègrement foulé aux pieds par le président-candidat. Avant de nous appesantir sur ce sujet précis, force nous est d’admettre que l’irruption d’Eric Zemmour dans le débat politique a fait sauter pas mal de verrous, et décomplexé le discours politique concernant l’émigration ainsi que l’identité française. Mieux, pu pire c’est selon, un puissant bloc électoral anti-immigration a fini par se former. Il va peser très lourdement pour déterminer l’issue finale de ce second tour. A ce propos, le soutien de Zemmour à Le Pen pèse beaucoup plus lourd que celui de Pécresse et des Républicains, désormais en pleine agonie. Macron, qui s’est « droitisé » lui-même en méprisant le peuple et la démocratie. Il a en effet pris prétexte de la guerre ukrainienne pour refuser tout débat public avec le restant des candidats. Il est tenu de s’y coller désormais. S’il se confine dans son silence méprisant à l’endroit des électeurs, c’est Marine Le Pen qui pourrait imposer son tempo et ses thèmes finaux de campagne. Une accentuation de ce virage à droite initialement constaté pourrait alors en résulter. Aussi, Macron est-il tenu de marquer l’opinion et de sceller le débat à son avantage. Seules des mesures sociales et économiques hardies pourraient l’y mener. Or, rien n’est moins sûr. Macron a déjà grillé l’ensemble de ses cartes dans ce domaine précis. Toutes les mesures qu’il pourrait annoncer manqueraient dès lors de crédibilité, et pourraient même se retourner contre lui. Le Pen, elle, qui a consacré ses dix dernières années à soigner son image et à se « dédiaboliser », sait mieux que personne que c’est son heure ou jamais. Ici, les prédictions et les sondages s’avèrent muets et aveugles. La France n’a jamais eu à subir une pareille déconfiture : avoir à choisir entre la peste et le choléra. En attendant, une surprise Le Pen est d’actualité. Aujourd’hui plus que jamais…
M.A.