Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique
Entretien avec M. le ministre, Pr Abdelbaki Benziane
Enseignement supérieur, la locomotive de tout développement
Propos recueillis par Tahar Mansour
Nous pouvons dire que le secteur de l’enseignement supérieur est non seulement la locomotive qui tire tout le train du développement économique, social, comportemental, de la santé et de tous les secteurs confondus, mais il est la lumière qui les guide vers l’émancipation, vers l’indépendance et les cimes du savoir et du savoir-faire.
Le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, Pr Abdelbaki Benziane, a bien voulu répondre à nos questions pour … éclairer nos lecteurs sur l’importance de ce secteur, sur les actions qu’il a entreprises et qu’il entreprendra pour accomplir les nobles et stratégiques missions qui sont les siennes.
La Patrie News : Nous savons tous que le secteur de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique est le pilier principal pour relancer le développement et arriver à l’indépendance dans tous les secteurs (sécuritaire, alimentaire, social, …), quelles sont les mesures qui ont été prises pour que ce secteur joue pleinement son rôle ?
Pr Abdelbaki Benziane : je remercie La Patrie News pour l’intérêt qu’elle porte au secteur de l’Enseignement et de la recherche scientifique afin de mettre en lumière toutes les réalisations faites et qui sont contenues dans le programme sectoriel qui s’appuie en premier lieu sur l’amélioration de la formation universitaire, de la qualité de la recherche scientifique et de la gouvernance, ainsi que l’ouverture sur l’environnement socioéconomique national et international pour une meilleure visibilité des institutions universitaires. Pour ce faire, nous avons préparé des programmes dans le court, le moyen et le long terme, dans lesquels nous avons réaffirmé que le secteur de l’enseignement supérieur est la locomotive du développement durable car c’est lui qui forme les compétences pour tous les autres secteurs. Ainsi, tout le travail que nous avons accompli depuis juillet 2020 et jusqu’à maintenant permet de se rendre compte de tout le chemin parcouru dans la mise en œuvre des programmes que nous avons tracés, et nous sommes actuellement dans la phase des réformes profondes du secteur, des réformes dans la formation, dans l’organisation des institutions universitaires.
Parmi les premières réformes que nous avons engagées jusque-là, nous avons commencé par signer des conventions avec le secteur socioéconomique car l’objectif est de bâtir des ponts entre l’université et les entreprises économiques par le biais de la recherche scientifique, du développement technologique et de l’innovation. Tout ce que nous avons réalisé jusqu’à maintenant va dans le sens du soutien multiforme au chercheur, à l’étudiant, à l’industriel, et nous sommes ouverts sur tous les secteurs économiques avec lesquels nous avons réalisés des projets de recherches en partenariat avec eux, dont les Programmes Nationaux de Recherches (PNR) sont l’émanation directe et qui sont à leur deuxième année d’exécution, grâce auxquels nous avons pu prendre en charge de nombreuses préoccupations du secteur économique. C’est là notre but, celui de prendre en charge toutes ces préoccupations et y répondre en donnant des solutions scientifiques car c’est là la mission première de l’université envers le secteur socioéconomique.
La Patrie News : L’université a commencé à s’ouvrir sur son environnement social et économique, où est passée cette ouverture et quels sont les résultats enregistrés jusqu’à présent ?
Pr Abdelbaki Benziane : les premières réformes que nous avons engagées consistent en l’adaptation de la formation, il faut rappeler que, depuis 2008, il y avait un vide juridique en ce qui concerne la formation dans les institutions de l’enseignement supérieur et c’est pour cela que nous avons présenté une réforme de la formation et nous avons prix en compte toutes les formations demandées actuellement (LMD, Ingénieur, sciences médicales, sciences vétérinaires, architecture) et pour lesquelles nous avons mis en place une législation unique qui prend en compte toutes les lacunes et les déséquilibres qui sont apparus dans l’évaluation de l’enseignement supérieur. En outre, nous avons mis en place des modes de formation autre que le présentiel, comme l’enseignement à distance, l’enseignement alternation (théorique à l’université et pratique dans les entreprises économiques), la mobilité de formation, etc… Tous ces nouveaux modes de formation que nous avons mis en place donnent une flexibilité de la formation et aident beaucoup les entreprises économiques, tout en mettant en avant la nouvelle vision que nous avons de la relation entre l’université et son environnement socioéconomique.
La Patrie News : la recherche scientifique en Algérie, et ailleurs, est d’une grande importance pour le développement de tous les secteurs. Peut-on la vision de votre secteur pour développer la recherche scientifique et atteindre les objectifs fixés ?
Pr Abdelbaki Benziane : j’ai déjà affirmé que la recherche scientifique et le développement technologique sont d’un grand intérêt pour le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique et ont été inscrits dans le programme du ministère et du plan du gouvernement 2021/2024. Nous avons donné une grande importance à la recherche scientifique car c’est le trait d’union entre l’enseignement supérieur et le secteur socioéconomique, c’est par la recherche scientifique que nous pouvons répondre aux préoccupations des industriels et de tout le secteur socioéconomique, d’ailleurs le premier projet dans le cadre des réformes que nous avons entamées, à trait aux PNR (Programmes Nationaux de Recherche) qui s’étalent sur une période de 5 années (2021/2025). Ces PNR prennent en compte les priorités du gouvernement, au nombre de trois, la sécurité alimentaire, la sécurité énergétique et la santé du citoyen. Nous avons mis en œuvre, dans la première phase, 150 projets, soit 50 projets pour chaque thème et ce qui caractérise ces PNR, c’est que les chercheurs qui y sont engagés proviennent à 50% de l’enseignement supérieur et 50% du secteur économique, ce qui permet d’étudier toutes les préoccupations et d’y apporter des solutions, tout en impliquant de manière très forte le secteur socioéconomique. En effet, auparavant, l’entreprise mettait sa préoccupation sur le tapis mais était absente lors de la recherche de solution, contrairement à la nouvelle règlementation que nous venons de mettre en place et qui implique totalement l’entreprise. Grâce à cela, nous mettons en valeur les résultats des recherches et nous les mettons à la disposition du secteur socioéconomique, le gros problème qui existait jusque-là est la non-communication entre les deux secteurs et, même si la solution aux préoccupations existe, elle n’était pas connue du secteur utilisateur.
La Patrie News : Tous les secteurs tendent vers la généralisation des technologies de communication et de la numérisation, qu’en est-il du secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique ? Ainsi que sur le processus d’enseignement à distance qu’il a été décidé de poursuivre jusqu’après la pandémie de Covid19, où en êtes-vous ?
Pr Abdelbaki Benziane : même si la pandémie de covid19 a été, en ce qui concerne le côté santé plutôt difficile, elle a participé d’un autre côté, à mettre en application l’enseignement à distance qui n’était pensé et utilisé qu’au niveau de quelques institutions qui en avaient les moyens humains et matériels. A cause de la pandémie, nous avons généralisé l’enseignement à distance car nous devions trouver une solution radicale au fait que les étudiants ne pouvaient pas assister aux cours ni aux TD car il y avait des restrictions sanitaires à respecter, et si nous n’avions pas utilisé l’enseignement à distance, nous n’aurions pas pu terminer l’année universitaire, sans oublier que, chaque année, l’université avait 400 000 diplômés (250 000 licences et 150 000 masters) qui n’aurait pas pu avoir leurs diplômes. C’est ainsi que l’enseignement à distance s’est imposé dès la première année, puis la deuxième. Durant ces années, nous avons pu constater l’apport de ce mode d’enseignement, malgré les lacunes constatées, aussi bien au niveau national qu’international. Devant cela, nous avons décidé de continuer d’utiliser l’enseignement à distance, un mode comme un autre, d’autant plus qu’il y a une plateforme numérique qui contient des conférences et des cours (800 cours en tronc commun) que tout étudiant peut consulter pour compléter son enseignement ou pour pallier à des absences ou à une impossibilité de suivre les cours en présentiel.
La Patrie News : L’ouverture à l’international est nécessaire pour l’université algérienne. Merci de nous parler de cette ouverture.
Pr Abdelbaki Benziane : en effet, l’ouverture vers l’international est nécessaire pour l’université algérienne qui ne peut se suffire à elle-même et se doit de s’ouvrir à l’international pour qu’elle puisse s’auto-évaluer et avoir plus de visibilité. J’ai rencontré, juste pour cette année, 25 ambassadeurs d’Amérique, du Canada, d’Europe, d’Afrique, d’Asie et de pays arabes, nous avons aussi eu l’occasion de raffermir les liens avec les universités arabes dans le cadre de la 18ème rencontre des ministres arabes de l’enseignement supérieur qui s’est tenue à Alger, ce qui nous donné une autre vision de ces relations, notamment avec des pays avec lesquels nous n’en n’avions pas. Nous avons aussi signé des conventions avec un bon nombre de pays arabes. Nous avons aussi profité des visites de M. le Président de la République au Qatar, en Turquie, en Egypte, pour signer des accords et des conventions avec le secteur de l’enseignement supérieur dans ces pays.
La Patrie News : Votre ministère projette la création d’une agence d’accréditation et de qualité. Peut-on savoir quelles sont ses missions ?
Pr Abdelbaki Benziane : bien sûr, et comme je l’ai annoncé, nous sommes en train de mener des réformes profondes, nous avons commencé par la formation, puis l’organisation et la gestion des institutions universitaires, dans le cadre notamment des recommandations et des instructions de M. le Président de la république, pour plus d’indépendance de l’université du côté financier et de formation. En parallèle à ces projets législatifs et organisationnels, nous avons présenté d’autres projets, dont l’assurance qualité qui a une grande importance dans les résultats scientifiques car elle représente l’évaluation externe qui doit être menée par une institution externe à l’université, ce qui nous a poussés à penser à la création d’une Agence Nationale d’Assurance Qualité qui s’occupera justement de cette évaluation extérieure, qui sera en liaison avec le projet d’entreprise. Ceci pour accompagner les mutations tant au plan interne qu’international, car l’institution universitaire ne pas être en-dehors de ces mutations car nous sommes obligés de nous adapter aux évolutions nationales et mondiales.
Nous avons aussi un autre projet qui est ‘l’open university’ que l’université de l’enseignement continu aura à mettre en œuvre, du moins en ce qui concerne l’enseignement à distance. Nous allons d’ailleurs préparer des plateformes, des cours qui seront diffusés par l’université de l’enseignement continu que les étudiants pourront consulter à travers le territoire national.
La Patrie News : Le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique a inauguré deux écoles nationales, la première pour l’intelligence artificielle et la seconde pour les mathématiques. Quelle est la mission de chacune ?
Pr Abdelbaki Benziane : ces deux écoles étaient un projet de M. le président de la république et un challenge pour nous. Le projet a été mis sur la table en avril 2021 et, le 12 octobre, il avait déjà été réalisé et les deux écoles ont accueilli les premiers étudiants, c’est-à-dire dans une période très courte, malgré la pandémie (nous sortions à peine de la 3ème vague de covid19). Nous avons donc relevé le défi et nous étions au grand rendez-vous, sans aucun retard. Nous avons commencé par ces deux filières car elles sont d’une importance capitale, l’intelligence artificielle étant ouverte à tous les secteurs et les mathématiques sont pratiquement délaissées par de nombreux pays. L’Algérie a donc décidé de reprendre les choses en main et nous nous sommes entendus avec M. le ministre de l’éducation pour soutenir les mathématiques au niveau de l’enseignement moyen et du secondaire. Il ne faut pas oublier qu’actuellement, parmi les étudiants dans les universités, plus d’un million sept cent mille, 60% sont spécialisés en sciences humaines et seulement 40% en sciences techniques et nous voulons arriver au moins à 50% pour chaque spécialité.
Outre ces deux écoles, il y a aussi l’agriculture saharienne qui fait l’objet des orientations de M. le président de la république pour laquelle une école supérieur de l’agriculture saharienne sera lancée à Adrar, une autre à El Oued et qui commenceront à dispenser les cours dès la prochaine rentrée universitaire.
Il y a enfin un troisième projet d’école supérieure qui a fait l’objet d’orientations de M. le président de la république et que nous sommes en train de concrétiser sur le terrain, il s’agit de l’Ecole de formation de formateurs pour sourds-muets. Cette école entamera ses cours dès la prochaine rentrée universitaire et sera spécialisée dans la formation d’enseignants du secondaire pour sourds-muets. Les candidats devront être titulaire d’une licence et suivre deux années de formations dans cette spécialité.
La Patrie News : La mise à la retraite des enseignants-chercheurs et des chercheurs permanents lorsqu’ils atteignent l’âge de soixante-dix ans a suscité une incompréhension de la part des concernés. Pouvez-vous nous préciser ce qu’il en est réellement ?
Pr Abdelbaki Benziane : il y avait seulement un malentendu au début, que nous avons dissipé après des explications. Il faut dire que l’enseignant, comme tout fonctionnaire, arrive à une phase où il doit s’arrêter car il ne peut plus accomplir sa mission d’une manière complète. Il faut aussi rappeler que les professeurs de l’enseignement supérieur avaient une dérogation pour continuer à travailler au-delà de l’âge légal, c’est-à-dire 60 ans, cette dérogation a été accordée car, en 1997, si tous les enseignants universitaires avaient été mis à la retraite, il y aurait eu une véritable hémorragie dans le secteur, la grande majorité des encadreurs du doctorat et du magister à cette époque avaient plus de 60 ans et cela aurait eu des conséquences incalculables à tous les niveaux. Mais les choses ont changé aujourd’hui et les professeurs de rang magistral représentent 47% de l’ensemble des professeurs de l’enseignement supérieur, alors qu’il y a 20 ans, ils n’étaient que 21%. Dans ce cas donc, la dérogation n’a plus sa raison d’être et il a été décidé de mettre à la retraite tous les enseignants non-chercheurs ayant atteint l’âge légal car, nous avons expliqué que la recherche n’avait pas d’âge, car pour la recherche il y a des contrats signés entre le chercheur et l’institution, donc ils ne sont pas concernés par la mise en retraite. Mais pour l’enseignement, celui qui dépasse les 70 ans ne peut plus donner des cours dans les conditions requises. Ainsi, Après les explications qui ont été données et la lettre explicative envoyée à toutes les structures universitaires, tout est rentré dans l’ordre.
Tahar Mansour