Entretien
Beatriz Miranda : « Face aux nombreuses promesses on-tenues, le peuple sahraoui n’a pas eu d’autres choix que de reprendre les armes »
Force doit revenir à la loi et au droit international. Faute de quoi, la poésie prend inexorablement le relais. Evoquant dans cet entretien les cas dramatiques de la Palestine et du Sahara Occidental, Mme. Miranda Beatrix place la communauté internationale devant ses responsabilités. Il est regrettable, s’exclame-t-elle, que le front Polisario en ait été réduit à reprendre les armes et la lutte armée pour faire entendre sa voix. Et imposer ses choix. Une réforme profonde en devient indispensable afin que cette organisation ne soit plus un outil entre les mains d’une poignée d’Etats, comme c’est présentement le cas. Oui, la loi de la force doit cesser de primer sur la force e la loi. Pour ça, le rôle des intellectuels colombiens en particulier, et sud américains en général, s’avère primordial. En cette ère du numérique généralisé l’info vraie et l’infox se sont muées en des armes extrêmement redoutables.
Entretien réalisé par Mohamed Abdoun
La Patrie News : Permettez-nous une question directe pour commencer et attaquer frontalement cet entretien. Après trente longues années de colonisations sauvages, assimilables à des crimes contre l’humanité, est-ce qu’une solution à deux Etats reste encore possible ? Plus précisément parlant, quelles formes d’issues (ou scénarios) possibles envisageriez-vous pour ce conflit qui, hélas, tend à s’éterniser dans le temps ?
Beatriz Miranda : Il est important de rappeler qu’en pleine lutte contre le covid-19, la Palestine a affronté une nouvelle stratégie d’occupation par Israël, soutenue par la Maison Blanche : « l’accord du siècle » divulgué par le président Donald Trump en janvier 2020, par le biais duquel Israël prétend s’annexer une partie de la Cisjordanie. Ce supposé « plan de paix » fut négocié par Tel Aviv et Washington sans la présence de représentants palestiniens. Une extrême droite stratégique et renforcée, sans peine ni gloire, semble être disposée à asphyxier davantage le peuple palestinien en passant outre les principes consacrés dans le droit international.
Le « plan de paix » de la Maison Blanche établit l’annexion d’une partie du territoire de la Cisjordanie, ce qui comprendrait la Vallée du Jourdain, terre de ressources naturelles et de cultures vitales. Cela représenterait une usurpation de 30% des terres des Palestiniens, la légalisation des colonies jusqu’alors illégales d’Israël sur un territoire qui n’est pas le leur et la possible expulsion de 300.000 palestiniens de leurs foyers. Jérusalem, capitale historique de la Palestine, deviendrait alors la capitale d’Israël. Jérusalem-Est serait la nouvelle capitale de la Palestine.
Selon des experts, si cela arrivait, Israël rendrait officielle sa position d’État Apartheid aux yeux du monde et ne reconnaitrait jamais l’État de Palestine.
Ce plan d’annexion n’a pas le soutien de l’ONU, de l’Union européenne ou des dirigeants du Parti Démocrate aux États-Unis, pas plus que celui de la Russie, la Chine ou le Vatican.
J’espère que la communauté internationale ne sera pas complice de cette barbarie avec son silence, car cet accord ouvrirait un antécédent polémique : celui de l’usage de la force pour usurper des territoires d’autres nations. La seule issue acceptable est la formation de deux États indépendants. Cela serait l’Accord du Siècle.
Alors que l’État d’Israël est créé par la force politique et militaire de ses alliés et autour de la défense d’un endroit pour le peuple juif, il est aussi important de respecter un endroit pour le peuple palestinien, ce qui n’a pas été le cas. Respecter les deux peuples avec un mécanisme de soutien international peut constituer tout un défi, mais cela permettrait également de mettre fin à l’un des conflits les plus longs de l’histoire. Il est nécessaire d’équiper des forces militaires et économiques pour rendre crédible cette coexistence, probablement avec des casques bleus qui adoptent la doctrine des deux États. Cela aurait pour but d’en finir avec les confrontations et de créer des espaces de paix entre les deux peuples.
Pour terminer de répondre à cette question je voudrais citer un poème du poète palestinien Samihal-Qâsim (1939-2014) qui parle de la lutte et la résistance du peuple palestinien :
« Tu éteindras peut-être toutes les lumières de ma nuit
Tu me priveras peut-être de la tendresse de ma mère
Tu fausseras peut-être mon histoire
Tu mettras peut-être des masques pour tromper mes amis
Tu lèveras peut-être des murailles et des murailles autour de moi
Tu me crucifieras peut-être un jour devant des spectacles indignes
Mais je ne me rendrai pas (…) »
Quels commentaires, ou sentiments, vous viennent à l’esprit devant les réactions tièdes et aphones de la communauté internationale face à cette dernière agression sioniste contre le peuple palestinien. Il est question ici de l’ONU, de la Ligue Arabe, et de l’OCI notamment ?
Les réponses tièdes de l’ONU, la Ligue Arabe et l’OCI ne dénotent pas uniquement le manque d’importance de la communauté internationale devant ces faits, mais elles ont aussi été le produit de la pression indue des États-Unis dans le système international et en soutien d’Israël. De même, cela met en évidence le soutien du puissant exercice de facturation de la Ligue envers Israël, sur la base des promesses commerciales faites par ce pays.
A la faveur des récents conflits vécus de par le monde, l’impuissance de l’ONU à intervenir efficacement se fait sentir de manière de plus en plus flagrante. En effet, la loi de la force continue d’y primer sur la force de la loi. Si une réforme profonde s’impose de facto, comment l’envisageriez-vous. Faut-il élargir le Conseil de sécurité à d’autres États, ou au contraire, revoir la composante des membres permanents, ou carrément accorder plus de poids décisionnel et exécutif à l’AG ?
Il est nécessaire de générer une réforme de l’ONU mais pas uniquement dans le but de résoudre le problème israélo-palestinien. L’ONU doit être légitime, crédible, et doit avoir une autorité. Pour réussir cela, il est nécessaire d’avoir une autogestion aussi bien économique que militaire afin d’éviter les failles de jugement de cette organisation et aussi d’éviter que certains intérêts particuliers soient favorisés. Il est nécessaire que l’ONU ne dépende pas d’un État ou d’un petit groupe d’États puissants. Elle doit être fiable pour tous les pays en général. S’il s’agit d’une autorité supranationale, alors elle se doit d’être conciliante, mais en exerçant tout de même un pouvoir de décision. Autour de cela, un pas pour commencer ce processus peut être l’élargissement du Conseil de sécurité, permettant ainsi une plus grande action.
Le Sahara occidental est l’ultime colonie qui subsiste en Afrique. Est-ce qu’il ne sera réglé enfin que par la force des armes, comme en a décidé le Polisario après 40 longues et interminables années d’attentes et de promesses sans lendemain ?
En plein 21e siècle, le Sahara occidental est la dernière des colonies d’Afrique, grâce à la coresponsabilité de l’Espagne, la Mauritanie et le Maroc, ayant comme victime historique le peuple sahraoui. Il est très urgent que la communauté internationale prête son attention au cas de Sultana Khaya et d’autres activistes sahraouis et qu’elle rendre responsable le Maroc de ses graves violations au droit international, aux droits humains et au droit international humanitaire.
Devant l’action limitée de l’Organisation des Nations Unies, le rôle du Maroc, de la Mauritanie, de l’Espagne et une communauté internationale avec un silence complice, le peuple sahraoui a déclaré « l’état de guerre » et repris la lutte armée après près de 30 ans. Une attaque du Maroccontre la région dénommée Guerguerat, située au sud du Sahara occidental en novembre 2020, a rompu le cessez-le-feu signé entre le Maroc et le Front Polisario en 1991.
Malheureusement, le contexte du Sahara est affecté par la pression internationale. Israël, avec le soutien du gouvernement de l’ex-président Trump, a réussi à insérer le Maroc dans des offres commerciales pour tirer profit de la richesse du Sahara occidental et fracturer, avec l’approbation de la France, l’indépendance de ce territoire-pays. Autour de cela, le Sahara n’a pas un soutien international fort, ce pourquoi sa situation n’est pas prioritaire et, d’une certaine façon, le peuple sahraoui, lassé d’attendre et devant tant de promesses non tenues, décide de prendre à nouveau les armes afin d’exiger un territoire pour sa population. C’est dommage qu’après 30 ans cela soit la seule alternative. Le plus dramatique c’est que l’immense douleur du peuple sahraoui continue. Face aux nombreuses promesses on-tenues, le peuple sahraoui n’a pas eu d’autres choix que de reprendre les armes »
Un avis sur le deal Mohamed VI-Trump et l’actuelle crise europo-marocaine qui semble en avoir indirectement résulté, surtout qu’il se murmure que ce marché comporterait une clause secrète, qui est celle de l’ouverture d’un consulat marocain à Al Qods-Est, illégalement annexée par l’entité sioniste ?
Le mirage commercial qui a été proposé par le gouvernement Trump est très intéressant aussi bien pour le Maroc que pour Israël et l’ouverture du consulat s’est produite comme un paiement dérivé et de consolation. Devant cette situation, les deux pays non seulement s’attirent mutuellement mais une partie de l’idée est aussi d’avoir des intérêts conjoints, ce qui fait qu’ils signent ce type d’arrangements.
Quel rôle pourraient jouer les intellectuels, universitaires, artistes, hommes politiques en Colombie, et ailleurs dans le monde, pour aider à dénouer ces conflits en train de s’éterniser dans le temps ?
Parfois, nous pensons que nous ne pouvons rien faire pour aider ou qu’une seule voix n’a aucun pouvoir, mais quand plusieurs voix s’unissent, les choses peuvent changer. Notre soutien peut se faire depuis la diffusion d’informations aussi bien dans les médias que dans les réseaux sociaux, mais d’informations véridiques, en nous gardant bien d’éviter les « fake news », et nous chargeant de diffuser dans le milieu académique et partout en général le panorama vécu au niveau international, en donnant la voix à ce qui sont constamment frappés par l’invisibilité.
Une autre action importante est celle de sensibiliser les nouvelles générations dans tout ce qui se passe dans le monde, au-delà de ce que la presse mondiale publie et des thèmes où elle met l’accent. Il faut leur apprendre à lire entre les lignes, car pratiquement toujours le plus important est ce qui est implicite dans les messages et les communiqués, etcétéra. L’éducation, la salle de classes et l’art seront toujours de puissants instruments de transformation et de création d’une conscience. Nous ne pouvons pas cesser de croire qu’un autre monde est possible.
N.B :
Beatriz Miranda est Professeur à l’Universidad del Estrenado. Elle est également chroniqueur au Grand quotidien El Espectador