Entretien.
Claude Mangin, épouse de Naâma Asfari, prisonnier politique sahraoui, à La Patrie News : « Le système marocains se met à ressembler à celui de Hassan II…».
Femme-courage, femme à la détermination d’acier, femme de terrain et de combat, femme qui consacre toute sa vie, son énergie et sa force au service d’une cause juste et noble, Claude Mangin, épouse du détenu sahraoui de GdeimIzikNaâma Asfari, juriste international, défenseur des droits humains, est revenue avec un luxe de détails sur les circonstances liées à la détention de celui-ci et sur les sévices subis par lui et l’ensemble de ses codétenus. Accablant, parfaitement documenté, son témoignage a valeur de document historique à faire valoir lorsque le dossier de ces prisonniers sera inévitablement rouvert dans le cadre du règlement définitif de la question sahraouie. Cette dame, digne de respect et d’admiration, y croit très fort. En attendant, elle mène son homérique combat sur tous les fronts. D’une redoutable efficacité, son apport à la cause sahraouie est d’une incommensurable préciosité. L’entretien que voici, à lire, à garder et à archiver, cristallise peut-être l’embryon d’un ouvrage fouillé, documenté et historique sur l’épopée héroïque du soulèvement pacifique de GdeimIzik. Ecrire, témoigner, récolter les preuves, ne jamais se taire et laisser clore ce dossier, c’est le moins que l’on puisse faire pour honorer l’indicible courage et permanent le martyre de ces prisonniers à qui la planète a fini par tourner le dos. Pas nous en tous les cas. Cet entretien, qui commence par aborder sommairement la mission de journalistes européens au Sahara Occidental, première du genre depuis le début de la pandémie et la reprise du conflit armé, de même que le scandale Pegasus, se veut avant tout témoignage intemporel, visant à secouer et à interpeller les consciences…
Entretien réalisé par Mohamed Abdoun.
Comment vous vivez, ou survivez plutôt, après la découverte de « l’infection » de votre téléphone par le logiciel espion Pegasus?
Claude Mangin Asfari: On me dit que mon téléphone ne serait plus infecté. L’entreprise israélienne NSO s’est engagée auprès du gouvernement français à ne plus espionner des numéros français. C’est ce qu’a annoncé Florence Parly (ministre des armées). Il ya de cela environ un mois et demi, un journaliste de Radio-France investigations était venu me voir pour me demander mon téléphone et le faire analyser par Berlin. Avec leurs méthodes élaborées, ces experts m’assurent que mon téléphone n’est plus infecté. Je suis bien forcée dé les croire. Cela ne se voyait pas avant. Il n’y a donc aucune raison que cela se voit maintenant, que mon téléphone soit toujours infecté ou pas. A priori, je ne serais donc plus espionnée. La situation me semble particulièrement risible. Quand je me suis adressée à l’agence numérique pour que ma plainte soit enrôlée, mes deux numéros de téléphone ont été enregistrés. Toute ma vie est étalée à la DGSI marocaine et française. (Petit rire désabusé). Je suis très connue maintenant !
Et cette mission casse-cou qui a remis la cause sahraouie aux devants de la scène médiatique occidentale, dont vous avez été la cheville ouvrière et au moment ou (presque) personne n’y croyait ?
On était vraiment en plein style « mission impossible ». C’était très compliqué dès le départ. Les journalistes contactés personnellement ainsi que leurs rédactions ont fini par y voir une belle opportunité médiatique. De grands noms du journalisme et de grandes rédactions ont fini par faire partie de cette mission. De très importants articles et reportages en ont résulté. Certains journalistes ont même pu aller jusqu’à la ligne de front après trois nuits de bivouac. Du coup, on a envie de proposer une seconde mission à tous, à commencer par les retardataires qui ont regretté après coup leur hésitation comme le Figaro. La situation évolue désormais à une très grande vitesse. A notre arrivée dans les camps, près une absence de trois ans à cause de la pandémie, nous avons trouvé une population très appauvrie. Le Polisario a été forcé de s’adapter en réquisitionnant les fonds existants pour en faire un fonds commun et le redistribuer à tous de façon équitable. Cette initiative est à saluer, même si elle a fait râler certains. Les familles réfugiées étaient enchantées de nous recevoir. Le ministère de la Défense, qui n’a pas l’habitude de traiter avec des journalistes, qui plus est en pleine reprise du conflit armé, a dû s’adapter, par le biais des chefs militaires que nos accompagnions. Mais des interviews de soldats ont même été réalisées, pour dire que le courant est bien passé, et que les choses se sont fort bien passées. Les journalistes ont vu, et bien vu. Ils ont vu ces guerriéros improbables, roulant dans des canyons… ces journalistes, désormais regardent cette cause autrement. Ils en sont devenus les amis. On a croisé pas mal de camions calcinés et/ou bombardés. Après coup, o se dit qu’on aurait pu être dedans. D’ailleurs, les soldats du Polisario étaient sur les nerfs en ayant à promener et à protéger autant de journalistes français…
Est-ce parce que cette mission a replacé en Une la cause sahraouie que le Maroc a volontairement bombardé des camions civils algériens. Est-ce qu’il a fait ça pour empêcher que les journalistes, quelles qu’en soit la nationalité, ne retournent dans les territoires libérés sahraouis, et sur la ligne de front?
Il est vrai qu’on peut le supposer en effet. Si c’était le but recherché, force est de se dire que c’est complètement raté. Le Maroc, qui a toujours refusé d’admettre cet état de guerre, le reconnait donc de facto à travers cette attaque de drones contre des routiers civils. La guerre est là, et bel et bien là. Trois malheureux Algériens en sont hélas morts. Ce sont quand même des civils algériens qui se sont fait canarder. Les gesticulations marocaines dans leur manière de présenter les choses m’énervent d’autant plus. Comme pour les Sahraouis on oblige les victimes à se défendre et à se justifier, alors que les bourreaux sont ailleurs. Pour eux, tout serait de la faute des Sahraouis et des Algériens. C’est extraordinaire de voir comment ils essayent de retourner cette situation, pourtant claire et accablante.
Le témoignage accablant de l’un des avocats du groupe de prisonniers politiques sahraouis dit de “GdeimIzik”, l’avocate française Me Ingrid Metton, à l’occasion de la Conférence de presse organisée à Paris le 18 mai 2021 sur les journalistes marocains arbitrairement détenus au Maroc, a mis à nu la parodie desdeux procès des détenus de GdeimIzik qui ont eu lieu en 2013 et en 2017. Quels commentaires, sans doute amers, cela vous inspire-t-il ? Et que voudriez-vous y ajouter ? Avant votre réponse, est-ce que vous avez pu parler avec votre conjoint ? L’entretien qui a eu lieu ce mardi 25 mai, a été retardé à cause de l’incertitude liée aux horaires de communication très restreints accordés par les autorités pénitentiaires marocaines.
Oui, j’ai pu parler à mon mari vers midi dix. Pour revenir à votre question, je voudrais dire que le fait que cette avocate ait été invitée à la Conférence de presse en question, consacrée aux deux journalistes marocains espionnés, est la preuve que tous les détenus au Maroc sont aussi maltraités les uns que les autres. Cela a aussi permis de remettre en lumière l’affaire de ces détenus politiques sahraouis de GdeimIzik, jugés et arbitrairement condamnés à de très lourdes peines. Neuf d’entre eux ont en effet écopé de la perpétuité. L’importance de ce témoignage de Me Metton réside aussi dans ce douloureux rappel, presque quatre ans après la fin du procès en appel en juillet 2017. On n’en parle plus hélas, puisqu’ils viennent d’être définitivement condamnés par la Cour de cassation de Rabat le 25 novembre 2020. C’était le sens et l’essence du message lancé par Naâma et les siens à travers cette action de protestation pacifique à GdeimIzik pour manifester leur droit à la colère il y a plus de 10 ans déjà, ce droit de manifester leur colère devant l’immobilisme de l’ONU. Vous, les Algériens, le savez, comme les Sahraouis et sans doute aussi comme beaucoup de Marocains que sous le joug de la colonisation, tous les citoyens ne sont pas traités de la même manière. Les gens du nord considèrent ceux du sud comme des bédouins, des gens du désert qui ne connaissent rien à rien. Marocains et Sahraouis n’appartiennent pas aux mêmes peuples, ils n’ont ni la même langue, ni la même musique, ni les mêmes vêtements, ni la même culture au sens large. Les Sahraouis sont toujours présentés comme des gens qui détournent l’argent destiné à financer la présence marocaine au Sahara occidental. Ils sont criminalisés. Les Marocains ne les aiment pas à cause de cette propagande renouvelée année après année. C’est la raison pour laquelle ils sont si maltraités. Pourtant certains Marocains profitent de cette colonisation, quand ils vont au Sahara Occidental, où les opportunités de travail sont nombreuses, ils sont doublement payés. On parle aujourd’hui de 300.000 colons marocains installés là-bas. Sans oublier les troupes de l’armée coloniale et toutes les forces de sécurité stationnées là-bas. Avec ça, chômeurs, bandits, prostituées, drogués… tous les individus dont le Maroc ne veut plus, sont déportés vers le sud. Les Sahraouis n’ont pas droit aux emplois. Ils ne représentent plus aujourd’hui que le quart des populations qui vivent au Sahara occidental. On se trouve face à une véritable colonisation de peuplement. Je rappelle que cela représente un crime de guerre au regard du Droit International Humanitaire des Conventions de Genève, le droit de la guerre, signées par les deux parties.
Je reviens aux évènements de ce lundi matin, 8 novembre 2010 aux aurores. Un démantèlement par la force de ce Campement pacifique a eu lieu. D’après les autorités marocaines 11 agents de la force publique marocaine sont morts. Une armée qui attaque par surprise de manière préméditée et préparée, alors que des négociations avec le Comité de dialogue du Campement avaient abouti le vendredi 5 novembre, comment cela a-t-il fait autant de morts dans ses rangs? Aucune enquête n’a été menée sur ce démantèlement et sur ses conséquences. La presse marocaine et étrangère a été retenue à Laâyoune. Jean-Paul Lecoq, député français, venu témoigner sa solidarité, est resté bloqué le dimanche 7 novembre à l’aéroport de Casablanca. Il a été expulsé le lendemain matin vers Paris. Face à Bernard Kouchner, Ministre des affaires étrangères pendant les questions orales au gouvernement, Jean Paul Lecoq a témoigné et raconté son hallucinante aventure. Qu’avaient-ils donc à cacher pour m’empêcher d’arriver cette nuit-là à Laayoune? Ce ministre dont on a vu par la suite que c’était son dernier jour au gouvernement, et sera remplacé par Mme Alliot Marie, lui a répondu: “Il est inadmissible qu’un élu de la République soit traité de cette façon et qui plus est par un pays ami, dont on admirait jusqu’à peu l’évolution vers plus de démocratie! ».
En plus de cette attaque préméditée, il y a eu volonté manifeste de masquer, voire de maquiller ces faits, en empêchant les observateurs étrangers et impartiaux d’accéder aux lieux des (mé)faits…
C’est une des raisons qui motivent cet entretien. Ces prisonniers semblent en effet oubliés.
Oubliés, non. Disons plutôt que la justice marocaine s’est délestée de cet encombrant dossier en faisant rendre son verdict par la Cour de cassation le 25 novembre 2020, un délai déraisonnable puisque le jugement a eu lieu en juillet 2017 plus de trois ans auparavant. À présent, le dossier n’est plus judiciaire. Il est devenu politique ou plutôt redevenu politique comme il l’a toujours été depuis son commencement. L’institution judiciaire s’est déchargée de ce dossier après dix ans de procédures et un double procès, militaire et puis civil. Ce dossier est totalement politique, car c’est aussi celui du peuple sahraoui en lutte. A présent, les formes de combat et de résistance changent et s’adaptent. Avant, à chacune de nos démarches, on nous répondait que le dossier était toujours en cours. D’ailleurs, le CNDH-Conseil des Droits de l’Homme marocain, n’a jamais publié de rapport arguant du fait que la procédure n’était pas terminée. Elle est terminée maintenant depuis six mois mais on ne voit rien venir. Eh bien, on continue de se battre, et vous nous y aidez.
Un rappel des faits met aussi en exergue cette parodie de procès, les aveux extorqués sous la torture, les fausses preuves fabriquées de toutes pièces… rappelez-nous brièvement ces faits, vous qui connaissez sans doute ce dossier mieux que personne…
Ce rassemblement installé à GdeimIzik, en banlieue d’El Ayoun, organisé par pas moins de 20.000 civils sahraouis, dont beaucoup de femmes et d’enfants a duré un mois et sous état de siège. L’armée d’occupation marocaine a encerclé ce Campement pacifique pendant toute sa durée, empêchant même la nourriture et l’eau de parvenir aux Sahraouis. Les films de l’époque montrent que les gens de l’extérieur ne pouvaient pas non plus rejoindre les protestataires rassemblés. En effet beaucoup de Sahraouis d’Espagne sont venus les rejoindre. Un Comité de dialogue a fini par se constituer pour négocier avec les autorités d’occupation marocaines. Ces dernières ont pris très au sérieux cette affaire à laquelle personne ne s’attendait puisque le Ministre de l’Intérieur s’était déplacé deux fois sur les lieux. Un accord en avait découlé. Il était daté du vendredi 5 novembre. Cette date, c’est la veille de l’anniversaire de la tristement célèbre marche verte qui a démarré le 6 novembre 2015, que les Sahraouis surnomment à juste titre « Marche noire ». À cette occasion, chaque 6 novembre, le Roi marocain fait ce qui est appelé un discours du trône où systématiquement il attaque les Sahraouis pour tenter de rassembler son peuple marocain autour de la question « sacrée » de la « récupération des Provinces du sud » comme le Roi les nomme. Ces discours, il y en 4 dans l’année à diverses occasions, se fondent toujours sur les mêmes ressorts et les mêmes éléments de langage comme on dit aujourd’hui: « Qui n’est pas avec moi est un traître ». Ce 5 novembre, donc, un accord avait été trouvé autour des revendications socio-économiques soulevées par les Sahraouis de ce camp. Car, le grand paradoxe au Maroc, c’est qu’on nous répète à l’envie que les Sahraouis sont des Marocains, hé bien, ils ne sont pas du tout traités comme tels. Ils n’ont pratiquement accès à rien, ni travail, ni services publics, ni rien d’autre. On peut rétorquer qu’ils jouissent quand même de l’indemnité du revenu national. Certes, mais ils ne perçoivent celle-ci que lorsqu’ils sont sages. Elle leur est automatiquement enlevée s’ils bougent. Ce Campement ne soulevait évidemment pas que des revendications socio-économiques. Il réclamait surtoutque justice soit faite en faveur du peuple sahraoui, à savoir son droit à l’autodétermination. Il est à noter, comme l’a dit ensuite Noâm Chomsky, que ce Campement de la dignité et de la liberté a été les prémices de ce qui va être appelé les « Printemps arabes » quand les Tunisiens quelques semaines plus tard vont se mettre à protester.
Le black-out médiatique a été total sur ce démantèlement. Pour ma part, j’ai tout fait pour envoyer de la presse française sur place, parce que la presse espagnole y était carrément interdite. La correspondante du Monde a pu s’y rendre le mercredi 10 novembre. La parution d’un article en première page du journal « Le Monde » l’atteste. Les autorités marocaines lui ont dit qu’elles préféraient que ce soit des Français qui viennent plutôt que des Espagnols. Je ne sais pas s’il faut prendre ça comme un compliment. Cette journaliste a été « drivée» par les autorités marocaines versce qui restait du Campement en compagnie d’un représentant de la MINURSO. Elle a pu observer les restes calcinés du Campement qui a entièrement brûlé, en particulier les khaimas , les tentes traditionnelles sahraouies, et les restes du matériel utilisé pour la vie quotidienne de familles qui avaient retouvé ici avec joie les habitudes de la vie nomade durant un mois. Ces tentes sont un capital patrimonial et financier énorme. 8.000 d’entre elles sont parties en fumée. Depuis cette triste date, elles sont strictement interdites dans tout le Sahara occidental y compris sur les plages pendant les vacances familiales comme cela se faisait auparavant durant l’été.Aujourd’hui, monter une tente sur le toit de sa maison pour recevoir ses amis et boire le thé au frais est devenu un acte de résistance. Dans les semaines qui ont suivi, il ya eu plusieurs Rapports établis par des Associations marocaines et internationales des droits de l’Homme. Bien évidemment, la justice marocaine ne s’en est jamais saisie. Nous disposons d’un extraordinaire capital de témoignages recoupés et accablants. La violence ne s’est pas seulement exercée pendant le démantèlement. Elle s’est poursuivie dans les rues de Laâyounependant plusieurs jours. Des Marocains, formés en milices, ont pourchassé les Sahraouis qui trouvaient refuge où ils pouvaient durant cette infernale chasse à l’homme. Cela a abouti à l’arrestation de près de 600 jeunes sahraouis, hommes et femmes, qui ont été torturés et interrogés et entassés dans toutes sortes de locaux et de sous-sols réquisitionnés. Leur emprisonnement arbitraire a duré près de six mois. Ils ont ensuite été libérés sans autre forme de procès. Des Marocains bien attentionnés ont aussi aidé à cacher ces jeunes traqués. Certains sont restés cachés pendant plusieurs mois. Les derniers détenus de GdeimIzik n’ont été arrêtés que le 24 décembre 2010. L’un d’eux s’est réfugié en Espagne. Il a été condamné par contumace à l’issue du procès militaire de 2013. La violence et la répression ont été terribles. Hélas, personne n’en parle. Cette violence, par la suite, s’est exercée contre les six, puis les 18 et enfin les 24 détenus liés à cette affaire. Mon mari faisait partie de ce tout premier groupe des six. Il avait été enlevé la veille de cette attaque, le 7 novembre, chez un ami alors qu’il était allé à Laayoune pour accueillir le Député Lecoq. Il n’ya donc aucune preuve, directe ou indirecte contre lui, aucun flagrant délit pour ce dont il est accusé et qui a eu lieu le 8 novembre. C’est ce que la Cour de cassation a déclaré en juillet 2016, 3 ans après le procès militaire. La Cour militaire est une cour d’exception qui ne comporte pas d’Appel. Cela nous a pris trois ans de combat et de procédures pour aboutir à ce que ce procès soit cassé. Et pourquoi, l’ont-ils cassé? Parce qu’avec l’ACAT- Association des Chrétiens contre la Torture et pour l’Abolition de la peine de mort, nous avions porté plainte auprès de l’ONU, à Genève devant le Comité contre la Torture, le CAT, pour tortures sur Naâma. Nous avions aussi déposé plainte devant les Tribunaux français. Et cette plainte déposée en février 2014 avait abouti à un an de rupture de toutes les relations judiciaires entre nos deux pays suite à la convocation de Monsieur Hammouchi, le Directeur de la DST, par la juge d’instruction, à la résidence de l’Ambassadeur marocain en France à Neuilly. Pour tenter d’échapper à la condamnation de la part de cette instance onusienne, le Maroc a tenté de montrer sa bonne volonté, en cassant le jugement de la Cour militaire et en annonçant la tenue d’un procès en Appel devant la Cour de Rabat-Salé. Cela n’aurait d’ailleurs pas dû être un procès en Appel, mais bien un procès en première instance puisque les procédures ont été reprises depuis le début. La différence, c’est que lors de ce second procès, des familles de victimes s’étaient constituées partiesciviles. Jeudi 11 novembre 2010, quatre jours après son enlèvement, Naâma est réapparu . Cela a été les plus longs jours de ma vie. Le phénomène de la disparition est insupportable. Mon beau-père, Abdi Moussa, lui, a disparu 16 ans dans les bagnes de Hassan II comme des milliers d’autres sahraouis à partir de 1976 pour ne réapparaitre, pour ceux qui étaient encore vivants, qu’en 1991 lors de la signature des accords de cessez-le-feu. Naâma a été présenté devant le Tribunal d’instance de Laayoune, torse nu, le corps entièrement tuméfié. Il n’a pas eu le droit de voir ses avocats, mais eux l’ont vu de loin. Ils ont formellement attesté qu’il avait été torturé. Il a été transféré en avion à Rabat avec six de ses compagnons, voyage durant lequel la torture a continué. La torture n’a jamais cessé y compris à la prison Zaki de Rabat-Salé où il a été détenu, torturé et interrogé. Il a été déféré à son arrivée, à minuit, devant un juge d’instruction militaire. Il avait la tête en sang. Quand Naâama lui a montré ses blessures, le juge a répondu : « Je ne suis pas médecin ». Des années après, Naâma n’a pas digéré ce mépris. C’est cette torture-là, parfaitement prouvée et documentée, qui nous a permis de déposer plainte au niveau du Comité onusien contre la torture. Cette plainte a abouti à la condamnation du Maroc par le Comité contre la torture fin 2016. C’est extrêmement important, car c’est la seule fois que le Maroc a été condamné par l’ONU pour torture et Naâma a dit que cela a été pour lui et ses compagnons le plus beau jour de leur vie que cette reconnaissance internationale des sévices subis, que cela leur a redonné leur dignité. De nouvelles plaintes ont également été déposées. Mais elles n’ont pas encore abouti, d’autant plus qu’avec cette pandémie, le Comité onusien ne s’est pas réuni depuis deux ans. Des dossiers lourds, dont le nôtre, avec toutes les représailles que nous dénonçons régulièrement, s’y accumulent.
News : Vous venez juste de parler à NaâmaAsfari que je salue au passage. Dans quelles conditions est-ce qu’il vit, lui et ses codétenus de GdeimIzik. Est-ce que les tortures et les brimades continuent toujours ?
La situation de ces prisonniers a varié dans le temps et dans l’espace et selon la conjoncture politique. Pendant une première période qui a duré 6 mois de novembre 2010 à juin 2011, ces prisonniers ont fait l’objet d’un isolement total. Ils ont été privés de livres, de cahier, de presse, de crayon, de stylo… rien, rien, rien, absolument rien. Il a fallu qu’ils observent une longue grève de la faim en avril 2011 pour qu’ils puissent avoir enfin accès au strict minimum et qu’ils puissent bénéficier des visites de leurs proches. Les choses se sont détendues peu à peu. Le Procureur militaire du Roi que j’avais rencontré le 9 novembre 2010, pour obtenir une visite après les 6 premières semaines de silence total, m’avait dit que les choses allaient s’améliorer au fur et à mesure qu’on s’éloigne des évènements dramatiques qui avaient eu lieu. Il m’avait expliqué que l’on faisait face à une situation extrêmement grave et que l’affaire ne dépendait pas de lui. Il faut bien se rappeler que ce démantèlement a fait penser à de véritables scènes de guerre.Des images terribles ont traumatisé tout le Maroc car personne ne s’y attendait. Le Roi avait fini par croire et faire croire que les Sahraouis, après 35 ans d’occupation, étaient assimilés, que c’était des Marocains sahraouis comme il y a des marocains rifains par exemple…Des vidéos, des photos, des « preuves fabriquées » avaient été largement diffusées à la TV officielle marocaine à travers tout le royaume durant le procès de 2013. Elles ont ensuite été remontrées au procès de 2017. Des experts ont conclu qu’il s’agissait de grossiers montages, mais ils ont atteint leur but puisqu’ils laissaient voir des scènes épouvantables, comme des armes, des profanations de cadavres…sans que les visages des personnes soient pour autant reconnaissables. A force de battage médiatique, les Marocains ont fini par se mettre en tête que les Sahraouis seraient des criminels. A l’époque de la condamnation de Naâma, j’ai parlé à mon boulanger qui est marocain, en lui disant que mon mari avait été condamné à 30 ans de prison. Il m’a répondu: « Bah ! vous savez, c’est normal ce sont tous des criminels ! » C’est, hélas, ce qu’on lit jusqu’à ce jour dans ce que j’appelle la presse de caniveau sur les sites marocains en ligne téléguidés par les Services qui me désignent comme « l’épouse de l’égorgeur ». Voyez l’image violente et fausse qu’on donne de mon mari. Durant trois ans, de mars 2013, après le premier procès, à l’automne 2016, date de la condamnation du Maroc par le CAT et de ma 1ère expulsion, il a été possible aux familles et à leurs amis de voir ces détenus assez facilement, d’apporter de la nourriture sahaouie, de discuter avec eux dans un climat assez détendu. Ils étaient traités quasi comme des prisonniers politiques et pas comme des prisonniers de droit commun. Ils avaient leur coin à eux dans la grande salle du parloir pour recevoir leurs amis et leurs familles. Ils étaient d’ailleurs très respectés par les gardiens car les Sahraouis sont des gens bien dont tous savaient qu’ils étaient là pour leur Cause. Maisles choses ont changé après le deuxième procès et je sais pourquoi. Il s’exerce sur ces détenus ce que mon mari appelle la « vengeance coloniale ». Ce second procès s’est très mal passé, comme l’a expliqué notre avocate que vous évoquiez au début de cet entretien. Le Président du tribunal s’est montré violent parce que les détenus et leurs avocats, l’ont placé face à ses responsabilités historiques, judiciaires et morales. Eux, qui voulaient montrer un procès exemplaire aux nombreux observateurs internationaux présents, ont subi un sévère et douloureux retour de flamme. Quand on a eu la date du début du procès en Appel, le 26 décembre, on a pris le temps de réfléchir avec nos conseils sahraouis et français au fait d’envoyer ou non des avocats français plaider la cause de ces détenus. On ne voulait pas, en y participant laisser croire que nous donnions notre caution à ce qui serait, nous le savions, une parodie de justice. Mais, on a fini par se résoudre à y aller, car les avocats français pourraient dire devant le juge et les médias ce que les avocats sahraouis et marocains ne pourraient se permettre de dire dans un prétoire marocain sans subir de représailles qui auraient pu conduire à leur radiation du barreau. Les avocats français ont en effet décidé de plaider le Droit International Humanitaire, fondé sur les Conventions de Genève, c’est à dire le droit de la guerre, que les deux parties ont signé. Dans le Tribunal, des paroles terribles pour le Maroc, jamais dites auparavant, ont été clamées haut et fort. On a fini par dire que le Maroc est une puissance occupante. Auparavant, on ne parlait que de « puissance administrante de facto » ce qui n’existe pas en droit international. Partant, le Sahara occidental devenait un Territoire occupé et les détenus de GdeimIzik des prisonniers de guerre qui auraient dû être jugés selon le droit coutumier sahraoui et emprisonnés en Territoire occupé près de leurs familles et non dans la puissance occupante. Utilisés abondamment, la torture et le mot torture ont régné en toile de fond de ces mémorables plaidoyers. Pendant tout le déroulement de ce procès, les autorités marocaines, prises à leur propre piège, faisaient tout pour le perturber, pour en empêcher la poursuite et le bon déroulement, comme couper le micro des avocats, obliger les plaideurs français à s’exprimer en arabe ou suspendre la traduction au bon moment. Tout a été fait pour que ces avocats ne puissent pas parler. Mais les choses ont fini par être bel et bien dites. Ce n’est pas tout. Ils ont fait venir des témoins jamais convoqués au premier procès, qui ne connaissaient même pas la tête des accusés. C’était surréaliste comme situation. Ils ont également eu recours à des expertises médicales pour examiner si 7 ans après les faits ces détenus avaient été torturés. Certains détenus se sont pliés à ces procédures, Naâma, lui, a refusé en disant que, cela ne serait pas fait selon les règles du Protocole d’Istanbul. De fait, cela a été très mal fait et de façon particulièrement attentatoire à la dignité humaine. Mais cela nous a permis d’obtenir des documents très intéressants, pouvant être contre-expertisés. Des contre-expertises ont été commandées à des médecins légistes portugais et suédois. Ils ont conclu que la plupart de ces traces, bien qu’atténuées 7 ans après les faits, étaient bel et bien liées à de la torture physique. On sait comment procèdent les bourreaux pour ne pas laisser de preuves ou de traces.Les brûlures de cigarettes et les cicatrices aux genoux et aux coudes sont autant de traces qui ne s’effacent pas, hélas. Un de ces détenus, par exemple, souffre d’incontinence à cause du viol anal qu’il a subi. Or des aveux obtenus sous la torture ont été les seules preuves apportées par les juges qui ont permis la condamnation des détenus. Or, comme chacun sait, selon le droit international, de telles preuves n’ont aucune valeur et annulent de facto ces deux procès. On peut ajouter que, durant ce procès qui a duré 7 mois, nous avons dû subir pas moins de 9 reports d’audience destinés à épuiser et à découragerles avocats et les proches des détenus. Ces déplacements mutiples coûtaient très cher. Ce n’était pas très facile non plus pour les familles sahraouies et aussi pour les familles des victimes. D’ailleurs, à propos de ces familles, il faut préciser qu’on n’a jamais eu leurs noms et personne n’a vu les corps des victimes. Les cercueils étaient plombés. Personne ne sait ce qu’il y avait vraiment dedans. En tous cas, à ces familles éplorées qui étaient présentes au Tribunal militaire, tous les détenus, dont Naâma ont présenté leurs condoléances. Les familles sahraouies, elles, n’ont pas eu le droit d’assister aux procès. Et moi non plus qui ai été expulsée en février et en mars 2017, y compris en étant accompagnée par mes avocats, ce qui m’a empêchée d’assister au procès et de soutenir Naâma. Les détenus, telles des bêtes sauvages, ont été exposés derrière des vitres en Plexiglas qui les empêchaient en plus d’entendre correctement les débats. On a vu dans toute sa splendeur la justice marocaine à l’œuvre, complètement au service du pouvoir en place, qui traite les Sahraoui comme des citoyens de seconde zone, et dont la violence coloniale, comme le dit Naâma, s’est retournée également contre les avocates françaises brutalement chassées du Tribunal sur ordre du Président du Tribunal le 17 mai 2017, et dont l’une a fait l’objet de 5 jours d’ITT.
Je rappelle quand même que la fin du procès en 2017 a coïncidé avec la révolte du Rif. La sévérité de la condamnation des prisonniers sahraouis était aussi un message destiné aux révoltés rifains, qui se soulevaient pacifiquement eux aussi.Ils ont d’ailleurs écopé de lourdes peines jusqu’à 15 ans de prison. Ils ont été aussi maltraités que le sont les Sahraouis. C’est un système, celui du Makhzen, qui est ainsi fait. Toutes les Associations marocaines en charge de la défense des droits de l’Homme, comme pour l’affaire des journalistes marocains condamnés et actuellement emprisonnés, constatent une très sévère régression en matière de respect des droits les plus élémentaires. Le système marocain politique et judiciaire n’a plus rien à envier à celui de Hassan II. Avec ce qui vient de se passer à Ceuta, on peut voir le vrai visage du Maroc. Sans parler des violences et des brimades subies en continu par les Sahraouis dans les Territoires occupés du Sahara occidental loin des yeux de tout témoin extérieur surtout depuis la rupture du cessez-le-feu par le Maroc après 30 ans et la reprise des hostilités le 13 novembre 2020 à Guerguerat.
Pour revenir aux conditions de détention des prisonniers, la troisième période a commencé dès septembre 2017 après la fin du procès en Appel. A alors débuté une période extrêmement difficile qui dure jusqu’à présent c’est-à-dire depuis près de quatre ans déjà. Ces détenus ont tout d’abord été répartis dans sept prisons à travers tout le Royaume et non pas en Territoires occupés sahraouis comme le voudrait le Droit International Humanitaire. Désormais dispersés, ces détenus ont perdu la force que leur donnait le fait d’être un groupe constitué, reconnu comme tel, « le groupe de GdeimIzik ». Cette dispersions
M.A