Entretien
Claude Mangin, épouse du détenu politique Sahraoui Naâma Asfari: « Toute cause juste mérite qu’on lutte et qu’on se sacrifie pour elle »
A cœur vaillant rien d’impossible. A la veille de son odyssée européenne de 3.000 kilomètres aller-retour depuis sa ville de résidence , Ivry-sur-Seine, dont son époux est citoyen d’honneur, jusqu’à la frontière marocaine et la prison de Kénitra, où est détenu arbitrairement son époux depuis 2010, Claude Mangin nous a accordé un long entretien. Cette marche, dont l’envergure et l’impact seront planétaires, vise à briser l’embargo cruel et criminel qui frappe les détenus politiques sahraouis, à arracher des droits de visite plus humains, et plus fréquents. Elle en parle avec patience (ou passion), détermination et courage. Cet entretien, émouvant et fort à la fois, est appelé à entrer dans les archives de l’histoire. Inutile de préciser que La Patrie News va suivre cette marche étape par étape, et jour après jour. Sa médiatisation est capitale. L’entretien que voici est donc à lire, à faire lire et à archiver. Avis !
« Nous comptons faire une marche à travers 10 villes françaises et 11 villes espagnoles pour arriver jusqu’au Maroc et montrer ce qu’est une injustice et une voie contraire à la légalité internationale »
« Les journalistes européens qui nous accompagnent dans les Campements de la RASD en exil depuis 50 ans dans le sud-est algérien, sont à chaque fois étonnés par la phénoménale résilience du peuple sahraoui ».
« Ce n’est pas parce que Monsieur Macron a dit que le Sahara était marocain qu’il va faire changer le droit international ».
« Ce qui est intéressant à retenir, c’est que lorsque Emmanuel Macron a parlé le 30 juillet passé de « la marocanité du Sahara Occidental », il l’a fait tout seul. Comme un roi, il n’y avait pas de gouvernement et les parlementaires étaient en vacances suite à la dissolution ».
« La France, tenue de respecter les lois et décisions de justice européenne, s’en affranchi vertement dès lors qu’il s’agit du Sahara Occidental ».
« Un jour le Polisario récupèrera via la justice toutes les immenses richesses qui lui sont pillées. Cela prendra du temps. Mais cela se fera de manière inexorable ».
« Les Sahraouis sont un peuple courageux, qui, depuis 50 ans, résiste aussi bien dans les Campements de réfugiés que dans le Territoires occupé. Il résiste au climat hostile dans les Campements de réfugiés, et à la répression sauvage dans le Territoires occupé ».
« Toutes les familles des militants et des prisonniers politiques sont assignés à résidence, enfermées dans leurs maisons surveillés par vidéos et encerclées par la police en civil pour empêcher tout regroupement ».
« La misère et la discrimination sont de plus en plus insupportables dans le Territoire occupé. Depuis 2014, soit 11 ans, aucune personne solidaire, aucun journaliste, aucun élu, aucun avocat et juriste ne peut entrer sans être refoulé. Plus de 300 personnes expulsées d’une quinzaine de pays à ce jour C’est une vraie prison à ciel ouvert ».
« Le Maroc foule aux pieds le droit international. Il affirme que tout ce qui vient en soutien au Sahara Occidental est hors-la-loi selon la fameuse devise « Roi, Religion et Sahara » qui sont des sujets tabous depuis toujours . Et c’est pour ça que je suis moi-même décrétée « hors-la-loi » par les autorités d’occupation marocaines si j’ose y aller ».
« Les prisonniers politiques et leurs familles voient d’un très bonne œil cette action de marche qui doit nous mener jusque dans leurs prisons ».
« Il est important de montrer que ce sont des personnes avec une dignité à respecter , photos à l’appui. Derrière chacun de ces prisonniers politiques, il y a une famille qui l’attend. Nous voulons montrer et dire aux gouvernements français et marocains qu’il est temps de libérer ces prisonniers politiques ».
Entretien réalisé par Mohamed Abdoun .
La Patrie News : Vous vous apprêtez à mener une véritable odyssée, 3.000 kilomètres aller et retour depuis Paris jusqu’à Kénitra, ville marocaine, à une heure de Rabat en train, où est située la prison dans laquelle est détenu votre époux. Un mot sur les détails de cette Marche hors normes, les résultats qui en sont attendus et ses revendications essentielles…
Claude Mangin : Bonjour , je vous remercie d’être un des porte-parole de cette grande aventure que nous avons commencée il y a plus d’un an. Il s’agit d’ aller jusqu’à la prison de Kénitra près de rabat pour demander la libération de tous les prisonniers politiques sahraouis, dont mon mari en prison depuis 15 ans. Pour ce faire, nous nous appuyons sur la publication en novembre 2023 par le groupe de travail sur » la détention arbitraire » du Haut Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU à Genève d’ un Avis, confirmant qu’ils étaient tous en détention arbitraire depuis 2010 et qu’ils devaient être libérés immédiatement. Eh bien, comme vous le savez, rien ne bouge du côté des Etats qui sont tenus de faire appliquer ces décisions par le Maroc. Au contraire, Monsieur Macron a décrété le 30 juillet 2024 que le Sahara occidental était marocain. Nous avons décidé de donner une suite à la grève de la faim de trente jours que j’avais menée en avril/mai 2018 à la Mairie d’Ivry sur Seine, suite à ma 4e expulsion et à l’ interdiction de séjour au Maroc qui m’empêche de voir mon mari depuis 2016.
Nous lançons , le 30 mars 2025 à 10h sur l’esplanade devant la Mairie d’Ivry sur Seine, « La Marche pour la Liberté Ivry-Vitry -Kénitra » ( Maroc), qui va s’ arrêter quelques jours dans 9 villes françaises et 12 villes espagnoles pour arriver jusqu’au Maroc. Nous voulons dénoncer ce qu’est une injustice et une voie contraire la légalité internationale.
Il faut savoir que contrairement au Maroc, le Polisario a toujours suivi la voie de la légalité internationale dans toutes ses actions. Nous qui le soutenons, demeurons attachés au règlement prôné par l’ONU, à savoir la tenue d’un référendum d’autodétermination du peuple sahraoui. C’est la manière normale pour un état d’obtenir l’indépendance comme les 53 autres pays de l’Afrique l’ont fait au cours des années. Pourquoi est-ce que le Sahara occidental resterait le seul Etat qui n’a pas droit au traitement postcolonial de décolonisation qui se fait par référendum comme ça c’est fait aussi pour l’Algérie en 1962? Nous avons établi un itinéraire qui passe par l’ouest de la France parce qu’ il y a de nombreuses communautés de la diaspora sahraouie dans l’ouest, des personnes qui sont venues au cours des 50 dernières années pour faire des travaux saisonniers, comme ramassage fruits, fraises, pommes, poires et aussi travailler par exemple dans l’abattoir de Bressuire qui est un des métiers les plus durs. Mon neveu l’a fait pendant quelques mois, il m’a raconté la pénibilité de ce métier qui reste au bas de l’échelle et que les Français ne sont pas prêts à faire. Au fil du temps, des communautés se sont formées à Bressuire, Bordeaux, Sainte Foye la Grande, Toulouse, Montauban, … c’est comme ça que nous avons choisi le parcours. Nous sommes partis des contacts que nous avions déjà depuis 2016 au moment où nous avons fait une tournée en France, en Europe, en Algérie et jusqu’au Japon pour présenter le film « Dis-leur que j’existe-une histoire sahraouie ». Ce film sorti en 2016 grâce à un crowfunding a été réalisé avec des images de Gdeim Izik, il reste plus que jamais d’actualité. Il raconte la quête de justice que nous avons entreprise auprès de toutes les autorités compétentes et concernées. Il s’agit d’obtenir justice pour Naâma, et pour ses compagnons dits du « groupe de Gdeim Izik« . Ce film m’a valu une interdiction de séjour au Maroc. Cette interdiction reste valable jusqu’à aujourd’hui. Nous avons gardé le contact avec bon nombre d’organisations syndicales, politiques, humanitaires… et c’est ainsi qu’une dizaine d’organisations ont travaillé d’arrache-pied depuis le mois de septembre 2024 dans chaque ville étape pour organiser l’accueil, l’hébergement, la nourriture, et surtout, mettre sur pied un vaste programme d’activités pour faire découvrir la cause sahraouie si peu connue en France , aux habitants locaux tout au long de notre itinéraire. Nous prévoyons des projections de films, des tables rondes, des conférences-débats, des ateliers d’écriture aux prisonniers politiques sahraouis, lors de chacune de nos étapes. Les autorités (pénitentiaires) marocaines recevront des sacs plein de courriers qui ne sont quasiment jamais remis aux prisonniers mais qui prouveront qu’ils ne sont pas oubliés. Nous trouverons ainsi de nouveaux parrains-marraines pour continuer d’écrire aux prisonniers et à leurs familles jusqu’à leur libération. Au cours de chaque étape, qui durera chacune trois ou quatre jours, nous allons rencontrer les élus des mairies et des conseils départementaux et des parlementaires élus dans ces régions. Des rencontres et des couvertures par les médias auront bien évidemment lieu. D’ailleurs, le travail de sensibilisation auprès des médias est déjà largement entamé. En particulier avec les rédactions qui nous ont toujours suivies lors de nos missions humanitaires et de solidarité dans les camps de réfugiés. Ainsi, Ouest-France, L’Humanité, La Croix, Libération, Marianne, Politis, Mediapart, RFI et ARTE, les médias européens comme la radio internationale en langue française la Deutsche Welle , Die Welt , le célèbre quotidien de gauche publié à Berlin qui nous accompagnent chaque année dans les Campements sont à chaque fois étonnés par la résilience du peuple sahraoui. Mais aussi par son combat et sa soif de recouvrer sa patrie. Il ne lâche pas. Ne lâchera jamais. Ce n’est pas parce que Monsieur Macron a dit que le Sahara était marocain que le droit international va changer.
Cette marche intervient à un moment de grands chambardements géostratégiques avec, notamment, l’arrivée de Trump au pouvoir, la lettre de soumission de Macron à Mohamed, après celle de Pedro Sanchez allant dans le même sens. Mais, en parallèle il y a les arrêts cruciaux de la CJUE- Cour Européenne de Justice rendus en faveur du peuple sahraoui et de son représentant légitime, le Front Polisario . (Hommage au passage au regretté Me Gilles Devers). Est-ce que ce climat chaotique général ne risque pas d’étouffer cette marche, de l’invisibiliser en quelque sorte ?
Elle a toujours été invisibilisée c’est même la particularité du colonialisme, affirmer qu’il n’y a personne « Terra Nullius » sur un territoire afin de l’occuper. Il est vrai que l’espace médiatique est totalement saturé par Monsieur Trump, avec ses nombreuses annonces. Le monde baigne dans le chaos. Mais, ce n’est pas parce que les médias ne parlent que de ça, qu’il n’existe pas au sein des sociétés un immense désir de résistance. Cette tendance lourde se voit partout. A commencer par les Etats-Unis. En France, cela fait une année que Monsieur Macron a dissout l’Assemblée, avec les conséquences qu’on a vues. Là aussi, la population résiste. Les deux chambres parlementaires sont bloquées sans majorité présidentielle ce qui en retour paralyse l’ exécutif. Cet « état de guerre » dont on parle maintenant n’est pas de bonne augure. Bien au contraire. En tous cas, nous, en tant que défenseurs du peuple sahraoui, ferons toujours partie des militants qui se battent en faveur de plus de justice, d’égalité, de fraternité et plus de vérité. Ce qui est intéressant à retenir, c’est que lorsqu’ Emmanuel Macron a parlé le 30 juillet passé de « marocanité du Sahara occidental », il l’a fait tout seul. Comme un roi. Il l’a fait alors que les deux chambres parlementaires ne siégeaient pas, et qu’il n’y avait pas de gouvernement. C’est donc une décision totalement personnelle.
Cet alignement unilatéral de Macron sur le colonialisme marocain a été suivi par des visites officielles françaises au Maroc, et même dans le Territoire occupé. Est-ce-à dire qu’il s’agit d’une tendance lourde et durable ?
Je ne le pense pas. Nous avons d’ailleurs accueilli avec satisfaction les nombreux communiqués de presse des partis politiques de l’opposition, les Ecologistes , le PCF et le PS , ce qui est nouveau, et les médias écrits s’en sont largement fait écho. (Cela n’a pas été le cas après les arrêts de la CUEJ en octobre où tout a été écrasé par la visite du président Macron). Les médias ont dénoncé cette décision arbitraire et prise par un seul individu, aussi président soit-il. Il y a eu quasi unanimité politique à gauche contre Monsieur Macron, alors que d’ordinaire, ils se montrent très frileux sur cette question de décolonisation et de respect de la légalité internationale. Durant tout l’été, des dizaines d’articles ont fleuri autour de cette décision unilatérale de monsieur Macron. Une décision que personne ne lui demandait en dehors du roi marocain. Cette décision a été renforcée par une visite royale, menée au Maroc par une centaine de personnalités françaises et franco-marocaine, parties s’agenouiller devant sa majesté. Ce dernier est d’ailleurs apparu à cette occasion dans un état de santé dégradé. Cela a permis officiellement à des entreprises françaises de décrocher pas mal de contrats. La cérémonie des signatures de ces accords a duré plus d’une heure. Ces accords étaient légers et manquaient de précision. En tous cas, tous les amis du Maroc étaient là et bien sûr les plus compromis. Même le grand Edgar Morin. De quoi se demander comment un homme de son envergure se place dans une pareille situation. Renseignements pris, il est marié à une marocaine. Car, bien souvent, ce genre de dérives et de dérapages commencent par là. Il faut aussi noter que cette visite est intervenue immédiatement après le 4 octobre, date de publication de l’arrêt définitif et exécutoire de la Cour Européenne de Justice, donnant totalement raison au peuple sahraoui et à son représentant légitime, le Front Polisario.
De cela la presse s’en est fait très peu l’écho.
La France traverse une des crises les plus sévères de son existence. L’on pense et envisage activement l’après Macron. Comment faire pour que cet « après » ramène la France vers sa neutralité de façade vis-à-vis de la question de décolonisation du Sahara Occidental ?
La France, tenue de respecter les lois et décisions de justice européenne, s’en affranchit ouvertement dès lors qu’il s’agit du Sahara Occidental. Un jour, le Polisario récupèrera via la justice toutes les immenses richesses qui lui sont pillées. Cela prendra du temps avec des procès contre chacune des entreprises qui sont dans l’illégalité. J’ai été étonnée de voir que c’est l’AFD (Agence Française de Développement) qui garantit tous ces projets illégaux dans le Territoire occupé. Je suis outrée de voir tout ce beau monde fouler allègrement au pied le droit international. Les Sahraouis sont un peuple courageux, très résilient qui, depuis 50 ans, résiste aussi bien dans les Camps de réfugiés que dans le Sahara occupé par l’armée coloniale marocaine. Il résiste au climat hostile dans les Camps de réfugiés et à la baisse des livraisons de nourriture par le PAM- Programme Alimentaire Mondial de l’ONU , et à la répression sauvage dans le Territoire occupé. Le Maroc a entrepris depuis le cessez le feu de 1991,une colonisation de peuplement ce qui est considéré comme un crime de guerre, selon le Droit International Humanitaire . Des dizaines de milliers de Marocains sont venus prendre la place, les maisons et les emplois des Sahraouis sous un régime d’apartheid flagrant. Dans les écoles, les enseignants, pas toujours les meilleurs, imposent aux élèves de saluer le drapeau marocain. Cela fait que beaucoup de jeunes sahraouis ont renoncé à leurs études ou ont été renvoyés des écoles et lycées. La misère et la discrimination sont de plus en plus insupportables dans le Territoires occupé. Sans compter cet état de siège permanent. C’est une vraie prison à ciel ouvert sans témoins depuis 2014 où toute visite de solidarité est interdite et sanctionnée par des expulsions plus de 300 à ce jour.Toutes les familles des militants et des prisonniers politiques sont assignés à résidence, enfermées dans leurs maisons. La police et les caméras les surveillent H24. Toutes les visites, même familiales, sont empêchées. L’objectif est d’empêcher les actions concertées ce qui trahit la peur panique de l’occupant marocain face à la résistance du peuple sahraoui.
Le combat du peuple sahraoui pour sa dignité et son indépendance est mené sur plusieurs fronts. Celui de la voie diplomatique et juridique au sein de l’ONU reste-t-il encore crédible, sachant que la loi du plus fort et du fait accompli paraît s’imposer ?
Ce combat peut paraitre perdu, mais ce n’est pas du tout le cas. comme je le dis souvent, c’est un combat perdu à gagner. Il ne faut jamais baisser les bras quand la cause est juste et reconnue. Or cette lutte est juste, conforme au droit international. Elle perdure depuis plus d’un demi-siècle. Nous sommes les héritiers de ce noble et juste combat. Les Sahraouis ont mené cette lutte contre l’occupant espagnol, puis l’occupant marocain, au prix d’énormes sacrifices. Nous ne pouvons pas faire moins qu’eux. Le Maroc foule aux pieds le droit international en soutenant que le Sahara occidental serait hors-la-loi. Et c’est pour ça que je suis moi-même décrétée hors-la-loi par les autorités d’occupation marocaines. Toute cause juste mérite qu’on lutte et qu’on se sacrifie pour elle. En tant que française dont le pays est membre du Conseil de sécurité, notre devoir de citoyen et de rappeler le droit bafoué. La dignité n’est pas négociable. La torture est inacceptable. Elle est d’ailleurs condamnable et condamnée. Le Maroc, qui a signé et ratifié toutes les Conventions internationales, est tenu de les observer et de les faire appliquer dans les différentes instances internationales où il siège. Le Maroc a été condamné cinq fois concernant la torture de cinq prisonniers de Gdeim Izik, dont mon époux, Naâma Asfari qui a été le premier à en bénéficier, ce qui a beaucoup terni l’image du Maroc. A l’époque, en 2016, le Maroc y était très sensible. Il tenait à montrer qu’il faisait tout bien. Après les Accords d’Abraham signés sous l’égide de Trump 1 en 2019, il a franchi allègrement tous les interdits avec la complicité de ses alliés. La mention comme quoi Naâma ne doit pas subir de représailles ni lui, ni sa famille n’a jamais été observée et j’ai le droit d’écrire pour le dénoncer auprès du Comité contre la torture, c’est repris dans le Rapport annuel du Secrétaire Général de l’ONU et le Maroc est tenu de répondre. La preuve, en 9 ans, je ne l’ai vu mon mari qu’une seule fois suite à ma grève de la faim de trente jours observée en 2018. Il y a encore dix dossiers en cours déposés en 2022 auprès du CAT-Comité contre la Torture à Genève. Cela prend hélas beaucoup de temps à être traité. La solidité de nos dossiers fait que nous attendons avec assurance cette année ou la suivante de nouvelles condamnations du Maroc concernant les plaintes que nous avons déposées. Dans la dernière condamnation, il est précisé que cette torture est systémique. Le Maroc sera donc condamné dix fois pour ces dix prisonniers politiques. A chaque fois, c’est l’ONU qui décrète que c’est le Maroc qui est coupable de torture, de détention arbitraire, et de traitement dégradant. Les deux procès en 2013 puis en 2017, qui ont abouti à la condamnation des prisonniers politiques de Gdeim Izik à des peines allant de 20 ans à perpétuité, étaient tous deux iniques et illégaux selon les rapports des observateurs internationaux et de l’ONU. De plus, ces détenus ne devraient pas être embastillés au Maroc, mais bien au Sahara occidental afin de les rapprocher de leurs familles. Car, il faut savoir que la vie des familles de ces prisonniers politiques est infernale depuis près de 15 ans. Il y a plus de 2.000 kilomètres aller-retour. Les déplacements coûtent cher. Il est interdit aux Marocains de louer ou d’héberger des Sahraouis. Ces familles, même si elles arrivent à traverser toutes ces épreuves, ne sont jamais sûres de voir leurs proches une fois devant la porte de la prison. Cette cruauté et cette torture morale sans nom sont condamnables, c’est ce qu’on appelle la vengeance coloniale. Il y a privation indirecte de visites. Les enfants grandissent sans connaitre leurs pères. Les fils apprennent la maladie puis la mort de leurs parents dans leur vieillesse sans les avoir revus. Sans compter mon cas qui suis empêchée de voir mon mari et de mettre les pieds au Maroc depuis 2016. Il reste heureusement le téléphone. Mon mari est autorisé à m’appeler deux fois par semaine pendant une vingtaine de minutes sur le poste téléphonique de la prison surveillé par un gardien francophone. Deux fois, c’est largement insuffisant. Je ne peux pas bénéficier d’ échanges normaux entre conjoints, lui raconter tout ce que je vis, mes combats, mes espoirs, ma vie quotidienne. Aucune spontanéité puisque, moi, je ne suis pas autorisée à l’appeler. C’est très frustrant et pesant. En l’absence de droit de visite, ce contact téléphonique est vital pour nous (d’autant plus qu’aucun courrier n’est remis, ni les revues ou livres que j’envoie pas la poste et qui me ont retournés). Nous nous soutenons mutuellement. Les prisonniers politiques et leurs familles voient d’un très bon œil cette action de « la Marche pour la liberté » qui va nous mener jusqu’à eux au rendez vous de Kénitra début juin. Un grand rassemblement international avec élus et médias internationaux est prévu dans la ville espagnole d’Algésiras. Nous prendrons tous le ferry , eux aussi, pour traverser le détroit de Gibraltar pour aller à Tanger. Quelles seront les réactions des autorités marocaines? et les autorités françaises, avec tous ces élus sur les côtes marocaines? J’en profite pour dire aux autorités marocaines de libérer leurs otages politiques, maintenant qu’elles ont obtenu ces soutiens français, espagnol et américain, il n’y a plus de raison de les garder en prison. Ces prisonniers politiques sont actuellement au nombre de 33. Durant toute notre marche, nous brandirons leurs portraits. Il est important de montrer que ce sont des êtres humains en chair et en os, photos à l’appui. Derrière chacun de ces prisonniers politiques, il y a une famille qui l’attend. Nous voulons montrer et dire aux gouvernements français et marocains qu’il est temps de libérer ces prisonniers politiques. Leur seul crime est d’avoir revendiqué, selon le droit international, la libération de leur pays illégalement occupé et pillé par le Maroc. Quinze ans de souffrances dans les prisons marocaines, cela suffit !
Un dernier mot, avant cet homérique top-départ ?
Je tiens à exprimer mon admiration et ma gratitude pour tous les Collectifs locaux chargés d’organiser cette grande « Marche de la liberté ». Chacun d’entre eux est engagé pour nous accueillir et nous héberger à chacune des étapes de notre « Marche de la liberté. » C’est eux qui rendent possible cette action d’envergure, dont nous attendons beaucoup. Je suis admirative pour ces femmes et ces hommes engagés. Leur mobilisation galvanise et donne plus de chance et d’espoir à cette cause juste et noble d’être entendue . Elle permet de jeter la lumière sur les persécutions et les expulsions dont presque personne ne parle en France hormis certains médias algériens et espagnols. Tous ces citoyens et électeurs, sensibilisés par cette « Marche pour la la liberté », va le répéter inlassablement à ses élus. Cette marche est aussi un grand exercice démocratique. C’est le peuple qui exprime ses desiderata à ses élus. C’est capital en cette période où beaucoup de présidents deviennent des autocrates. Cette marche, in fine, va doter la cause de centaine, voire de milliers, de nouveaux partisans, aussi bien en France qu’en Espagne. Nous avons calculé que l’impact de notre marche devrait toucher au moins 100.000 personnes si on compte les personnes touchées pas les réseaux sociaux pour lesquels ont été créés des visuels et des contenus inédits et reconnaissables pour être à leur tour transmis à grande échelle à travers le monde. Chaque étape durera quatre jours et touchera des centaines de personnes. Le journal de notre association va éditer deux numéros spéciaux, un sur « la marche de la liberté » et les prisonniers politiques, et l’autre sur les témoignages de tous ceux qui sont allés dans les Camps de réfugiés lors de notre mission de février 2025. Ces deux numéros seront accessibles sur le site de l’AARASD et sur le site de « la marche de la liberté ». Tout le monde est invité à venir nous rejoindre dans chacune de nos étapes, aussi bien en France qu’en Espagne surtout à Algésiras le samedi 31 mai. La victoire est au bout du chemin.