Entretien/ El-Ghalia Djimmi , membre fondatrice de l’ISACOM : « Le cas Soltana Kheya concentre tous les dépassements marocains depuis 1975 à ce jour »
Femme courageuse et déterminée à la fois, campagne de route (et de prison aussi) de la célèbre Aminatou Haidar, El Ghalia Djimi, increvable militante des droits de l’Homme et de l’indépendance de son pays, elle nous raconte pudiquement son calvaire, son enfer vécu des mains de l’occupant marocain.
Elle nous raconte aussi ses espoirs, son combat, et sa foi en la possibilité de vivre pacifiquement et en bonne intelligence avec les frères et voisins marocains, une fois que le Sahara Occidental aura arraché son indépendance.
Malgré l’abandon et la trahison dont souffre le peuple sahraoui de la part de la communauté internationale, son hymne à l’espoir ne laisse pas de titiller tous les cœurs épris de justice et de liberté. Pour la précision, et pour mettre en exergue l’incommensurable courage de cette grande militante, il suffit juste de préciser que cet entretien a eu lieu depuis El Ayoune occupé. A lire et à partager impérativement…
Entretien réalisé par Mohamed Abdoun
La Patrie News : Parler-nous de ce recueil qui rassemble 81 témoignages de citoyennes sahraouies sur les dépassements, tortures et assassinats marocains commis dans les territoires occupés depuis la marche verte de 1975 ?
El-Ghalia Djimmi : Ce rapport est une initiative de trois membres de l’ISACM (Instance Sahraouie Contre l’Occupation Marocaine). A l’origine, il s’agissait de l’Espace de la femme sahraouie, une maison que nous louerions pour organiser nos rencontres, destinées à la formation, au recueil des témoignages et à la sensibilisation. Après quatre ans d’activité, le Maroc a obligé la propriétaire à nous chasser. Ce projet porte donc la marque et la signature de cet Espace.
Vous y parlez de 7 formes de dépassements qui reviennent systématiquement depuis 1975 à ce jour. Pouvez-vous nous en dire plus ?
En résumé, l’objectif des sévices subis est de programmer une mort lente et irrémédiable des Sahraouis qui en sont victimes. Ce constat est encore plus vrai pour celles et ceux qui sont passés par les disparitions forcées et arbitraires.
Ils sont tous détenus au secret dans des conditions extrêmement précaires, privés de soins médicaux et de nourriture correcte et suffisante, cela en plus des tortures morales et physiques qu’ils subissent. Pas d’hygiène, ni de bain de soleil non.
Les tortionnaires tuent leurs victimes de façon préméditée et à petit feu…
Exactement. Je me rappelle très bien d’une histoire qui m’était arrivée lors de ma disparition forcée. Après notre transfert d’un lieu de détention secret vers un autre, suite à ma torture sur la plante des pieds, le policier m’avait demandé de récupérer mes sandales en plastique. Je lui avais répondu que je n’en aurais certainement pas besoin puisque j’allais mourir.
Les témoignages que j’avais écoutés durant cette détention m’avaient convaincue que ma fin était imminente. Depuis 1976, j’entends aussi raconter des histoires de tortures, de disparitions forcées et de victimes enterrées vivantes. La réponse de ce policier avait été ainsi : « on n’est pas pressés de vous tuer. On va vous laisser mourir petit-à-petit.
Parlez-nous de votre expérience personnelle…
J’ai moi-même été victime de disparition forcée. J’ai passé trois ans et sept mois dans les prisons secrètes marocaines. J’avais les yeux bandés pendant tout ce temps. Je n’ai pu recouvrer l’usage de mes yeux que quatre jours avant ma libération.
On était un groupe de femmes et d’hommes à avoir subi le même traitement, à l’instar de la camarade Aminatou Haidar. Nous avons subi tous ces dépassements, et bien plus. Car, il y a des choses dont on ne parle pas jusqu’à ce jour.
Pourquoi !
Long silence. Me concernant, et vu mon parcours de militante, j’ai un peu le courage d’en parler. Mais, c’est loin d’être le cas pour toutes les victimes. Il s’agit des attouchements à caractère sexuels. Imaginez des femmes avec les yeux bandés dans des cellules privées de portes. Les gardiens hommes sont avec nous jour et nuit.
Les cellules font 16 mètres carrés de superficie, avec un couloir d’un mètre de largeur. N’importe qui peut venir et faire ce qu’il veut, quand il le veut.
On reconnaissait les supérieurs à leurs chaussures, et à leur parfum aussi. On a beau dénoncer et se plaindre. Personne ne nous écoute jamais. On nous répond systématiquement : « vous n’avez aucun droit. Vous êtes là pour mourir ».
Comment vous vivez dans les territoires occupés depuis la reprise du conflit armé?
Il va sans dire que la surveillance a été renforcée. Il ya plein de policiers en civil et en tenue à proximité de nos demeures. Tous les défenseurs des droits de l’Homme et militants de la cause sahraouie sont concernés par cette surveillance sécuritaire renforcée. Depuis 2020, déjà, les condamnations sont devenues très lourdes et disproportionnées pour tous les Sahraouis arrêtés, surtout les jeunes.
Ces condamnations varient systématiquement entre quatre et vingt ans pour des charges minimes, et bien souvent inexistantes. Pendant ce temps, les policiers coupables d’assassinats contre des Sahraouis ne sont jamais inquiétés par la justice.
Les témoignages et les preuves existent, et ont été présentés aux instances habilitées, qu’attend le monde pour réagir, sanctionner le Maroc, à défaut de le rappeler à l’ordre ?
Notre peuple est en danger d’extermination. Cela ne date pas d’aujourd’hui. Nous subissons brimades, tortures, censures, interpellation, surtout ceux d’entre nous qui osent parler et revendiquer leurs droits à la liberté et à l’autodétermination du peuple sahraoui.
Même ceux qui se taisent, vivent dans des conditions horribles, surtout sur le plan économique. Nos délégations venant des camps de réfugiés et des territoires occupés ont présenté un nombre incommensurable de rapports écrits et oraux à la commission des droits de l’Homme de l’ONU.
De sa plénière aussi. Mais… soupir de dépit ! Nous constatons que l’ONU est un rassemblement de pays qui ne prennent en ligne de compte que leur propre intérêt. Le plus que l’on peut continuer de faire, c’est de dénoncer et attirer l’attention. Refuser de sombrer dans l’oubli et l’anonymat.
Depuis 2009, année depuis laquelle je participe à ce genre de travaux, je n’ai jamais rencontré d’actions concrètes visant à obliger le Maroc à se plier au droit international. Je crains hélas que rien ne change sous le mandat de Staffan de Mistura.
Nous faisons tout pour garder visible notre cause aux yeux de la communauté internationale. Nous faisons notre possible pour que notre peuple, berné et abandonné par le monde depuis 46 longues et interminables années ne dévie pas ver l’extrémisme et la violence.
Nous souhaitons vivre en paix avec nos frères et voisins marocains, mauritaniens et algériens que je salue à travers vous.
Je dis cela avec une grande conviction malgré tout ce qu’on a vécu comme tortures, familles séparées, disparitions forcées, spoliation, pillage de nos richesses naturelles. Il faut que la communauté internationale œuvre à concrétiser la paix et la stabilité dans cette région du monde, à commencer par la France, les USA et l’Espagne, dont la responsabilité est indéniable dans la persistance e ce conflit.
Les constants dépassements du régime makhzenien bénéficient d’une insoutenable impunité. C’est également le cas concernant ce que subissent aussi nos frères militants marocains sur le sol de ce royaume.
Lors de la conférence virtuelle de ce jeudi, nous avons pu assister en direct au témoignage poignant de Soltana Kheya…
Le cas de Soltana Kheya concentre à lui-seul tous les dépassements dont parlions au début de cet entretien. Le Maroc, à travers ce cas concret et précis, démontre à la planète entière qu’il n’a jamais rompu avec ses années de plomb, contrairement à ce qu’il prétend. On salue très fort le rôle moral, le dévouement et le courage de Soltana Kheya, sa sœur et sa maman. Plusieurs fois, des militantes ont essayé de lancer la même action, à savoir « mon drapeau sur mon toit ».
Les forces d’occupation marocaines interviennent alors systématiquement et avec une extrême violence. Nous avons tenté maintes fois de lui rendre visite et de briser le blocus qui lui est imposé. C’est impossible. Ils ont nos photos. Ils nous connaissent et nous suivent tous à la trace.
Une petite délégation composée de trois nobles et braves femmes, dont celles qui ont recueilli les témoignages évoqués au début de cet entretien, ont essayé de se rendre depuis Laâyoune à Boujdour pour rendre visite à Soltana Kheya le 27 février et commémorer avec elle le 46e anniversaire de la proclamation de la RASD. Cette délégation pacifique a été violemment réprimée.
Ces femmes ont été violement éloignées du domicile de Soltana Kheya pour éviter les caméras et les témoins gênants. Ces femmes ont été par la suite trainées sans ménagement vers des ruelles adjacentes où elles ont subi pas mal de maltraitances. Certaines ont été dépouillées de leurs melhefa, et d’autres ont vu leurs lunettes cassées. Cela,
Un mot pour les détenus de Gdeim Izik ?
Je salue ici tous les prisonniers sahraouis, et pas seulement ceux de Gdeim Izik. Nous revendiquons leur libération immédiate et inconditionnelle.
Nous connaissons parfaitement l’ensemble de ces détenus, et pouvons attester sans le moindre risque de nous tromper que leur arrestation et leur condamnation arbitraire est uniquement due à leur activité en faveur de l’indépendance de leur patrie, le Sahara Occidental. Nous condamnons avec force cette inacceptable injustice qui frappe ces détenus d’opinion.
Vous avez dit tout à l’heure quelque chose de très intéressant. La même chose m’avait été dite par Omeima Abdessalam, représentante de la RASD auprès des Nations-Unies en Suisse, à savoir que le peuple sahraoui est un peuple pacifique, et facteur de stabilité dans cette région extrêmement volatile de la planète. Est-ce que les puissances qui continuent de soutenir le Maroc, en dépit du bon sens et du droit international, ne sont pas en train de joueur avec le feu ?
Cela coule de source en effet. Mais il ne faut pas oublier la cause initiale de cette injustice, qui est l’Espagne. Sa responsabilité juridique et historique est pleinement établie.
Le plus grave, c’est qu’elle continue toujours de soutenir le Maroc au niveau de l’ONU à cause des dividendes économiques qu’elle en récolte. Nous sommes au regret de rappeler à ces puissances qu’elles laissent se faire brimer un peuple pacifiste, qui respecte les convictions religieuses de chacun et qui, une fois indépendant, peut jouer un rôle nodal dans la stabilisation et le développement durable de tout le Sahel.
Nos jeunes, cultivés, bien éduqués et d’un niveau intellectuel appréciable, sont sans perspectives. Jusqu’à quand ! Il arrivera un moment où on ne pourra plus tenir, surtout nos jeunes. Nous, qui avons vécu tortures et disparitions forcées, restons tolérants, et continuons de dire que nous n’avons pas de problème avec nos frères marocains, mais seulement avec leurs dirigeants.
Depuis la reprise du conflit armé, le Maroc recourt aux drones tueurs. Est-ce que cela transforme en no man’s land les territoires libérés, sachant par ailleurs que les Sahraouis sont un peuple nomade, qui a besoin de se déplacer constamment…
Franchement, je n’ai pas grand ‘chose à chose sur les territoires libérés, sachant que moi je vis en territoires occupés. Mais il est évident pour moi que l’usage par le Maroc de ces drones tueurs entrave les mouvements des citoyens sahraouis, et met en danger leurs propres vies.
Nous connaissons et subissons de nouveaux types de crimes contre l’humanité depuis la reprise de la guerre en date du 13 novembre 2020.
Parlons d’armes encore. On a vu un communiqué de l’ISACOM, qui appelle à interdire la vente au Maroc de matériel d’espionnage technologique comme Pegasus. Est-ce que vous en avez été victime vous aussi ?
Dieu merci, je n’ai pas d’iphone. Mais ; j’ai appris que mon numéro de téléphone figurait sur la première liste de 60.000 personnes rendue publique par Amnesty Internationale. Impossible d’analyser mon téléphone basique comme cela avait été fait avec ma camarade Aminatou Haidar.
Un récent communiqué d’AI a également évoque l’infection des deux téléphones de ma camarade, et pas qu’un seul.
Finalement, vous avez eu de la chance de ne pas vous munir d’un iphone….
Sans doute. Mais je peux attester sans le moindre risque de me tromper que j’ai été systématiquement été placée sous surveillance téléphonique. Quand j’avais le téléphone fixe, je me rendais souvent compte que j’étais sur écoute.
J’ai même écrit au procureur général du roi pour m’en plaindre. On se rendait constamment compte que quelqu’un d’autre était avec nous au téléphone.
On a vécu ainsi jusqu’à notre déménagement et l’abandon du téléphone fixe. En conclusion, que le Maroc reconnaisse ou pas qu’il espionne et s’immisce dans la vie privée de beaucoup, ce constat d’espionnage éhonté ne fait absolument aucun doute pour nous. Nous sommes aussi surveillés par les antennes qu’ils placent à l’entour de nos maisons.
C’est notre destin. Nous l’acceptons bien volontiers pour notre patrie. Nous acceptons tous les sacrifices pour notre indépendance, et vivre en paix avec tous nos voisins, dans la paix et la stabilité.
La décision rendue par la cour de justice européenne risque de grever les ressources des partenaires ou complices du Maroc, sachant que l’argent est le nerf de la guerre. Est-ce que cette donne ne va pas renverser la vapeur ?
Certes, cette décision de la cour de justice européenne est très importante pour nous. D’ailleurs nous osons espérer qu’elle sera concrètement et scrupuleusement suivie et appliquée sur le terrain. En revanche, nous avons le regret de constater que le Maroc est immensément riche grâce à l’argent de la drogue.
Avec cette inestimable manne financière et sa caisse noire, il peut se permettre de corrompre qui il veut, et d’acheter pas mal de consciences de plusieurs hauts responsables, européens, onusiens ou autres…
M.A