Entretien exclusif/ Jean-Louis Guigou, fondateur de l’IPEMED à la Patrie news
“Dans la nouvelle donne énergétique européenne, l’Algérie joue un rôle-clé “
Entretien réalisé par Mohamed Ait S.
La Patrie news : Le président du Mouvement des entreprises de France (MEDEF), Geoffroy Roux de Bézieux, a salué l’adoption par le gouvernement algérien du nouveau code des investissements, affichant la « disposition des opérateurs français à continuer à accélérer les échanges quel que soit le climat politique entre les deux pays ». L’heure d’une réelle dynamisation de la coopération économique bilatérale a-t-elle sonné ?
M. Guigou :Oui, l’heure d’une nouvelle dynamisation de la coopération économique bilatérale- France-Algérie- a sonné ! Les faits sont là. Les français se devaient d’en tenir compte : Ne serait-ce qu’en Mai 2022, Alger très courtisée, a eu la visite du Ministre russe des Affaires étrangère qui a transmis une invitation du Président Poutine au Président Abdelmadjid Tebboune ; Le Président Erdugan était à Alger le 16 mai ; le Président Algérien est reçu en grande pompe et séjourne deux jours à Rome avec, en perspective, de préparer le Sommet Intergouvernemental à Alger les 18 et 19 juillet ; 100 entreprises polonaises ont fait débat avec le patronat algérien ! etc..
Oui, il était temps que la France bouge ! Il était temps que « quel que soit le climat politique » la priorité soit donnée à l’économique.
Reste maintenant à se poser la question du comment ? Est-ce que les leviers utilisés sont les bons ? Ma réponse est plus nuancée.
Peut-être l’accent, dans les échanges entre les deux délégations, a-t-il été trop mis sur les moyens et pas assez sur les objectifs ? Certes la stabilité juridique et fiscale est une condition nécessaire. Mais elle n’est pas suffisante. La priorité ce sont les objectifs. Et plus les objectifs sont ambitieux et partagés et plus rapidement les moyens d’y parvenir seront mis en place. Avec l’Algérie, comme avec l’Allemagne en 1950, parce que les traumatismes de la guerre subsistent, il faut être très très ambitieux sur les objectifs et ne pas se limiter à l’accroissement des parts de marché.
La question de la co-localisation et de la co-production a bien été abordée. Mais peut-être sous l’angle des moyens, là encore à court terme, et du code des investissements ; pas assez sous l’aspect partenarial, transfert de technologie, partage de la valeur ajoutée, construction de Zones Economiques Spéciales (ZES) et des clusters ?
Reste enfin que cette délégation d’une dizaine de très grandes entreprises françaises aurait pu y associer les petites et moyennes entreprises avec la CPME et le CJD ? Mais aussi de remarquables entreprises de la diaspora franco-algérienne notamment dans le numérique, la santé et l’environnement, etc .?
Dans la nouvelle donne énergétique européenne, l’Algérie a un rôle-clé à jouer, avez-vous récemment déclaré dans une tribune pour un média français. Quel est ce rôle que notre pays peut jouer ?
Oui, dans la nouvelle donne énergétique européenne, l’Algérie à un « rôle-clé » à jouer. Elle peut effectivement devenir, comme l’a suggéré notre ami Mourad Preure « la pile électrique de l’Europe ». L’Algérie pourrait contribuer à réduire la dépendance de l’Europe au gaz et au pétrole russe et promouvoir pour cela un partenariat équilibré-France/Algérie- pour construire, ensemble, avec le Maghreb, le Sénégal, la Mauritanie etc. un grand ensemble d’industriel de production sur le gaz et les énergies renouvelables et rénover en profondeur la pétro-chimie.
En contrepartie de cette « souveraineté partagée » sur l’énergie, la France et l’Europe pourraient s’engager sur une « souveraineté partagée » en matière agricole et agro-alimentaire, car le réchauffement climatique pourrait dégrader en profondeur l’agriculture en Algérie et au Maghreb. Sur une base gagnant-gagnant et sur le long terme, un deal énergie/alimentation est possible. Il serait très utile.
Vous avez plaidé aussi pour la coproduction Nord-Sud au travers des chaînes de valeur euro-africaines, et des relocalisations stratégiques. Quels sont les arguments des uns et des autres pour réussir ce défi ?
En ce qui concerne la co-production Nord/Sud (ou Sud/Nord) avec des chaînes de valeur euro-africaines, le moment est venu de reconstruire la grande région verticale Afrique-Méditerranée-Europe (AME). Valoriser, ensemble, notre proximité géographique et culturelle, notre complémentarité et notre solidarité devient une nécessité pour des raisons économiques (réduire les coûts de transport), écologiques (respecter des normes) et politiques (rôle des diasporas entre autres).
Il est illusoire de croire que chaque nation va construire « sa » souveraineté parce que le chacun pour soi va engendrer la pagaille dans les échanges (cf. le blé d’Ukraine) et entrainer l’appauvrissement de tous.
L’espace pertinent de la souveraineté économique, écologique, sociale et politique ce sont les grandes régions Verticales Nord/Sud lieux d’expressions des préférences partagées et de la nécessaire solidarité face aux défis communs du XXIe siècle (Réchauffement climatique, transition énergétique, migration, terrorisme, etc.).
M. A. S