Entretien
Régine Villemont, présidente de l’association française des amis de la RASD : « Les sahraouis sont tous favorables à la poursuite de la lutte armée »
Présidente de l’association française d’amitié avec la RASD, Régine Villemont est une militante de cœur et de convictions. Engagée depuis des dizaines d’année dans la défense de la cause sahraouie, elle affirme avoir retrouvé l’esprit spécial et magique des années 1980, lorsque le Polisario était en train de battre à plate couture l’armée d’occupation marocaine optimiste par nature, cette militante préfère regarder le verre à moitié plein. Consciente que son pays a une lourde responsabilité historique et politique dans la perpétuation de cet innommable crime colonial, elle ne renonce pas, ne baisse jamais les bras, et trace d’ores et déjà des plans et des projets d’avenir. Il va sans dire que les actions humanitaires y figurent en bonne place.
Entretien réalisé par Mohamed Abdoun
La Patrie News : Où en est la progression de la cause sahraouie entre le verre à moitié vide et le verre à moitié plein. J’entends par là la dernière résolution du conseil de sécurité, le verdict de la cour de justice européenne, la reprise du conflit armé, la désignation d’un nouvel envoyé personnel du SG de l’ONU ?
Régine Villemont : Tout dépend de l’angle selon lequel on se place. Pour un observateur pessimiste, le verre pourrait être jugé à moitié vide. Mais, c’est loin d’être le cas pour nous, au sein de notre association des amis de la RASD. Nous y sommes animés par volonté et par volontarisme. Notre admiration est grande pour ce que représente le peuple sahraoui et le front Polisario. A l’évidence le verre est donc toujours à moitié plein pour nous. C’est d’autant plus le cas, que nous avons démarré cette année avec de nombreuses initiatives politiques, qui sont extrêmement significatives pour nous. Nous avons démarré janvier en force avec l’initiative du député Lecoq et son groupe communiste à l’assemblée nationale française. En 45 ans, c’est la première fois que la parole est donnée à Claude Mangin et Gilles Devers l’avocat du Polisario, mais aussi et surtout au représentant de la RASD auprès de l’Union Européenne Oubi Bouchraya. Ils se sont exprimés devant les députés français de manière officielle pendant plus de deux heures. De solides argumentaires ont été déployés en ce qui concerne les droits de l’Homme, les ressources naturelles, la légalité internationale et bien sûr le droit légitime à l’autodétermination du peuple sahraoui. Ce sujet au revenu occuper les devants de l’actualité et des débats au sein de notre assemblée nationale, mais aussi et surtout de la vie politique française globale par voie d’extension. Nous étions tous présents au sein du public. Claude a pu dire ce qu’elle avait sur le cœur, à commencer par son incapacité à voir son mari, à qui elle n’a rendu visite que trois fois en trois ans. (Naâma Asfari, époux de Claude Mangin a été arbitrairement condamné à 30 années de prison lors d’un procès inique dans l’affaire dite de Gdeim Izik. NDLR). Oubi Bouchraya, grâce à sa parfaite maitrise du sujet, s’est livré à une remarquable prestation. Nous regrettons seulement que monsieur Le Drian n’ait pas daigné venir répondre à l’interpellation des députés, se faisant remplace par M. Lemoine, un Secrétaire d’Etat. Il s’agissait, je présume, de ne pas risquer de provoquer un nouvel incident diplomatique avec le Maroc, dont les responsables sont constamment attentifs à ce qui se passe en France. Cela a été pour nous une grande opportunité, et une très belle victoire pour le Polisario. La presse marocaine est bien sûr demeurée muette sur cet évènement majeur.
Le second sujet positif, plus récent celui-là, a trait au sommet entre l’Union européenne et l’Union africaine. Tout le monde a pu voir la délégation de la RASD reçu à Bruxelles en grande pompes autour du président Brahim Ghali. Ce dernier, en excellente santé, a pleinement recouvré son panache et son allure. Il a fièrement foulé le tapis rouge de Bruxelles en tenue traditionnelle pour le plus grand bonheur de son peuple, et des défenseurs de la cause sahraouie. A cette occasion, nous avions adressé un courrier officiel à monsieur Macron. Celui-ci a été largement répercuté par de nombreux médias, dont l’agence de presse algérienne. Notre association était également en bonne position pour suive la rencontre entre les présidents sahraoui et sud africain en marge de ce sommet Europe-Afrique. Tous ces éléments sont positifs. Ils nous permettent de marquer des points au niveau de l’UA et de l’UE aussi. Bien sûr, l’action diplomatique de l’Algérie est essentielle pour entretenir cette flamme et cette dynamique. Celle de l’Afrique du Sud aussi. Notre courrier, dont a également été destinataire l’intergroupe parlementaire européen, y a été pris très au sérieux. Les décisions européennes futures ont été longuement débattues s’agissant des relations commerciales entre l’UE et le Maroc à la suite de la décision de justice reconnaissant la représentativité du Polisario, et refusant l’extension de tout accord commercial ou industriel aux territoires occupés sahraouis. En ce début d’année, cette mise en bouche est positive. Voire même très positive. Nous comptons nous retrouver en zoom en vue de préparer les élections françaises.
Qu’en est-il de la mission de Staffan de Mistura, sachant qu’il a été empêché de se rendre dans les territoires occupés, et que d’autres envoyés personnels du SG de l’ONU ont fini par jeter l’éponge ?
Certes, la solution ne peut résider qu’au niveau de l’ONU et de son conseil de sécurité. A ce propos, nous avons souvent et longuement discuté avec de nombreux responsables du Polisario. Eh bien ces derniers se montrent extrêmement prudents sur le sujet. Si j’avoue ne pas savoir ce qu’en pense l’Algérie, c’est que le Polisario se montre très circonspect sur cette question. Ils s’attèlent en premier chef à obtenir au lois d’avril prochain une résolution du conseil de sécurité qui soit un peu plus attentive au droit à l’autodétermination du peuple sahraoui, et qui soit un peu moins complaisante avec le Maroc. Toujours est-il que ce que nous avons comme information, vient directement du terrain. La dernière mission européenne vient à peine de rentrer des camps de réfugiés. Claude Mangin m’a affirmé au téléphone qu’elle a ressenti en ce mois de février, bien plus qu’en octobre passé, une phénoménale mobilisation des civils sahraouis. Leur engagement en faveur de la poursuite de la guerre n’a jamais été aussi fort que maintenant. Elle m’a expliqué avoir renoué avec ce climat intense qui existait durant les années 1980. Jeunes et moins jeunes s’adonnent très volontiers aux engagements et aux entrainements militaires. Tous les réfugiés sahraouis sont pleinement mobilisés en gaveur de cet effort de guerre.
A côté de cet effort de guerre, qui se ressent en effet aujourd’hui plus que jamais, il ya la question des droits de l’Homme. L’envoyé personnel du SG de l’ONU a quand même été empêché de se rendre dans les territoires occupés alors qu’on a une inquiétante idée des horreurs qui s’y passent….
Le Maroc œuvre constamment à faire pression sur l’Espagne, la France, les Etats-Unis… Il veut imposer un total black-out sur les territoires occupés. Il veut empêcher l’ONU et tous les Etats qui comptent dans ce dossier de se pencher sur cette question. En attendant, ce qui se passe dans les territoires occupés est horrible, horrible.
A côté de ce black-out médiatique et politique, il ya la reprise de la guerre, doublée par le recours du Maroc aux drones tueurs. On compte de nombreux civils morts, dont des Mauritaniens et des Algérien. Jusqu’où et jusqu’à quand tout cela ?
Cette reprise de la guerre est en principe prise en charge par le conseil de sécurité, ainsi que par certains pays voisins, en particulier la France et l’Espagne. De notre côté, nous faisons de notre mieux. Nous relevons la gageure de faire faire exister en France le peuple sahraoui. Si le peuple espagnol est assez sensibilisé sur cette question, cela est hélas loin d’être le cas en France. Cette bataille et d’autant plus importante que la France se trouve au centre du règlement de ce conflit. C’est cette importante bataille que nous menons et nous imposons depuis toutes ces années. Cette bataille de tous les jours et de tous les instants est d’autant plus importante qu’elle se mène avec le CNASPS, avec vous, avec tous ceux qui croient à cette noble et juste cause. Mais aussi et surtout avec les responsables du Polisario qui n’ont jamais démérité. Notre travail se fait au quotidien sur le terrain. Pas le temps de s’appesantir sur ce que fait tel ou tel pays. C’est au Polisario de générer un rapport de force international et géostratégique afin que l’UA en premier chef se mobilise en sa faveur, et entraine dans son sillage l’UE. Je garde également en tête qu’au niveau du conseil de sécurité, les choses sont autrement plus difficiles et plus compliquées. Cette question y est traitée au tout dernier étage, tout au fond de la cave des Nations-Unies.
Il est permis de supposer que d’une manière schématique, la solution se trouve entre les mains de la France…
Hé oui ! L’une des principales tâches de notre association a été d’interroger et d’interpeller constamment les autorités françaises. Le lobby marocain est tel en France qu’il nous est très difficile d’agir contre son état colonial. Castatner, par exemple, qui avait présidé l’assemblée française, et qui envisage de se présenter aux législatives en Afrique du nord et en Afrique de l’oest, eh ben, son aveu est lourd de sens. Il a en effet dit qu’il lui fallait d’abord convaincre les Français installés au Maroc. Il faut rendre nos députés français plus attentifs à la question du Sahara Occidental au lieu de les laisser totalement aux mains du Maroc. La même chose devrait être menée en Algérie.
A ce propos, vous avez évoqué au début de cet entretien la rencontre qu’a pu provoque monsieur Lecoq au parlement français. Hé bien, force est de relever que beaucoup de députés manquaient à l’appel, à commencer par les socialistes et La France en marche. A quoi et due à votre avis cette terrible désaffection ?
Le groupe d’études lié à la défense de la cause sahraouie existe depuis le début de l’actuelle mandature. Le député Lecopq fait de son mieux pour le faire fonctionner. Le plus important pour nous est de faire d’abord qu’il existe, et continue de le faire. Hélas, nous constatons que la question du Sahara Occidental n’est pas franchement prioritaire parmi les députés français. L’absence des socialistes à cette rencontre nous a en revanche particulièrement surpris. En effet, le PS a toujours été favorable à l’autodétermination du peuple sahraoui. Par contre, deux députés En Marche ont fait acte de présence. Le député Edmond Maire a été destinataire, au même titre que tous les députés et sénateurs membres de la commission des affaires étrangères du formidable travail réalisé par nous sur cette question. Hé bien, il nous a adressé une lettre pour nous en remercier. Il faut garder en tête que le sujet sahraoui est très peu partagé au sein des députés français. Nous en sommes pleinement conscients. C’est dans des conditions pareilles que l’association des amis de la RASD travaille depuis tant et tant d’années. Il est donc important pour nous de relever avant tout l’importance de la présence des quelques députés qui étaient présents à cette rencontre. Certes, le PS n’y était pas représenté. La droite non plus bien entendu. Le parti communiste suit de près cette question ainsi que celle de la Palestine, même s’il a en parallèle de nombreuses autres choses à faire. Ce qui est important à relever aussi, c’est que le candidat communiste à l’élection présidentielle Fabien Roussel, a évoqué la Palestine et le Sahara Occidental lors de son passage à la télévision pour présenter son programme. En conclusion, cette rencontre parlementaire du 6 janvier a apporté des fruits magnifiques. Les acquis qui en ont résulté sont extrêmement importants. L’essentiel est de veiller à ne jamais se décourager, et à ajuster son travail et ses actions selon les données du terrain.
Pour vous, quelles sont les étapes à venir ?
On est attelés à confectionner notre revue Sahara Info. Dans les derniers numéros de 2021 et 2022, nous avons veillé à focaliser sur la personne et le citoyen sahraoui. En général, les hommes politiques français se focalisent sur un prétendu conflit entre l’Algérie et le Maroc. Or, ce n’est pas du tout cela. Il n’est question que du peuple sahraoui, qui se bat et se sacrifie pour arracher son indépendance. Nous dispensons aux jeunes sahraouis des formations en langue française. Nous retranscrivons les témoignages des vieux sahraouis qui racontent leur jeunesse et leur parcours. Avec l’aide de la diaspora sahraouie, nombreuse en France, nous essayons d’incarner ce vécu et cette existence. Nous-nous préparons déjà à plaider la cause sahraouie auprès des candidats aux législatives et à la présidentielle. Pour le reste, nous continuons à plaider et à sensibiliser les eurodéputés au niveau de toute l’UE. Nous menons également un énorme travail de coordination à l’échelle européenne avec Pierre Galand. Cette année, nous comptons retrouver à nouveau les enfants sahraouis durant l’été. Cela devrait redynamiser notre association. Car, il est vrai que certains sont plus attentifs aux engagements humanitaires que politiques.