Entretien/ Samir Bouakouir, ancien cadre dirigeant du FFS, à La Patrie News : « Il y a connivence entre les intégrismes identitaire et religieux »
Les sorties médiatiques de Samir Bouakouir, qui a été à la « com » du FFS durant l’un des âges d’or de ce parti, et du vivant de Hocine Ait Ahmed, sont toujours très instructives, et porteuses de messages importants pour le pays. Plus que jamais partisan d’un pacte national Républican, il ose attaquer courageusement le MAK et Rashad.
Ces organisations, sous des dehors pacifiques, nourrissent insidieusement la violence et l’intolérance. Ces deux organisations terroristes, que tout oppose en théorie, se rejoignent en effet dans leur objectif, qui est celui d’attaquer et de détruire l’Etat-nation Algérie.
Conscient également qu’il est temps de nettoyer les rangs du plus vieux parti d’opposition en Algérie, il lance un appel à participer massivement aux élections locales du 27 novembre prochain.
Quant au Maroc, notre interlocuteur déroule une analyse tout aussi percutante que pertinente : Rabat pensait profiter d’une conjoncture qu’elle pensait favorable à ses intrigues et coups bas. Mal lui en prit.
Le Makhzen en paie aujourd’hui les conséquences. Et au comptant d’ailleurs. Cet entretien mérite d’être lu de bout en bout. Les importants messages dont il est porteur sont en effet à lire et à faire lire. Avis…
Entretien réalisé par Mohamed Abdoun
La Patrie News : Quel est votre analyse ou avis sur le MAK, classé « organisation « terroriste» par l’Etat algérien ?
Samir Bouakouir : Le Mak n’est que l’expression radicale des mouvements et groupuscules berbéristes et autonomistes qui ont repris à leur compte les clichés néocolonialistes d’un « particularisme kabyle » ou d’une « exception kabyle ».
La responsabilité n’incombe pas seulement au Mak mais à tous ceux qui ont fait preuve de complaisance envers ce mouvement en lui reconnaissant le droit d’exister et de diffuser les idées séparatistes, suprématistes et racialistes.
Mais c’est le concept de Tamazgha qui apparait bien plus dangereux car il présuppose un dépassement des Etats-nations et une remise en cause des frontières nationales. Ce n’est pas un hasard de l’histoire que l’idéologie réactionnaire Tamazgha s’est répandue au moment de l’intervention des puissances occidentales en Libye avec les conséquences désastreuses que l’on connait.
C’est à ce moment-là aussi qu’on a vu la diffusion à grande échelle de l’emblème officiel du Congrès mondial Amazigh avec, aussi paradoxal que cela puisse paraitre, la complicité de pays comme par exemple le Qatar voire la Turquie et des mouvements qu’ils sponsorisent alors telle que l’organisation des frères musulmans. Cela explique en tous cas la connivence entre l’intégrisme religieux et l’intégrisme identitaire panamazigh.
Une connivence qu’on retrouve dans le « hirak » et qui avait comme finalité de dévoyer la révolution de 22 février 2019 et la vider de sa substance nationaliste, souverainiste et démocratique pour l’entrainer dans des voies insurrectionnelles et séditieuses, semer le chaos et provoquer l’intervention étrangère.
Fort heureusement, ce plan a échoué car les algériens avaient pris leur distance et ont compris que la lutte pour le changement politique démocratique ne signifie pas l’affrontement avec son Armée et l’affaiblissement de l’Etat national.
Les incendies dramatiques et criminels qui ont endeuillé le pays vous interpellent à coup sûr. Qelles conclusions et/ou analyses en tirez-vous ?
Je ne sais pas si le Mak ou Rachad sont directement responsables du déclenchement des incendies qui ont ravagé et endeuillé la Kabylie, c’est à la justice d’apporter les preuves d’une telle implication.
Par contre, ce qui est certain, c’est que ces deux organisations, que tout oppose sur le plan idéologique, se rejoignent sur l’idée qu’il faut détruire l’état national pour assouvir leurs desseins macabres et de ceux qui les instrumentalisent de l’étranger.
Il ne suffit pas, pour ces deux organisations, de se réfugier derrière un faux-pacifisme pour se disculper et crier à la manipulation et aux accusations fallacieuses quand tout dans leurs discours incite au radicalisme, au nihilisme et, lorsque les circonstances s’y prêtent, à l’irruption d’une violence barbare comme celle dont a été victime le jeune Djamel Bensmail.
Cela étant dit, on ne peut passer sous silence les défaillances des autorités politiques du pays dont la mission première est de protéger les biens et les personnes. Je reste convaincu que le renforcement de l’Etat qui, pour reprendre Carl Schmitt, reste une condition de la paix et de la sécurité, passe par un pacte national républicain qui rassemble les patriotes du pays et qui réhabilite le politique.
Il est impératif de résister à la tentation d’une gestion exclusivement sécuritaire de la société. Le dynamisme retrouvé de la diplomatie algérienne, sous la houlette de l’actuel Ministre des AE, doit être conforté par un fort consensus politique interne.
Cela nous amène tout naturellement à évoquer la rupture des relations diplomatiques algériennes avec le Maroc….
Le royaume marocain a commis une erreur stratégique en pensant profiter des difficultés internes du pays suite à la crise de 2019 et l’effondrement du régime Bouteflika pour, pensait-il, isoler notre pays sur le plan international.
La reconnaissance par Trump de la « marocanité » du Sahara occidental et sa normalisation avec l’entité sioniste a fait croire à la monarchie marocaine qu’il y avait là pour eux une opportunité historique pour soumettre l’Algérie et partant tout le Maghreb à leurs intérêts.
Les élites dirigeantes marocaines ont clairement succombé à l’illusion que des alliances géostratégiques indignes et honteuse, sous couvert de réalpolitik, ressusciteront des mythes historiques et, à la façon des almohades, leur permettront d’aller à la conquête de l’Afrique du nord.
C’est vite oublier que l’Algérie, héritière de la Numidie, est le produit d’une révolution nationale, démocratique et anti-impérialiste qui a épousé le mouvement de la modernité politique et qui a marqué une rupture avec les archaïsmes et les vieilles rivalités tribales qui ont empoisonné l’histoire de l’Afrique du nord et l’ont rendu perméable à toutes les influence extérieures.
Militant au long court, patriote intègre et analyste dont les sorties sont des phares et des repères pour les citoyen algériens, quel message vous pourriez adresser aux militants du FFS en particulier et aux citoyens algériens e général, notamment à l’approche des élections locales du 27 novembre prochain ?
Avant tout, je tiens à préciser, contrairement à ce qui se dit, que je n’ai plus exercé de responsabilité au sein de la direction du FFS depuis 2002.
Le poste de conseiller que j’ai occupé avant d’y renoncer publiquement n’était pas une fonction exécutive. J’ai toujours veillé à garder une certaine distance avec l’appareil pour préserver ma liberté d’expression et lorsque je m’exprime sur le FFS, c’est en tant que militant soucieux de son pays, de sa souveraineté et de son intégrité territoriale. Je demeurerais proche de ce parti tant qu’il se revendiquera de la matrice nationaliste dont il est issu.
Il m’est donc difficile d’imaginer que le conseil national prendra une autre décision que celle de la participation aux locales. Là où par contre je m’interroge c’est sur les raisons qui seront avancées pour justifier la participation.
Et là j’espère un discours clair sur la nécessité de faire front pour défendre l’Etat national et la souveraineté du pays. J’espère aussi un engagement clair et sans aucune ambiguïté pour dénoncer et faire barrage à tous les intégrismes, qu’ils soient religieux ou identitaires. Le FFS doit prendre une position ferme vis à vis des mouvements qui tentent d’isoler la Kabylie.
La défense légitime de la langue amazigh, un des piliers de l’Algérianité au même titre que la langue arabe, ne doit pas être confondue avec Tamazgha, cette idéologie transnationale soutenue par les ennemis de l’Algérie qui, avec l’idéologie islamiste, constitue les deux béquilles sur lesquels s’appuient les élites néolibérales mondiales pour soumettre les peuples et les Etats nationaux.
Il est temps que le FFS fasse le ménage dans ses rangs et qu’il éloigne les éléments qui veulent l’arrimer aux courants extrémistes.
M.A