Entretien/ Souhil Meddah, expert financier : «Une perspective qui nécessite un ajustement strict sur le terrain»
La Patrie news : Le Secrétaire général du ministère du Commerce vient de déclarer que les exportations algériennes hors hydrocarbures pourraient atteindre les 5 milliards USD d’ici fin 2021, malgré les effets de la pandémie sur l’activité économique». Par quels leviers réussir ce défi sachant que la reprise économique tarde à venir notamment avec la persistance de la pandémie ?
Souhil Meddah : L’annonce faite par les pouvoirs publics dans ce sens est principalement basée sur une projection de perspectives qui s’inspire et s’applique sur la base d’une orientation politique décidée lors de la conférence nationale organisée en août 2020. Une telle perspective se doit de prendre en considération trois éléments fondamentaux. Le premier concerne directement le ou les secteurs économiques ayant la compétence et la capacité de proposer des biens et services à l’exportation, sachant que la base arrière d’un tissu industriel ou de service se construit en amont sur différentes phases en qualifiant des solutions qu’il faut lever sur plusieurs contraintes.
A ce titre, ce n’est pas le département du commerce qui a l’unique compétence pour ça, mais les autres secteurs de l’industrie, du transport, des finances qui sont eux aussi impliqués de facto, directement ou indirectement. Ils doivent contribuer aux efforts de montage et d’organisation de toute la chaîne des exportations.
Le deuxième élément fondamental, réside également dans le facteur valeurs et compétitivité, sachant que pour conquérir les marchés étrangers, les composantes de compétitivité, qu’elles soient quantitative, qualitative ou monétaire, jouent un grand rôle de soutien, surtout vis-à-vis des destinations qui se croisent avec les exportateurs à bas cout et aussi de ceux qui s’appuient sur des capacités en volume beaucoup plus importantes que les nôtres. Cette approche est valable pour les zones qui consomment obligatoirement des produits de base mais avec pouvoir d’achat légèrement limité en dessous de la moyenne régionale.
Le troisième élément, s’oriente aussi vers l’étude d’une approche sectorielle basée sur les configurations géostratégiques et économiques par rapport à l’environnement immédiat qui nous entoure, dans lequel nous pouvons capter quelques opportunités en nous positionnant comme un acteur flexible et pragmatique, selon les demandes exprimées, comme les questions de relocalisation de certains secteurs pour les européens. Le modèle chinois s’est pendant des années basé sur cette approche qui lui a permis de constituer son propre modèle et sa principale force.
Une perspective de cinq milliards de dollar n’est pas un seuil impossible, mais sa réalisation nécessite un ajustement strict sur le terrain qui appelle à une synergie consolidée par tous les autres secteurs d’exploitation ( opérateurs ), de financement (banques et institutions financières), de gestion (par les collectivités locales et services du foncier industriel) de logistique (intervenant du transport, structures de transit, infrastructures de base) et de régulation ( Banque d’Algérie et les textes législatifs en vigueur).
Elle nécessité aussi, un retour vers la réalité des prix et des coûts, des valeurs monétaires et surtout en fonction des secteurs d’investissement projetés, qui non seulement peuvent répondre aux besoins locaux, mais également aux besoins des autres régions du monde, avec un objectif intégré dans le processus ordinaire d’exploitation des unités créées. Chaque exportateur doit définir sa quotepart exportable au sein de son volume d’activité ordinaire et non pas en fonction de son surplus.
Comment la ZLECAF pourra être en faveur de l’Algérie pour atteindre l’objectif fixé ?
Le rôle de la ZLECAF est d’ouvrir les marchés en les consolidant dans un même espace continental. Sur cette question, il existe deux contraintes qu’il faudrait mettre en vaillance. La première concerne les modèles d’exportation des pays africains qui généralement sont homogènes en composition, dans le sens ou la majorité des pays du continent comptent sur les exportations de leurs matières brutes.
Cette contrainte est structurellement importante qui nécessite des apports en financement et en investissement capables de créer des niches régionales par spécialisation par rapports aux zones d’activité qui existent maintenant.
La deuxième contrainte concerne la taille du continent Africain, avec sa large superficie et sa diversité culturelle, politique et économique. Il est donc utile de se pencher sur un modèle d’ouverture supranational, qui prend en compte les pays dans des zones très proches. A titre d’exemple, les pays qui sont proches en Moyen-Orient s’inspirent beaucoup plus de cette région que de la région du Maghreb ou celle de l’Afrique de l’ouest !
Un plaidoyer vient d’être fait pour une Afrique intégrée, connectée construite sur l’économie de la connaissance, l’industrie 4.0…Et l’Algérie accuse un retard dans ces domaines. Un commentaire ?
L’intégration économique passe obligatoirement par l’intégration technologique, industrielle ou de services. Afin de répondre a cette approche, un plan de mise à niveau et d’ajustement des modèles industriels des pays de l’Afrique doit avant tout compter sur le soutien des organismes de financement et d’appui pour aplanir les cohérences favorables aux secteurs souverains des économies africaines, car la majorité des outils industriels qui répondent aux normes technologiques développées sont détenus par des firmes internationales qui opèrent dans un cadre d’expatriation.
Propos recueillis par Yacine Bouali