Exclusif/ Dr Mohamed Sidati membre de la direction du Polisario, et représentant de celui-ci en France : « l’ONU doit reprendre la main au Sahara occidental »
Diplomate chevronné pour lequel le poids des mots vaut son pesant de sens et de puissance, Mohamed Sidati, ambassadeur de la RASD en France, ne cache pas son étonnement, bien plus que son indignation face à la décision prise par le parti du président Macron de s’installer dans les territoires occupés. Dans cet entretien fait à chaud. Il y va de ses réactions et de son décryptage concernant une situation, hélas, de plus en pus préoccupante et explosive.
La Patrie News : Quelle est votre réaction à chaud concernant la décision prise par le parti du président Macron de s’installer dans les territoires occupés sahraouis ? s’agit-il d’une remise au goût du jour du tweet scélérat de Trump reconnaissant la prétendue marocanité du Sahara Occidental, car la similitude est en effet frappante ?
Dr Mohamed Sidati : La France affiche son parti-pris pour l’expansionnisme et l’occupation marocaine. Nous sentons même que la position française s’est faite beaucoup plus agressive qu’elle ne l’était auparavant.
Il faut relever que la politique française au Sahara Occidental a de graves conséquences, dans tous les sens du terme, sur tous les pays maghrébins, ainsi que sur tout le nord de l’Afrique. Pour nous, cela relève d’une stratégie franco-marocaine qui consiste, à travers l’occupation et l’agression du peuple sahraoui, à mettre sous pression tous les peuples et pays du Maghreb.
Par voie de ricochet, c’est toute l’Afrique du nord et les pays du pourtour du Sahel qui sont visés. Cela veut dire que l’instabilité et l’insécurité sont tenues comme une épée de Damoclès dessus dela tête des peuples et des pays de la région.
La France ne fait pas que soutenir un pays qui agresse, spolie et occupe les terres des autres. Elle devient le bras au service de cette politique colonialiste et de tous ceux qui ne se sont pas encore défaits de ce complexe de domination, d’occupation et de soumission.
Quel est l’intérêt du président français et de LREM dans cette décision qui nous a tous surpris et étonnés ?
La surprise est incontestable en effet. Le président français avait donné l’impression de vouloir permettre aux dossiers sensibles, dont celui du Sahara Occidental, d’être traités dans un sens positif. Les gestes de bonne volonté en direction de l’Algérie étaient les premiers balbutiements.
À mon sens, ce sont les lobbies coloniaux qui existent depuis belle lurette en France qui se trouvent derrière cette décision. Il ne faut pas oublier qu’il existe des lobbies actifs franco-marocains au sein de LREM.
Ils cherchent par tous les moyens à torpiller la sérénité des relations entre les pays du Maghreb. Ils agissent pour leur propre compte. À travers le Sahara, ils essaient de faire mal, d’empêcher toute évolution positive, tout apaisement. Nous ne sommes pas dupes. Nous en avons de nombreuses preuves. Ces lobbies, toujours à la manœuvre, sont plus que nocifs.
Permettez-moi d’insister encore avec ma question. Mais que gagne Macron à travers cette décision ? Est-ce qu’il ne s’est pas plutôt tiré une balle dans le pied alors qu’il approche de la dernière ligne droite des élections présidentielles françaises ?
Ceux qui se trouvent derrière cette décision semblent avoir agi dans le but de gagner la sympathie des expatriés marocains vivant en France. Les intérêts financiers ne sont pas loin non plus. N’oublions pas qu’il existe de nombreuses tentatives d’investissement au Sahara Occidental, à Dakhla notamment, dans les domaines très rentables de la pêche et du tourisme.
En appréhendant de plus près la situation en France à la faveur de cette décision sur le Sahara, celle-ci me donne l’impression de relever d’une sévère courte vue, ou carrément d’une cécité politique. Cette décision va en effet se retourner contre ses auteurs et ses promoteurs. Macron et son équipe ne gagnent rien au change alors que les élections présidentielles françaises approchent à grands pas.
Le bilan est effarant. Le président perd vis-à-vis du Sahara, des peuples, et même de son opinion publique. Il ne faut pas croire que tout le monde se laissera embobiner par ce genre d’attitude ou comportement.
Est-ce que cette décision peut avoir des conséquences directes ou indirectes sur les décisions qui seront prises par le Conseil de sécurité lors de sa prochaine réunion sur le Sahara Occidental ?
Les lobbies marocains sont à l’action. Ce constat est on ne peut plus clair et confirmé. Ils font pression sur les membres du Conseil de sécurité, à commencer par les États-Unis, ainsi que la France bien évidemment.
assiste carrément à un tir de barrage visant à empêcher toute évolution de la position française concernant le Sahara Occidental.
Les Marocains passent également par une période de doute. Ils ont donc besoin de maintenir la pression pour rappeler à la Franc, qu’elle doit rester sur la même position. À mon avis, ce choix tactique est dangereux. Car cela suppose que cette question risque de traîner encore au niveau des Nations Unies.
À mon avis, donc, cette décision ne peut qu’influer négativement lors dela prochaine réunion du Conseil de sécurité. Ceci étant, au regard de la gravité de la situation qui prévaut au Sahara Occidental, avec la reprise du conflit armé, de la situation au Maroc qui, ma foi, est loin d’être idéale, surtout après l’échec des Nations Unies, à organiser un référendum d’autodétermination du peuple sahraoui, après 30 ans de combat et de sacrifice, cette réunion du Conseil de sécurité risque bel et bien d’être celle de la dernière chance.
Il faut que l’ensemble des instances et responsables onusiens se ressaisissent pour tenter de restaurer leur crédibilité. L’ONU doit absolument reprendre les choses en main.
La réunion de son Conseil de sécurité s’annonce en effet déterminante et historique. Il faut que la France cesse d’entraver le processus d’autodétermination avance dans le sens légal et positif concernant le dossier du Sahara Occidental. Je crains, hélas, qu’elle ne continue dans la même lancée.
J’ajouterais ceci à l’endroit du Maroc : quand l’aveugle touche le mur avec son bêton, celui-ci croit être arrivé au bout du monde.
La France, et le Maroc aussi par voie de ricochet, doivent donc se ressaisir une fois pour toutes. Ils doivent comprendre qu’ils ne peuvent pas empêcher éternellement un peuple de s’émanciper, et de jouir enfin de son droit à l’autodétermination.
Au plan de l’actualité immédiate, et pour rester dans le sujet onusien, est-ce que la désignation d’un envoyé spécial du SG de l’ONU pour le Sahara Occidental va rester pour le Polisario une revendication prioritaire après la décision que vient de prendre le parti du président Macron ?
La priorité pour les Nations Unies devrait être de recouvrer leur crédibilité et leur autorité. C’est pour nous la priorité première et absolue. Il ne faut dès lors pas se focaliser sur cet appel à désigner un nouvel envoyé spécial, comme si ce dernier, quel qu’il soit, allait être la baguette magique qui règlerait définitivement et équitablement ce conflit. L’appel de la France allant dans ce sens procède de l’arrière-pensée de pouvoir manipuler cet envoyé comme cela avait été le cas avec certains de ses prédécesseurs. Ce n’est pas tout. La guerre est désormais installée dans la durée. Les troupes marocaines d’occupations subissent au quotidien la pression du peuple sahraoui et de notre armée de libération.
Cela est incontestable, même si la France et le Maroc essaient d’en parler le moins possible.
Il faut un paquet de mesures pour reprendre l’initiative et recouvrer la crédibilité de l’ONU. La désignation d’un envoyé spécial ne peut donc pas être en soi la baguette magique qui serait porteuse de la solution finale. La France doit cesser ses manœuvres dilatoires pour garantir l’impunité du Maroc.
Le Conseil de sécurité est tenu de prendre les mesures coercitives nécessaires pour amener le Maroc à se plier à ses propres résolutions. C’en est trop. Les Nations Unies doivent enfin faire preuve de fermeté et de détermination. Ces manigances doivent cesser immédiatement. Le résultat, on le voit nettement : c’est cette guerre au Sahara Occidental.
Entretien réalisé par Mohamed Abdoun