Fermeture du gazoduc Maghreb-Europe : une réponse ferme aux jérémiades marocaines
Ce dimanche, le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a scellé le sort du gazoduc Maghreb-Europe (GME). Désormais, l’approvisionnement de l’Espagne en gaz naturel se fera exclusivement via le gazoduc Medgaz, qui relie directement les deux pays.
Dans un communiqué rendu public, la présidence de la République a justifié cette fermeture par « l’hostilité du Maroc à l’égard de l’Algérie ». Laquelle hostilité est marquée par « des pratiques qui portent atteinte à l’unité nationale ».
Selon la même source, la décision du président Tebboune a été prise après consultation du Premier ministre, ministre des Finances, du ministre des Affaires étrangères et de la Communauté nationale à l’étranger et du ministre de l’Energie et des Mines.
Le groupe pétrolier et gazier public, Sonatrach, est donc tenu de « cesser toute relation commerciale avec la société marocaine (l’Office marocain de l’électricité et de l’eau, ONEE) » et de ne pas renouveler le contrat qui lie les deux entités depuis de longues années. Ce dernier arrive à expiration ce dimanche soir à minuit.
Un vœu exaucé
La décision des hautes autorités algériennes n’aura, bien sûr, aucun impact sur les exportations de gaz vers l’Espagne. Au contraire, il s’agit d’un choix « plus sûr et moins coûteux » pour les deux parties comme le souligne l’Agence officielle.
Au-delà de l’aspect commercial, la fermeture du GME est une réponse directe et ferme à une demande marocaine. Alors que les relations entre Alger et Rabat ne cessent de se dégrader, le makhzen a doublé de férocité. Il y a quelques mois, il a risqué le tout pour le tout en misant sur un coup de pression inutile.
Pour ce faire, il a mobilisé l’essentiel de sa propagande pour une opération spéciale. Elle a capoté en partie ce dimanche soir. Outre les invectives habituelles à l’égard de tout ce qui est algérien, les trolls de « sa majesté » – télécommandés directement par le cabinet royal – ont en effet brandi, durant la saison estivale, la menace de ne plus permettre à Sonatrach d’exporter son gaz vers la péninsule ibérique via le GME.
Sur les réseaux sociaux et dans les médias à la solde du makhzen, les appels dans ce sens ont été partagés à profusion. Mais par la voie officielle, le Maroc a fait machine arrière. Il a même essayé de contenir un probable boomerang dévastateur des autorités algériennes.
Pour l’histoire, quelques jours avant la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays au mois d’août, le Maroc a annoncé sa volonté de poursuivre la collaboration avec l’Algérie. Il a donné son accord au maintien du GME.
« La volonté du Maroc de maintenir cette voie d’exportation a été clairement affirmée de manière constante, à tous les niveaux, depuis plus de trois ans », avait déclaré la directrice générale de l’Office national marocain des hydrocarbures et des mines, Amina Benkhadra, à l’agence officielle marocaine (MAP).
Sauf que c’était trop tard. Prenant la menace au sérieux, les autorités algériennes n’ont pas badiné avec ces jérémiades. Elles ont réagi avec célérité en annonçant subtilement leur intention d’exaucer ce vœu.
Deux jours après la rupture des liens diplomatiques, le ministre de l’Energie et des Mines, Mohamed Arkab, a reçu, jeudi 26 août, l’ambassadeur d’Espagne en Algérie, Fernando Moran. Il lui a affirmé « l’engagement total de l’Algérie de couvrir l’ensemble des approvisionnements de l’Espagne en gaz naturel à travers le Medgaz ».
La propagande à outrance
Face aux inquiétudes qu’a suscitées l’annonce de Arkab chez la population marocaine, le makhzen a tenté de jouer sur deux tableaux. Le premier est classique et consiste à minimiser l’impact de la décision. Le deuxième est en revanche agressif et vise à faire planer l’incertitude et le flou.
Par le biais de la propagande et des médias, une nouvelle fois, le palais royal a voulu faire croire que la fermeture du GME causerait un tort plus important à l’Algérie qu’au Maroc. « Le Royaume n’aura rien à perdre avec la rupture de ce contrat », gesticulait un soi-disant expert dans le journal Le Matin au lendemain de l’annonce.
Le même média assurait que « le gazoduc n’alimente que deux centrales électriques à cycle combiné, à savoir la centrale d’Aïn-Béni-Mathar et celle de Tahder ». Elles « ne participent qu’à 17% de la production nationale (marocaine) », ajoutait Le Matin.
Par conséquent, cette décision « frivole et irrationnelle qui desservira plus les intérêts algériens et européens que ceux marocains » n’impactera que « très peu la production électrique car le Royaume a déjà développé suffisamment de moyens de production d’énergie, que ce soit à charbon, solaire ou éolienne ».
Des arguments fallacieux et cousus de fil blanc qui n’ont convaincu personne. Et pour cause, le gaz naturel algérien dont bénéficiait jusque-là le Maroc est non seulement nécessaire à sa production de d’électricité, mais aussi à son industrie. Dans une récente déclaration au Figaro, Naoufel Brahimi El Mili, chercheur en histoire et spécialiste des relations franco-algériennes, a affirmé que l’abandon du GME allait priver de gaz « les entreprises françaises installées au royaume, y compris Renault ».
En parallèle, le Maroc a tenté de semer le doute en remettant en cause la capacité de Medgaz à satisfaire les besoins de l’Espagne en matière de gaz. En visite en Algérie fin septembre, le ministre espagnol des Affaires étrangères, de l’Union européenne et de la Coopération du Royaume d’Espagne, José Manuel Albares Bueno, a été reçu par le président Tebboune.
Dans une déclaration à la presse après l’audience, il a indiqué avoir reçu « des garanties » de la part des autorités algériennes pour l’approvisionnement de l’Espagne en gaz. Mardi, c’était au tour la troisième vice-présidente du gouvernement espagnol et ministre de la Transition écologique, Teresa Ribera, d’effectuer une visite en Algérie. A l’image du chef de la diplomatie de son pays, elle est rentrée à Madrid rassurée après ses entretiens avec les responsables algériens, notamment le Premier ministre, Aïmene Benabderrahmane.
Les affaires du roi avant tout
De la provocation, le Maroc est passé à la manœuvre. Mi-octobre, l’agence Reuters, qui cite un haut responsable marocain, a rapporté que le makhzen « serait en discussion avec l’Espagne sur la possibilité d’inverser le flux du gazoduc Maghreb-Europe ». Une option qui, au demeurant, n’est pas envisageable. Du moins à moyen terme.
Car, l’Espagne a besoin de gaz pour faire face à une crise énergétique sévère qui frappe de plein fouet l’Europe. D’autre part, inverser les flux nécessite des investissements colossaux mais surtout le consentement d’Alger pour injecter des quantités supplémentaires. Une sollicitation que Madrid n’envisage pas.
In fine, le royaume de Mohammed VI a joué et perdu contre à l’Algérie. Toutefois, il ne semble pas pour autant s’inquiéter pour ses sujets. A regarder de plus près, tant que les affaires juteuses de la holding royale se portent à merveille, le bien-être des Marocains est le cadet de ses soucis…
Yanis Younsi