France, pays des droits de l’Homme dites-vous ?
Alors que son gouvernement ne cesse de rappeler son engagement dans la défense des droits de l’Homme, la France est elle-même épinglée ces dernières années, pour ses coups de canif dans les libertés publiques alors que les politiciens continuent de brandir l’étendard de la liberté comme tweeté par Emmanuel Macron du 25 octobre 2020 : « La liberté, nous la chérissons ».
La France aujourd’hui s’emploie en effet à réduire à néant les droits et libertés fondamentales avec application et ténacité. Les exemples n’en manquent pas. Les Français, le savent. Ils le dénoncent aussi.
« Le gouvernement français détruit la liberté avec application et ténacité. Bien qu’ayant dû retirer, sous la pression, son projet de loi instituant un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires déposé le 21 décembre 2020 il n’a pas dévié d’un pouce dans sa politique liberticide », affirme-t-on alors que le Comité des Droits de l’Hommes des Nations-Unies devra examiner la situation des Droits de l’Homme en France au cours de sa 132° session qui se tiendra en juin-juillet 2021.
Cette place particulière de la France face aux droits de l’Homme — dans ce qui est souvent appelé « le concert des nations »— est devenue habituelle, et chaque occasion se prête à le rappeler.
L’attestent d’ailleurs, les différents rapports établis dans ce sens.
Avec le soutien de l’Alliance évangélique mondiale (WEA) et de l’Alliance évangélique européenne (EEA), le Conseil national des évangéliques de France (CNEF) a soumis un rapport à l’attention du Comité des Droits de l’Homme dans le cadre de cet examen
Dans un rapport publié jeudi 6 mai à l’attention du Comité des Droits de l’Homme, le Conseil national des évangéliques de France, a formulé plusieurs alertes et suggestions concernant le respect de la liberté de religion et de croyance en France.
Aussi, la Haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, Michelle Bachelet avait a demandé aux autorités françaises, en mars derniers, d’enquêter sur les violences policières commises en marge des manifestations des gilets jaunes depuis novembre 2018.
Elle a également ajouté que les gilets jaunes manifestaient contre « ce qu’ils considèrent comme leur exclusion des droits économiques et de leur participation aux affaires publiques » et a encouragé l’État français à mettre la lumière sur les cas d’usage excessif de la force.
Ludovic Hennebel, professeur de droit à la Faculté de droit d’Aix-en-Provence, décrypte la demande de l’ONU. Expert indépendant membre du Comité consultatif du Conseil des droits de l’Homme des Nations-Unies, il s’exprime ici à titre personnel.
« Le discours du Haut-commissaire vise à encourager la France, conformément à ses obligations internationales, à enquêter sur les allégations d’usage excessif de la force »
Que le Haut-commissariat aux droits de l’homme des Nations Unies ? concernant la France et les gilets jaunes ?
Structure principale des Nations Unies dédiée à la protection et la promotion des droits de l’homme, le Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme est mandaté depuis 1993 par l’Assemblée générale de l’Organisation [résolution 48/141] et dispose de prérogatives larges. Il a pour vocation d’appuyer les États membres des Nations Unies en vue de soutenir la mise en œuvre des droits de l’homme sur le terrain et le respect de leurs obligations internationales; prévenir les violations des droits de l’homme; promouvoir la coopération internationale en vue de protéger les droits de l’homme, et coordonner les activités des Nations Unies dans ce domaine.
Depuis le 1er septembre 2018, la fonction de Haut-Commissaire est assurée par les soins de Michelle Bachelet, médecin et chirurgienne, par ailleurs ancienne présidente de la République du Chili.
Dans son discours auprès du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, ce 6 mars 2019, à Genève, le Haut-commissaire a présenté le rapport de son bureau relatant les activités de l’année 2018. Dans ce rapport, divers défis globaux qui sont de nature à menacer les droits de l’homme sont mis en avant, y compris le changement climatique, les conflits armés ainsi que les inégalités. Dans son argumentation, le Haut-commissaire souligne que ces inégalités concernent toutes les États, y compris les plus prospères.
Sur ce point, en à peine deux courtes phrases, Michelle Bachelet met en évidence trois éléments. Elle qualifie le mouvement: en effet, le Haut-commissaire souligne que les gilets jaunes “protestent contre ce qu’ils considèrent comme une exclusion des droits économiques et de la participation aux affaires publiques”. Si cette affirmation peut paraître neutre, dans le contexte du discours et entourée d’autres exemples, elle légitime et tend à justifier le mouvement social.
C’est sans doute cet aspect légitimant qui est l’élément le plus marquant de cette partie du discours, car il est fondamentalement politique et dessine les contours d’une lutte “juste”, au même titre que le sont celles des Vénézuéliens et des Soudanais contre leurs gouvernements respectifs. Il apparaît pour le moins étonnant – voire potentiellement problématique – de voir le Haut-commissaire suggérer un tel positionnement, d’autant que le discours reste paradoxalement moins orienté concernant les autres États évoqués.
Le deuxième élément mis en avant porte sur le dialogue, que la France est encouragée à poursuivre, notamment par les discussions nationales en cours. Ce type d’encouragement est plutôt classique dans la rhétorique onusienne et souligne un point positif en faveur de la France. Le troisième point enfin, a pu surprendre puisqu’elle demande « instamment que tous les cas signalés de recours excessif à la force fassent l’objet d’une enquête approfondie ».
Bien que cette requête ne soit qu’un rappel d’une obligation internationale qui pèse sur la France, cette incise est toutefois lourde de conséquences en termes diplomatiques, car il s’agit d’une demande pressante (en anglais urge), plaçant à nouveau la France dans une catégorie d’États peu recommandables quant à leurs recours excessifs à la force. Elle fait écho par ailleurs, comme nous l’évoquons ci-dessous, aux prises de positions récentes de plusieurs experts indépendants des Nations Unies.
La France dans l’embarras…..
Dans la mesure où la France refuserait de diligenter des enquêtes sur les usages excessifs de la force, ou dans l’hypothèque où ces enquêtes ne satisferaient pas aux exigences internationales, la France pourrait voir sa responsabilité internationale engagée, par exemple à l’occasion d’une affaire contentieuse portée devant un organe tel que la Cour européenne des droits de l’homme ou encore le Comité des droits de l’homme des Nations Unies.
À titre d’exemple, la Cour européenne a condamné l’Italie à plusieurs reprises pour les actes de violence perpétrés contre les militants altermondialistes en marge du G8 de Gênes, allant jusqu’à qualifier certains traitements d’actes de torture (voir arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, Bartesaghi Gallo et autres c. Italie, 22 juin 2017).
Aussi, si au plan juridique, l’engagement de la responsabilité internationale de l’État est plausible sur la base de contentieux individuels, et ce en fonction des plaintes déposées par les victimes auprès des instances internationales, la conséquence la plus immédiate et la plus sévère pour la France du discours tenu devant le Conseil des droits de l’homme par le Haut-commissaire porte sur l’atteinte grave à sa réputation internationale.
Dj. Am