Hocine Aït-Ahmed
Une vie pour l’Algérie
Il était l’un des leaders du Front de libération nationale (FLN) et dernier survivant des neuf chefs historiques du FLN qui allaient déclencher la guerre d’indépendance algérienne, le 1er novembre 1954.
Hocine Aït Ahmed est décédé mercredi 23 décembre 2015 dans un hôpital de Lausanne en Suisse, à l’âge de 89 ans. Il a été enterré le 1er janvier 2016, dans son village natal, conformément à ses dernières volontés.
C’est accompagné d’une immense procession humaine, que l’enfant prodige d’Ath Ahmed a rejoint la terre de ses ancêtres pour y dormir enfin du sommeil du juste.
L’enfance au village
C’est le 20 août 1926 que Hocine Aït-Ahmed voit le jour à Aït-Yahia en Haute-Kabylie, dans la wilaya de Tizi-Ouzou.
Perché à quelques mille mètres d’altitude, son village d’Ath Ahmed connaît, à l’instar des autres hameaux d’Algérie, en cette ère coloniale, la faim, la soif. Mais le jeune Hocine, réussira « l’examen de survie », forçant quelque part « la loi de la sélection naturelle » (*)
Alors qu’il rejoint à l’âge de quatre ans l’école coranique du village pour l’apprentissage des versets du Coran – son aïeul cheikh Mohand el-Hocine est un marabout, très respecté pour sa sagesse et sa foi –, il « émigre » deux ans plus tard, dans l’un des plus gros villages de Haute Kabylie, Tiferdout, où vit sa tante, pour rejoindre les bancs de l’école française. Bien sûr, tel qu’il le précise dans ses mémoires « Tiferdout avait ses qanouns, ses lois coutumières, dont l’un faisait obligation aux enfants scolarisables ou non, de fréquenter l’école coranique (…). Les écoles coraniques étaient, en fait, de vrais garde-fous ». Sa scolarisation « loin du giron familial fut une grande aventure » et quelque part, elle le grandira et le mûrira.
C’est donc tout naturellement que le jeune homme qu’il deviendra, en arrivera à s’interroger mais surtout à s’élever contre les iniquités et injustices coloniales qui maintiennent le peuple algérien dans une profonde misère.
Une vie au service du militantisme
A l’âge de 15 ans donc, il rejoint le Parti du peuple Algérien (PPA) fondé par Messali Hadj dont il devient rapidement l’un des dirigeants et ce jusqu’en 1947. C’est, cette année-là, deux ans après les massacres sanglants de Sétif qui ont fait plus de 45000 morts qu’est fondée l’Organisation Spéciale qui devait préparer l’insurrection, en formant des cadres militaires et en mettant en place un dispositif clandestin pour amorcer et développer la lutte armée. A la mort de Mohamed Belouizdad, emporté par la tuberculose, Hocine Aït-Ahmed prend la direction de l’Organisation secrète et joue un rôle important au sein de cette organisation, notamment en fomentant en 1949, en compagnie de Ben Bella, le braquage de la banque d’Oran pour se procurer les fonds nécessaires à l’achat d’armes. Les services secrets français découvrent alors l’existence de l’OS, ce qui va précipiter son démantèlement.
Alors que Hocine Aït-Ahmed parvient à échapper aux arrestations et s’installe au Caire, Ben Bella, lui, est arrêté et condamné à 7 ans de prison. S’évadant à son tour, il rejoint Aït-Ahmed au Caire en 1952. Avec Mohamed Khider, ils feront tous trois partie de la délégation extérieure du PPA qui devient en 1954 celle du FLN. Celle-ci œuvre à donner une meilleure visibilité à l’international de la cause algérienne.
Aït-Ahmed assiste ainsi à la première Conférence des partis socialistes asiatiques qui se tient à Rangoon en Birmanie, en janvier 1953. L’une des premières résolutions adoptées lors de ce rendez-vous est le soutien du Maghreb dans sa lutte pour sa libération ainsi que la mise en place d’un bureau dont le rôle est le suivi des luttes anticoloniales auprès de l’ONU. Aït-Ahmed se rend ensuite au Pakistan, en Inde et en Indonésie où il va plaider à nouveau la cause algérienne. Sur place, des comités de soutien se créent pour aider le peuple algérien dans son combat légitime contre l’occupant colonial.
En avril 1955, c’est également lui qui dirige la délégation algérienne à la conférence de Bandung dont les résolutions sont en faveur du droit à l’autodétermination et à l’indépendance de l’Algérie, de la Tunisie et du Maroc.
Une année plus tard, Aït-Ahmed ouvre et dirige le bureau de la délégation du FLN à New York qui effectue, sur place, un grand travail diplomatique, au point que la question algérienne est inscrite à l’ordre du jour de l’AG des Nations unies, en septembre, provoquant l’ire de la délégation française qui se retire des débats.
En octobre de la même année, l’avion transportant de Rabat à Tunis, Aït-Ahmed, Boudiaf, Khider, Ben Bella et Lacheraf, est arrêté par les autorités françaises, empêchant ainsi les dirigeants du FLN de prendre part à la conférence maghrébine pour la paix.
Arrêté avec ses compagnons, Aït-Ahmed demeure en prison jusqu’à la fin de la guerre mais cela ne l’empêche pas de continuer à communiquer avec les dirigeants du FLN-ALN, appelant surtout à la création d’un gouvernement provisoire en exil.
Sorti de prison en mars 1962, il démissionne le 27 juillet de la même année de toutes les structures de direction du FLN et se tient à l’écart des luttes au sein du parti, évitant de prendre partie pour les uns ou les autres.
Deux mois plus tard, en septembre, il accepte d’être élu à la première assemblée constituante, pour deux raisons : promouvoir à partir de cette institution une vie politique avec des débats publics, associant la société civile et veiller à ce que la commission chargée d’élaborer la constitution au sein de l’ANC termine son projet de constitution et le soumette aux débats libres et démocratiques des « élus » de la nation.
Création du Front des forces socialistes
En septembre 1963, il se démarque du FLN et crée son propre parti : le Front des forces socialistes, aujourd’hui, le plus vieux parti de l’opposition. En 1963, il déclenche une insurrection armée, à partir de la Kabylie pour renverser le régime d’Ahmed Ben Bella. Arrêté, il est condamné à mort. Il parvient à s’évader de la prison d’El Harrach et se réfugie en Suisse d’où il continue à militer pour les droits de l’homme et l’unité du Maghreb. Après 23 longues années d’exil, ce fervent défenseur de l’identité amazighe rentre en décembre 1989 en Algérie. Le pays qui a traversé les douloureux événements d’octobre 1988, fait ses premiers pas sous l’ère de l’ouverture du champ politique avec l’instauration du multipartisme.
Le FFS qui activait dans la clandestinité est enfin reconnu, au même titre que les autres partis politiques.
Elections de 1991 et retour aux années de sang
Prenant part aux élections législatives de 1991, le parti de Hocine Aït-Ahmed avait alors averti sur le danger de voir les armes prendre le pas sur les urnes, après l’annulation du premier tour de ces élections remportés par le FIS dissous. L’assassinat du Président Mohamed Boudiaf, en juin 1992, lui donnera malheureusement raison. Aït Ahmed s’exile de nouveau en Suisse où il continue son militantisme politique.
En 1995, il signe à Rome avec six autres formations ainsi que des personnalités politiques algériennes (Abdelhamid Mehri, Ahmed Ben-Bella, Ali Yahia Abdennour, Anouar Haddam, Rabah Kebir, Abdallah Djaballah, Louisa Hanoune et Ahmed ben Mohammed) la plate-forme de Sant’Egidio qui se veut une proposition pour la sortie de crise et le retour à la paix. Le projet sera rejeté par le pouvoir algérien.
Lors des élections de 1999, il décide de se présenter à l’élection présidentielle avant de se retirer de la course.
Agé et fatigué par la maladie, il adresse en décembre 2012, au Conseil national du FFS une correspondance dans laquelle il exprime sa volonté de quitter la politique pour des raisons de santé.
Dans son message, il explique que ses convictions et sa ferveur sont toujours aussi vivaces qu’aux premières heures de ses 70 ans de militantisme, ajoutant que le moment était venu pour lui de passer le témoin.
Aït-Ahmed, l’homme de culture
Tout en continuant son combat politique à partir de son exil helvétique, Hocine Aït-Ahmed étudie le droit, obtenant sa licence à l’Université de Lausanne où il devient docteur honoris causa. Il soutient par ailleurs sa thèse de doctorat à Nancy en 1975 sur « Les droits de l’homme dans la Charte et la pratique de l’OUA » (Organisation de l’Union africaine).
Polyglotte (il maîtrisait parfaitement le kabyle, sa langue maternelle mais aussi l’arabe classique, le français et l’anglais, ndlr), Aït-Ahmed avait également la plume facile, d’où les nombreux ouvrages publiés (« Premier engagement politique et début de la lutte armée », « Tournée diplomatique pour une reconnaissance internationale », « L’indépendance, lutte pour un Etat démocratique », « Création du FFS, résistance dans les maquis de Kabylie » et « L’après décennie noire, pour une nouvelle République .. ) et qui restent pour nous, génération postindépendance, autant d’éclairages sur l’histoire de la Révolution algérienne, pensée et vécue de l’intérieur.
In Mémoria
Sources :
*Hocine Aït-Ahmed, « L’esprit d’indépendance. Mémoires d’un combattant 1942-1952 », éd. Barzakh, Alger 2002, 237 pages
*Divers articles de la presse nationale
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