La Harga , un appel de détresse, que nous devons écouter.
(*) Hassen Kacimi
Comprendre c’est pouvoir guérir .
La Harga ce mal transformé en délivrance, résulte de tant de facteurs malheureux, ayant pour conséquence l’aliénation de notre identité et l’installation d’un sentiment diffus, de ne plus appartenir à une nation ou à une patrie.
La Harga a ouvert la voie à la culture de l’apatride, sans identité, sans nationalité, d’un citoyen qui galère à l’étranger, en quête incessante d’un destin hypothétique, marqué par la recherche désespérée de la reconnaissance et de la réussite sociale, sur une terre inconnue et hostile.
La mondialisation a fait, plus ou moins, disparaître l’identité nationale et l’amour du pays , dans le moule d’une quête de soi, incessante, qui fait des harraguas, des citoyens sans patrie, sans culture, égarés dans un monde cruel.
Si la mondialisation a réussi à ouvrir les frontières, où les marchandises circulent librement, par contre, celles ci se sont refermées, pour la circulation des personnes, ouvrant la voie à une mobilité illicite des personnes.
Ce qui se passe aux frontières maritimes du nord du pays, où celles des frontières du sud , dénote de la puissance des réseaux de trafic des migrants, qui menacent notre sécurité nationale . Le trafic de la harga est aussi juteux que celui de la drogue ou des armes. Un voyage de la harga, coûte environ 70 à 80 millions de centimes, dans une embarcation de 10 personnes, procurant au trafiquant un revenu moyen de 800 millions de centimes, le voyage.
Si le trafiquant de harragas organise 4 voyages par mois, cela peut lui rapporte, en moyenne, un revenu de 4 milliards de centimes.
Au vu de la somme déboursée, le harrague n’est pas en détresse économique et sociale, c’est pourquoi il ne répond pas au profil classique du migrant. Parmi les harragas , on retrouve plusieurs catégories de personnes, notamment des chômeurs de luxe, qui ont de grosses économies, supposant qu’ils disposent de soutiens sociaux, importants .
Un autre fait surprenant est celui d’enfants de familles aisées, retrouvées dans le lot des harragas, qu’on ne peut classer dans la catégorie des couches sociales, démunies et fragiles.
La Harga en famille , avec les enfants, le père ou la mère, ou les deux, résulte souvent d’un drame familial, aggravé par des conditions de vie difficiles, ayant déclenché un acte désespéré, par lequel le départ vers l’étranger, en famille, avec l’aide d’un rafiot de la mort, est une quête d’un devenir meilleur, mais souvent hypothétique.
Un divorce ou des conflits familiaux, intenses, peuvent aussi provoquer la décision impromptue de quitter le pays , par tous les moyens, pour échapper au stress d’une vie, de plus en plus difficile . Nous avons pu identifier d’autres catégories de harragas, qui concernent d’autres franges sociales , ayant réussi leur cursus universitaire, retrouvés dans le lot de ces harragas.
Dans le lot de ces migrants , on recense aussi, ceux qui ont des diplômes, ou un revenu. La harga est un phénomène social complexe, ne pouvant être expliquée uniquement par le chômage.
On peut relever, dans l’évolution de ce phénomène, la dislocation du lien familial et l’affaiblissement des valeurs traditionnelles de solidarité sociale, ou l’individu est livré à lui même . On peut donc estimer que le chômage est la tendance lourde de ce phénomène, auquel se greffent d’autres facteurs, sociaux et culturels.
La harga est elle un phénomène social, résultant d’un marasmes économique qui ferme tout horizon , ou toute perspective d’un avenir meilleur ?
Où sommes nous en présence d’un phénomène culturel, inédit , inévitable , résultant d’une mondialisation, faisant de ce monde , un grand village, sans frontières ?
Cette forme de migration est porteuse d’un rêve incertain, qui peut souvent se terminer par un drame, au fond de la méditerranée, rendant des mamans éplorées et inconsolables, jusqu’à la fin de leur vie .
Quitter son pays, pour retrouver un continent européen, de rêve, est un cliché porteur, qui circule dans le milieu des jeunes, candidats à la harga, rêvant d’un monde nouveau. Souvent , Ils apprendront, à leur dépens, que l’Europe n’est pas parsemées d’amour, d’eau fraîche, et d’eau de roses. Dans ces pays, les conditions de vie sont aussi redoutables, pénibles, où le prolétariat est laminé à fond, par le gain et le profit, rendant la vie insupportable, voir inhumaine, pour un bon nombre de ces laissés pour compte, et damnés du libéralisme mercantiliste.
Il est vrai que la mal vie n’est pas spécifique à notre pays . C’est un phénomène mondial , ayant installé des valeurs capitalistes, d’une insatisfaction perpétuelle, dans une société où l’Etat régalien a abandonné, sans états d’âme, ses missions de régulateur et de protecteur . Les libertés se sont réduites, avec le temps, comme une peau de chagrin , laissant la place à toutes sortes de fondamentalismes, ayant encouragé la montée de la violence, de la criminalité, du banditisme, de la débauche et du mercenariat politique, qui dirige le monde.
Nous relevons une évolution en puissance des réseaux de harga qui se sont installés solidement sur les côtes maritimes de notre pays, où sur les frontières du sud .
Dans les moments les plus difficiles de notre histoire, durant la décennie noire, la Harga était un phénomène inconnu, et cela malgré la violence intégriste qui a lourdement frappé notre société. Le désespoir était partout, mais la harga n’était pas à l’ordre du jour des jeunes désœuvrés . La gouvernance monarchique qui s’est installée, par effraction, en Algérie, durant deux décennies, a battu en brèche les valeurs traditionnelles ancestrales, de solidarité, par l’accentuation de maux, ayant créé un climat de suspicion et une défiance des pouvoirs publics.
L’injustice, le régionalisme, le clanisme, le népotisme, l’enrichissement immoral et illicite, de cette gouvernance monarchique et féodale, ont accentué le clivage entre les gouvernants et les gouvernés. Parmi les causes les plus importantes qui reviennent dans les accusations des harraguas, c’est cette injustice qui s’est institutionnalisée, par l’apparition de nouvelles fortunes, ostentatoires et immorales, par la corruption et les passes droits, qui ont marginalisé des pans entiers de la population .
La harga ce n’est pas uniquement une ingouvernance, mais c’est aussi cette incapacité à produire des valeurs de justice, d’éthique, de morale et de bonne gouvernance, où le citoyen rêve d’évoluer dans une société épanouie et prospère, où le bonheur n’est pas une quête de l’impossible .
Les gouvernants sont interpellés pour agir rapidement sur les leviers de l’emploi et de la culture, pour réduire l’aliénation , le chômage et l’oisiveté , mère de tous les maux .
L’Algérien ne rêve pas uniquement d’un emploi . Il a aussi, comme tout un chacun, des besoins culturels et récréatifs, devant lui permettre de s’épanouir. Nous vivons dans des villes bétonnées, sans âme, sans espaces récréatifs, enfonçant le commun des mortels, chez lui , dans la détresse de la Ghorba.
Le Harrague est un être qui se recherche, pour un devenir meilleur, mais souvent truffé d’ambiguïtés . Pour certains , on quitte l’Algérie à la recherche d’une meilleure vie , mais c’est dans l’exil que nous pleurons plus l’Algérie. Dans notre exil, nous quittons l’Algérie , mais celle ci nous habite et nous ne quitte jamais.
Voilà le dilemme du migrant qui vit dans la ghorba, mais qui a toujours la nostalgie d’un pays qu’il chérit, plus que tout. La Ghorba a produit une anthologie de chansons, de la détresse, de la solitude et de la misère spirituelle, de l’amour du pays, de sa famille et de ses amis.
C’est dans l’exil qu’on ressent le plus l’amour du pays, l’amour de la maman qui pleure, à chaudes larmes, son enfant, et qui attend, chaque jour que le bon dieu fait, le retour de l’enfant chéri. Le drame de celui qui part, sait souvent que ses enfants, nés sous d’autres cieux, ne reviendront plus jamais au pays natal. Un autre drame, dans le drame , que l’Algérien doit subir, dans son exil, au plus profond de son être, jusqu’à la fin de ses jours.
Dahmane El Harrachi a résumé l’appel de la patrie , du fin fond de l’exil : « ya rayah trouh taya oua Touali ».
Le passé a été parsemé d’embûches et de trahisons qui ont laissé dix millions d’Algériens dans des zones d’ombre, provoquant une harga, inédite dans notre histoire.
Pour répondre aux extrémistes de l’extrême droite de l’hexagone, nous dirons que la migration Algérienne en France, et une violence collatérale de la colonisation.
C’est en travaillant, sans relâche, que nous ferons de notre pays un paradis, pour tous, et qui accueillera, dans la dignité, tous ses enfants, qui vivent, malgré eux, comme une blessure, l’exil à l’étranger .
(*) Hassen Kacimi
Expert des flux migratoires et des menaces au Sahel
La Harga , un appel de détresse, que nous devons écouter.
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