La lutte contre le Léviathan bureaucratique est une urgence nationale !
(Par Noureddine Khelassi)
Fin connaisseur de l’Administration algérienne qu’il a longtemps connue en sa qualité de serviteur de l’Etat dans le corps préfectoral puis dans la position de ministre, le président Abdelmadjid Tebboune a évoqué dans son interview télévisée de lundi soir le risque bureaucratique majeur que représente, à bien des égards, ce véritable hydre. « C’est le pire ennemi de l’Etat », en a-t-il notamment dit. Difficile de contester cette affirmation en forme de définition spécifique de ce mal algérien.
Pour illustrer ce mal profond qui neutralise les grandes entreprises et les meilleures volontés, relevons que le chef de l’Etat a constaté auparavant que le serpent à sept têtes bureaucratique s’est évertué à mettre en échec des décisions importantes qu’il a prises en faveur du développement de l’industrie pharmaceutique. Des lobbys de l’importation du médicament ont certes leur part de responsabilité, mais toujours est-il que la bureaucratie s’est acquittée de son propre rôle avec une certaine efficacité. Plus près de nous encore, un membre de la Commission scientifique nationale en charge du suivi de l’évolution de la pandémie du Covid-19, s’est interrogé, à bon droit et à juste titre, sur la destination finale des équipements médicaux et autres moyens de luttes contre le risque du Coronavirus. Cette grande figure de l’Ordre des médecins s’était demandé où étaient passés les matériels et les produits pharmaceutiques acquis à coup de millions de dollars à l’étranger. Il a posé la question après avoir constaté l’impuissance de nombreuses structures sanitaires à faire face à l’augmentation inquiétante du nombre de nouveaux cas avérés de contaminés par le pernicieux virus.
Cinq ans avant le chef de l’Etat et avant cet hiérarque de la médecine, un acteur économique privé, en l’occurrence Lies Kerrar, expert financier et président d’Humilis Finance, une société de conseil en ingénierie financière et en investissements liés au marché émergent algérien, avait déclaré que «si nous avions une administration efficace, nous aurions été un pays émergent». Cette profession de foi fut exprimée avec le verbe être conjugué à l’imparfait. Une manière de dire que l’Administration algérienne, qui se transforme en Léviathan bureaucratique, est le principal obstacle, le frein permanent qui a empêché et empêche toujours l’Algérie de posséder une économie développée et créatrice de richesses. Dans la bouche de ce fils d’homme d’affaires avisé qui a appris le business avec la Chine de Mao et de Deng Xiao Ping, le constat était plus limpide encore : «La faiblesse de l’industrie est liée directement à l’environnement juridique et administratif qui ne favorise pas le développement industriel». Par conséquent, «il y a beaucoup de réformes à faire au niveau de l’Administration justement pour éviter à l’entreprise la débauche d’énergie qu’engendre le traitement des questions administratives et lui permettre de se consacrer à l’essentiel, l’amélioration de sa compétitivité».
Sa réforme, vaste et profonde, comme le suggère Kerrar, et comme l’a souligné fortement le président Abdelmadjid Tebboune lui-même, est une priorité nationale absolue. Le premier chantier et le plus urgent à lancer, ici et maintenant et pas plus tard que demain ! Car la force inertielle et le pouvoir de nuisance de la bureaucratie sont un risque majeur et permanent pour l’économie et plus largement encore pour la sécurité nationale !
L’affirmer ainsi n’est en rien exagéré. On parle souvent de pouvoir réel, apparent ou occulte. On fantasme beaucoup sur l’influence de supposés cabinets noirs que l’on voit essaimer partout. On divague même sur des pouvoirs exorbitants que détiendraient l’armée et la présidence de la République qu’on imagine toutes les deux omnipotentes et omniscientes. On oublie toujours que le pouvoir absolu, c’est celui que l’on appelle communément et par euphémisme, le Système, avec un grand S. Ce Système, c’est-à-dire le pouvoir informel, indéfini et insaisissable, c’est finalement celui de la Bureaucratie, avec un grand B. Ce pouvoir abstrait, mais bien réel, constitue une grande force et forme un gigantesque parti transcourants. Enorme entité qui gère la distribution de la rente pétrolière, crée des réseaux transversaux d’intérêt et génère des rentes de situation à différents échelons.
Ce pouvoir, avec un grand P, est celui d’un Léviathan réel. Dans la Bible, cette créature indéfinie est un monstre colossal, un dragon, un serpent ou un immense crocodile dont la forme est imprécise. La puissance inertielle que ce Léviathan met en branle peut empêcher de réformer, de réaliser et d’exécuter, quelle que soit la volonté politique supérieure qui en est à la base. La vocation première de cette monstruosité est de garantir sa survie finale et ses intérêts vitaux. Alors il bloque, retarde, déforme, paralyse et sabote. Bref, met d’autant plus en échec les meilleures entreprises et les bonnes volontés que ses agents sont souvent incompétents et médiocres.
Au fléau bureaucratique permanent s’ajoute le fait que L’Administration algérienne se caractérise par ses déficits structurels et humains. Sempiternel constat, l’Administration est sous-équipée, en manque criard d’effectifs, notamment en cadres d’exécution, de suivi, de contrôle et d’évaluation. Au niveau local, ses différentes structures sont parfois des coquilles vides. C’est aussi le cas à l’échelle nationale. D’où les immenses retards à l’exécution des projets et des décisions. D’où les surcoûts financiers. D’où l’alimentation de la colère sociale qui finit par exploser ici ou là. Ajoutons également la corruption, la concussion, la gabegie, l’impéritie propre à l’ensemble de l’Administration. Et la boucle bureaucratique est ainsi bouclée !
N. K.
LIRE AUSSI:
http://lapatrienews.dz/le-drapeau-national-sens-et-symbolique/