La mise au pas des titres de la presse marocaine décrite par Pierre Vermeren
Dans un entretien publié par le quotidien français Le Figaro, le professeur d’histoire du Maghreb, Pierre Vermeren, a établi une radioscopie de la situation de la presse au Maroc, mise au pas par le Makhzen, surtout dans le sillage de la crise économique sévère secouant une monarchie en bute à des secousses sociales qui rendent obscur l’avenir immédiat d’un système considéré comme une relique du moyen-âge.
Au moment où Rabat « opère un tour de vis » à la liberté d’expression des opposants et à la liberté de presse, « les tentions sociales augmentent », a d’emblée souligné Pierre Vermeren.
A une question du Figaro sur l’augmentation de la répression de la liberté d’expression dans la monarchie, l’historien affirme : on observe à la fois une permanence et une recrudescence. Une permanence puisque depuis 2009, l’essentiel de la presse indépendante née de la transition marocaine des années 1990 avait été démantelée. Cela n’empêche pas certains titres ni des plumes de renaître de manière indépendante, mais alors, très vite, les ennuis commencent : diffamation, procès…etc .
Le journaliste du Figaro a ainsi rappelé dans sa question que plusieurs centaines de personnalités marocaines avaient signé un manifeste contre la répression policière et la diffamation des opposants qui, selon eux, s’accentuent dans leur pays, sous le titre « Cette ombre est là ». Dans ce manifeste, les signataires dénonçaient « plusieurs cas d’emprisonnement politique et de harcèlement, parmi lesquels l’arrestation des journalistes Omar Radi et Hajar Raissouni, ainsi que les répressions subies par des mouvements sociaux».
Pierre Vermeren a également souligné que depuis les émeutes du Rif en 2017, « qui ont dévoilé les énormes carences de la gouvernance et du développement dans les régions du Maroc périphérique », en plus des évènements qui ont secoué la région, le pouvoir au Maroc vit sous l’emprise d’un sentiment de « menaces systémiques ».
C’est ce qui explique, selon lui, ce recours à la répression des libertés, à travers des attaques indirectes, car, a-t-il dit, ces attaques indirectes contre les journalistes « sont redoutables dans une société conservatrice où l’opinion publique est prise à témoin pour salir de fortes têtes ».
C’est dans ce sens qu’il a rappelé les cas où la police politique a eu à monter des affaires, voire des histoires de mœurs contre des journalistes comme Hadjar Raissouni.
S’agissant de ces médias qualifiés, dans le manifeste, de « médias de diffamation », le professeur d’histoire du Maghreb affirme que « cette histoire de +médias de diffamation+ est un point très important. Et ce point nous informe sur l’état général de la presse dans les États autoritaires, et peut-être demain dans les démocraties ».
Ainsi, selon ce normalien et agrégé d’histoire, « tout titre de presse qui ne consent pas à passer les messages du pouvoir ou qui aurait l’impudence de critiquer les +« lignes rouges+ définies par le régime entre dans des difficultés insurmontables ».
Dans de nombreux pays pauvres ou très contrôlés comme le Maroc, la presse est depuis des décennies une affaire d’État, a-t-il relevé, ajoutant que « tout titre de presse qui ne consent pas à passer les messages du pouvoir, à faire en sorte de bénéficier des annonces des entreprises publiques ou amies qui lui permettent de vivre, ou qui aurait l’impudence de critiquer les fameuses +lignes rouges+ définies par le régime –c’est-à-dire l’évocation du roi et de la famille royale, de la sacralité de l’islam et du régime politique, de la corruption financière, des proches du roi, de l’intégrité territoriale– entre dans des difficultés économiques insurmontables, aggravées par des procès et des amendes ».
C’est ainsi, a-t-il encore rappelé, que « les médias à la fois indépendants et politiques ont disparu ». Le professeur d’histoire du Maghreb a également souligné « qu’en dehors des militants et des administrations, les Marocains ne lisent plus la presse papier, à l’exception de rares revues spécialisées ». Ils s’informent, selon lui, sur Internet dans les médias internationaux, qui sont libres d’accès.
Pour lui, le problème concerne les informations nationales marocaines. « Les réseaux sociaux auxquels sont connectés plus de vingt millions de Marocains, qui sont toutefois surveillés, règnent en maître », a-t-il encore noté.
C’est ce qui l’a amené à conclure que « La police politique, au Maroc ou dans la grande diaspora marocaine à l’étranger, est parvenu à contrôler quasiment tous les sites marocains d’informations en ligne ».
S’agissant des informations politiques, Pierre Vermeren souligne, encore, que dans ce domaine « la police politique, que ce soit au Maroc ou dans la grande diaspora marocaine à l’étranger, est parvenu à contrôler quasiment tous les sites marocains d’informations en ligne ».
Quand elle veut lancer une campagne de diffamation contre l’un de ses adversaires (ou prétendus adversaires), a-t-il poursuivi, elle n’a qu’à déclencher une offensive concertée.
La campagne de diffamation, ciblée sur un individu mis à nu, a encore révélé le professeur d’histoire, concerne, très souvent, des affaires de mœurs soit réelles, soit inventées soit montées en épingle, ce qui permet d’éviter les procès politiques comme dans les années quatre-vingt.
« L’État peut alors se retrancher derrière le respect de la morale islamique supposément offensée, et la justice sanctionner l’offense aux bonnes mœurs », a-t-il notamment indiqué.
+++ Normalien et agrégé d’histoire, professeur d’histoire du Maghreb contemporain à l’université Paris I – Sorbonne, Pierre Vermeren est l’auteur de nombreux ouvrages salués par la critique. Son nouvel ouvrage, Le Maroc en 100 questions (Tallandier, 2020, 352 p), est actuellement en librairie.
Par Akli Imoghrassen