La préparation du 1er novembre
Le déclenchement de la révolution fut préparé dans un délai extrêmement court par un groupe limité de militants avec des moyens dérisoires. Les divisions dramatiques du MTLD allaient être le facteur déterminant qui accéléra la mise sur pied d’une troisième force par des partisans de la lutte armée au sein du MTLD (Ben Boulaïd et Boudiaf) qui acceptèrent une alliance temporaire avec des centralistes dans l’espoir de réunir le parti et l’entraîner dans la Révolution avant de s’en détacher et de faire appel à un groupe limité de militants décidés. Le FLN est né de la jonction de ces derniers avec les maquisards de Kabylie et le soutien des délégués du MTLD réfugiés au Caire.
Le MTLD hésitait à déclencher la lutte armée
Au début de 1954, le MTLD successeur du PPA et de l’Etoile Nord-Africaine était l’expression du mouvement national populaire, c’est-à-dire la force politique qui prenait en charge les revendications des couches populaires les plus pauvres. Mais sa direction était profondément divisée. La masse des militants adhérait à l’idée d’une remise en cause violente du système colonial, qui avait beaucoup avancé depuis les massacres de mai 1945 et qui a été renforcée après le trucage des élections par l’administration coloniale. Les forces politiques qui étaient auparavant prêtes à accepter un compromis pour une évolution pacifique par étapes du système colonial à condition d’une extension des droits et des libertés à toutes les populations algériennes étaient de moins en moins convaincues de la volonté du gouvernement français de permettre cette évolution.
Le MTLD est devenu un parti de masse et même une sorte de front qui regroupait de plus en plus des représentants des couches moyennes et des intellectuels qui rejoignirent la base traditionnelle du mouvement national populaire qui avait été à l’origine ouvrière et urbaine avant de s’étendre à la paysannerie pauvre. Ce rassemblement peut expliquer les hésitations devant le déclenchement de l’action armée mais a été un facteur de rapprochement et d’union qui facilita le rassemblement national une fois la guerre de libération déclenchée.
En 1947, le congrès du MTLD avait débouché sur un compromis exprimant les hésitations de la direction du parti : à côté de la face légale (MTLD) on maintint la structure ancienne devenue clandestine (PPA) et on créa une structure pour préparer la lutte armée (l’Organisation Spéciale). Messali avait imposé dès 1946 le recours à l’action légale, tout en se réclamant de la lutte armée qu’il utilisait comme argument politique pour imposer sa domination personnelle. Il poussa la direction qui s’était progressivement éloignée de son autorité à éliminer les radicaux regroupés au sein de l’OS. Les membres de cette direction, les « centralistes » forment un appareil qui s’opposa à Messali tout en ménageant les radicaux sans cependant accorder réellement à ces derniers les moyens de préparer la lutte armée. Ces partisans du recours à la force, rescapés de l’OS après son démantèlement et parmi lesquels nombreux étaient clandestins, cherchaient avant tout à ressouder le parti et à l’entraîner dans la lutte armée. Certains d’entre eux restèrent fidèles à Messali qui garda longtemps une grande influence sur les masses populaires qui lui vouaient une grande vénération.
Le compromis entre centralistes et radicaux
Devant le blocage entre messalistes et centralistes dont l’opposition dégénérait en affrontements physiques entre les militants, les radicaux acceptèrent un compromis avec les centralistes. Deux d’entre eux allaient jouer un rôle déterminant dans le déclenchement de la lutte armée : Mostefa Ben Boulaïd était un dirigeant respecté qui exerçait une grand influence sur les militants des Aurès dont certains avaient déjà pris les armes et étaient prêts à l’action. Ben Boulaïd avait refusé de les disperser suite à l’ordre de la direction. Il était membre du comité central et avait été désigné par le congrès de 1953 dans une commission virtuellement chargée de préparer la lutte armée mais qui n’eut aucune activité réelle. Mohamed Boudiaf a été responsable de l’OS pour tout l’Est algérien. Après le démantèlement de cette organisation, il vit dans la clandestinité à Paris où il est responsable de l’organisation du MTLD, assisté de Mourad Didouche. Il est en contact étroit avec ses anciens adjoints qu’il a aidé à muter dans l’Oranie dont Larbi Ben Mhidi et Abdelhafid Boussouf. Selon certaines sources, Boudiaf, qui se trouvait en France, aurait été convoqué par Hocine Lahouel, responsable du parti à Alger qui l’aurait chargé de réunir les anciens éléments de l’OS, pour la plupart dispersés et clandestins pour reconstituer un groupe afin de préparer la lutte armée. Le comité central aurait alors cherché à élargir son influence auprès de la base dans le conflit qui l’opposait à Messali. Son objectif était de s’allier aux radicaux partisans du recours immédiat à la lutte armée.
Le 23 mars 1954, ces deux cadres partisans de la lutte armée (Ben Boulaïd et Boudiaf) rencontrèrent un groupe de centralistes dont Lahouel, Abdelhamid Sid Ali, Dekhli (tous trois membres du comité central) ainsi que Bouchebouba qui venait d’être désigné comme contrôleur général. Ils décidèrent de former une nouvelle structure qui prit le nom de Comité révolutionnaire d’unité et d’action (CRUA) dont le but avoué était de mettre fin à la division du parti en le réunifiant pour le lancer dans la lutte armée. Elle eut même son bulletin Le Patriote, financé par le comité central, et dont la rédaction avait été confiée à Salah Louanchi, dirigeant des Scouts et membre du comité central. Cette alliance allait durer de mars à juillet 1954. Messali opposa une fin de non-recevoir à ce qu’il considéra comme un complot des centralistes destiné contre sa personne. Méfiants, les anciens membres de l’OS décident de leur propre initiative d’accélérer la préparation de la lutte armée, sans en informer les centralistes. Ben Boulaïd fut chargé de rencontrer Messali, de l’informer de la création du comité et de lui demander d’appuyer la démarche. Il fut violemment éconduit.
On récupère les premières armes
Boudiaf avait auparavant déjà rencontré au Caire les membres de la délégation extérieure du MTLD (Khider, Aït Ahmed, Ben Bella). Les délégués étaient acquis à la troisième force. Ben Bella avait donné à Boudiaf l’emplacement des principales caches d’armes qui avaient été constituées cinq années plus tôt quand il était chef de l’OS. A son retour à Alger, Boudiaf alla avec Didouche et Zoubir Bouadjadj en récupérer une partie chez Zergaoui dans la Casbah. Les armes furent cachées dans une ferme à Crescia au sud d’Alger. Ben Boulaïd avait de son côté organisé des achats d’armes par des militants dans la région Est et en Tunisie toute proche où le combat libérateur avait commencé.
Le groupe avait déjà pris l’initiative de contacter Belkacem Krim et Amar Ouamrane dont les combattants armés tenaient le maquis en Kabylie depuis plusieurs années. Le militant Hocine de Bordj Menaïel établit la liaison. Ben Boulaïd rencontra les deux dirigeants en avril 1954 au fameux café El Arich de la Casbah. Ces derniers lui signifièrent leur accord tout en révélant l’influence de Messali sur leurs militants. Par contre, au début de l’année ils avaient sondé les centralistes, et déçus, ils avaient décidé de couper les ponts avec eux.
En juin 1954, eut lieu la première rencontre entre Krim, Ouamrane, Ben Boulaïd, Bitat, Didouche, Boudiaf et Ben M’hidi. Les participants décidèrent de ne plus compter ni sur les centralistes ni sur Messali. Ils passèrent à la préparation de la lutte armée en découpant le territoire en régions. Ils adoptèrent les principes de l’OS : ni soulèvement ni insurrection mais guerre populaire de longue durée basée sur la préparation et l’encadrement des populations, tactique de harcèlement de l’armée coloniale et de refus de l’affrontement direct, organisation pyramidale avec un strict cloisonnement, utilisation de pseudonymes, ouverture de la lutte à l’ensemble des forces patriotiques, proposition au gouvernement français d’une base de négociation avec reconnaissance du droit à l’indépendance. Ils s’entendirent sur une décentralisation totale avec la liberté laissée à chaque responsable de fixer ses objectifs.
La réunion du Clos Salembier
A la fin juin 1954, en l’absence de Krim et Ouamrane retenus en Kabylie, les radicaux regroupèrent des militants sûrs qui étaient résolus à passer rapidement à l’action directe. Ce fut la « réunion des 22 » qui eut lieu dans la villa de Lyès Derriche au Clos Salembier à Alger. Organisée par Mourad Didouche, elle fut présidée par Ben Boulaïd. Elle regroupa en plus des « Cinq » (Boudiaf, Ben Boulaïd, Didouche, Ben M’hidi, Bitat) dix-sept hommes de confiance que chacun avait recrutés depuis quelques semaines, représentant toutes les régions d’Algérie. Confirmant le principe de la direction collégiale, chaque participant prit la parole et s’exprima librement. Ils se montrèrent tous très décidés. Ils se mirent d’accord sur une ligne politique : la lutte jusqu’à l’indépendance, refusant à l’avance les éventuelles mesures partielles qui pourraient être proposées par la colonisation. Ils acceptèrent le partage en cinq zones et confirmèrent leur confiance aux cinq. Les principes de l’organisation de la lutte armée furent discutés et retenus. Il fallait tirer les leçons des révoltes passées qui avaient échoué. Ce sera une guerre populaire longue, à dimension nationale avec un objectif politique rassembleur, se basant sur l’encadrement et la préparation des populations. Il ne s’agira pas d’insurrections locales, ni de manifestations populaires.
De leur côté, Krim et Ouamrane avaient réuni leurs sept chefs de daïra qui dirigeaient environ 450 hommes sûrs, pour la plupart ayant déjà reçu une formation militaire dans l’armée française. Ils leur avaient annoncé le prochain déclenchement de l’action armée sans le MTLD. Ils eurent du mal avec des militants très attachés à la personne de Messali en qui ils avaient fondé leurs espoirs depuis de longues années.
Les radicaux se méfiaient des centralistes à qui ils ne révélèrent pas leurs démarches. Les historiens apprirent bien des années plus tard que la police française était au courant de la création du CRUA dès avril 1954 et qu’elle avait comme informateur Djillali Belhadj, ancien de l’état-major de l’OS et qui resta fidèle à Messali jusqu’à diriger sous le nom de Kobus un maquis équipé par l’armée française. Elle était même au courant des contacts avec la délégation du MTLD au Caire, attribuant même ensuite le déclenchement de la lutte armée à une instruction venue de la capitale égyptienne. Elle était persuadée que le CRUA était une création des centralistes du MTLD qui furent les victimes de sa répression dès le déclenchement de la lutte armée.
En juillet 1954, avec Khider et Ben Bella, Ben Boulaïd et Boudiaf rencontrent à Berne en Suisse deux représentants des centralistes Hocine Lahouel et M’hamed Yazid qui leur promirent la prochaine dissolution du comité central et la cession des fonds du parti (on parla d’une somme de cinq millions). Ils furent par la suite désavoués par la direction du parti et la promesse ne fut pas tenue. Lahouel proposa 500.000 francs à Ben Boulaïd qui les refusa.
La scission du MTLD est consommée
En juillet, Messali avait fait organiser par ses deux adjoints, Mezerna et Merbah, un congrès à Hornu en Belgique qui avait exclu du MTLD tous ses adversaires.
En août, Lahouel et les centralistes avaient tenu un congrès à Alger où ils déclarèrent nulles les décisions du précédent congrès et exclurent Messali, Mezerna et Merbah. Ils retirèrent leurs représentants qui siégeaient au CRUA.
La préparation de la lutte armée s’accéléra. En quatre mois, le déclenchement s’est fait dans une certaine précipitation. Bentobbal reconnut plus tard : «Il fallait déclencher d’abord et organiser ensuite. » Pour Boudiaf, « le temps pressait car il fallait profiter de la confusion créée par la crise et du rideau de fumée des surenchères et des disputes pour échapper à une répression toujours possible. » Les moyens étaient dérisoires, il n’y avait pas d’armes.
Les dirigeants de cette nouvelle troisième force étaient conscients de leur faiblesse : ils n’étaient pas connus des militants et de la population. Ben Boulaïd, Boudiaf et Krim contactèrent Lamine Debaghine qui avait été au MTLD le partisan de la ligne dure opposée à la voie électoraliste préconisée par Messali avant d’en avoir été exclu. Ils lui proposèrent de prendre la tête du mouvement. Celui-ci montra sa réticence et refusa.
En même temps, les ponts sont définitivement rompus avec les messalistes. Krim Belkacem perdit ses dernières illusions après sa rencontre avec Moulay Merbah représentant de Messali. Le leader était convaincu que lui seul représentait l’idée nationale et pouvait mener la révolution du peuple algérien. Il exigea la soumission totale des radicaux et les menaça.
Durant l’été 1954, on intensifia la recherche des armes qui manquaient terriblement. De Libye, on acheta de vieux fusils italiens Sttati. Ben M’hidi et Boussouf réussirent à acquérir des armes au Maroc, mais le convoi avait été intercepté par la police française. Ben Boulaïd, Bitat et Boussouf se firent instructeurs dans la fabrication et la manipulation des bombes artisanales. Celles-ci confectionnées à base de cheddite ou avec de la poudre noire et du chlorate de potassium furent préparées en grand nombre. Les militants de la région Centre se servirent des fermes de Crescia et de Soumaa comme lieux de fabrication et d’entraînement.
Déclencher d’abord et organiser ensuite
Quand ils firent le point à la fin août, les cinq chefs de zone avaient peu de moyens. Le nombre de combattants était de 450 en Kabylie, 350 dans les Aurès, 50 dans l’Algérois, 50 dans le Nord-Constantinois, 60 en Oranie. L’armement est partout en mauvais état. Les états-majors de chaque région avaient été constitués :
Zone 1(les Aurès) : Ben Boulaïd, Bachir Chihani, Adjel Adjoul, Abbès Laghrour
Zone 2 (Nord Constantinois) : Mourad Didouche qui avait permuté avec Rabah Bitat, Youcef Zighoud, Lakhdar Bentobbal, Mostefa Benaouda, Mokhtar Badji.
Zone 3 (Kabylie) : Belkacem Krim, Amer Ouamrane, Ali Zamoum, Mohamed Zamoum, Ali Mellah, Saïd Babouche, Moh Touil, Mohamed Yazourène, Ahmed Guemraoui.
Zone 4 (Algérois) : Rabah Bitat qui avait permuté avec Mourad Didouche, Zoubir Bouadjadj, Boudjema Souidani, Ahmed Bouchaïb.
Zone 5 (Oranie) : Larbi Ben M’hidi, Abdelmalek Ramdane, Abdelhafid Boussouf, Hadj Ben Alla.
Les six avaient défini leur stratégie qu’ils avaient abordée lors de la réunion de 22 et pour laquelle ils avaient obtenu l’accord des dirigeants de la Kabylie et des membres de la délégation extérieure. Le premier objectif était le déclenchement de la lutte armée avant le 1er janvier 1955. Dans un premier temps, il fallait convaincre la population et obtenir l’adhésion des militants nationalistes. La révolution devait s’étendre à tout le pays. Dans une deuxième phase, les combattants devaient entretenir ensuite le climat d’insécurité générale. Ils espéraient amener le gouvernement français à reconnaître l’idée d’indépendance. Ils s’attendaient, si celle-ci n’était pas accordée et s’ils n’avaient pas le choix, à une longue guerre de guérilla. Ils étaient tous d’accord sur la direction collégiale et la liberté totale d’initiative laissée à chaque région et à chaque secteur.
En août, les centralistes qui avait consacré la rupture définitive avec Messali et avaient retiré leurs représentants du CRUA, se retournèrent totalement et entreprirent de dissuader les militants encore hésitants de rejoindre la lutte armée. Lahouel avait fait un travail de sape auprès des militants de la ville de Constantine qui avaient un différend avec Boudiaf. Officiellement, il ne rejeta pas le recours à la lutte armée et affirma : « Nous aussi nous sommes pour l’action mais il faut encore attendre. » Quelques jours plus tard Lahouel est à Blida où il avait fait le même travail auprès des militants dont beaucoup se désistèrent au moment du déclenchement de la lutte armée.
« Aucun civil européen ne doit être touché »
Au début d’octobre 1954, le pouvoir colonial était bien informé de la préparation mais le cloisonnement et l’utilisation des pseudonymes ne lui avaient pas permis d’avoir des renseignements précis et certains étaient erronés. Le directeur de la police Jean Vaujour savait que d’anciens éléments de l’OS préparaient des actions à Alger. Costes, le chef des Renseignements généraux qui avait comme indicateur l’ancien cadre de l’OS Djillali Belhadj venait de lui apprendre qu’un groupe d’action d’Alger avait commencé à fabriquer des bombes.
En fait, dès le mois de septembre 1954, les différentes zones avaient arrêté leurs objectifs. Il fallait rapprocher la date du déclenchement car le doute risquait de s’installer. Les ordres étaient stricts : aucun civil européen ne devait être touché. « Peu importe l’efficacité réelle. L’important sera le côté spectaculaire. Il faut frapper l’opinion publique.»
Le 10 octobre 1954, les six tinrent une réunion décisive. Elle aurait eut lieu au quartier du Climat de France à Alger. Le CRUA était fini, le déclenchement était proche. Tous se mirent d’accord sur le nouveau nom : FLN. Ils affirmèrent la priorité du combat politique. Pour eux, la Révolution avait deux supports : un support politique et un support militaire étroitement liés. Ils mirent au point le contenu de la déclaration annonçant la création du FLN et le déclenchement de la Révolution. Ils établirent la plate-forme de discussion avec le gouvernement français. Boudiaf et Didouche furent chargés de rédiger le texte final. Ils devront aussi écrire un appel plus court, touchant plus facilement le peuple.
Ils fixèrent la date du 1er novembre. Par précaution, celle-ci devait rester secrète. On fixa une répétition générale pour le 25 octobre pour vérifier l’efficacité de leurs mesures de protection. Seuls les chefs sauront qu’il ne s’agit que d’une répétition.
Le 20 octobre, Didouche demanda à Bouadjadj d’approcher le journaliste Mohamed Laïchaoui, un militant qu’il avait jugé capable de revoir les textes des déclarations et d’en tirer 400 à 500 exemplaires. Kaci Abdallah Mokhtar prit contact avec l’intéressé et organisa un rendez-vous avec Ouamrane qui devait l’emmener à Ighil Imoula en Kabylie où avait été entreposée une ronéo. Ali Zamoum reçut le journaliste qui corrigea et tapa la proclamation sur Stencil dans la maison du militant Omar Ben Ramdani. La ronéo installée au-dessus de la boutique d’Idir Rabah fonctionna toute la nuit.
Le 23 octobre 1954, Carsenac qui avait remplacé Costes à la tête des RG d’Alger, quand celui-ci fut nommé contrôleur général de la police, rédigea un rapport sur « la constitution en Algérie d’un groupe autonome d’action directe par les séparatistes extrémistes dirigé à partir du Caire ». A la lecture de ce document, on se rend compte que les mesures de sécurité avaient montré leur efficacité. Perdus dans les pseudonymes, les indicateurs ne purent donner tous les noms. Seuls ceux de Krim et Ouamrane, condamnés et recherchés, sont cités ainsi que celui de Ben Bella, ce qui allait accréditer la thèse d’une conspiration guidée à partir du Caire.
Le dimanche 24 octobre, les six se réunirent une dernière fois à la Pointe Pescade dans la banlieue ouest d’Alger. Il semble que ce fut au domicile du militant Mourad Boukechoura dont le local à Alger avait servi plusieurs fois de lieu de rendez-vous. Les participants approuvèrent le texte de la proclamation et du tract de l’ALN. Boudiaf devait se rendre le lendemain au Caire, en passant par Genève. Il emportait les deux textes écrits au citron entre les lignes d’une lettre anodine ainsi que la liste des objectifs qui devaient être attaqués dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre. Ils avaient prévu, en accord avec la Délégation extérieure, d’en faire l’annonce à la radio du Caire le jour du déclenchement de la Révolution. Ils rappelèrent l’interdiction absolue d’attaquer des civils européens et on insista encore une fois sur le respect des principes de la guérilla. Avant de se séparer, les six s’arrêtèrent chez un photographe de l’avenue de la Marne à Bab el Oued et firent une photo souvenir.