La Zone autonome d’Alger : L’invention de la guérilla
Pourquoi la Zone autonome d’Alger n’est-elle jamais incluse parmi les wilayas historiques, alors qu’elle avait, dans les faits, non seulement le même statut, mais surtout joué un rôle parfois plus important, du double point de vue politique et stratégique ? Il faudrait revenir aux échanges ayant présidé à sa création, lors du congrès de la Soummam, tenu le 20 août 1956, pour savoir le pourquoi de ce concept. En tous cas, l’idée de créer une zone tampon séparant la wilaya IV, qui est le prolongement géographique du grand Alger, des autres wilayas, s’avérera aussi ingénieuse que salutaire pour l’issue de l’insurrection. Les événements qui s’y sont déroulés de 1957 jusqu’en 1962 l’ont largement prouvé.
L’idée, lancée et mise en œuvre par les deux architectes des assises, Abane Ramdane et Labri Ben M’hidi, était de porter la révolution dans les centres urbains et de gagner, ainsi, l’adhésion de la petite bourgeoisie citadine et de la classe ouvrière au mot d’ordre de la lutte pour la libération du pays, qui était jusque-là l’apanage de la paysannerie.
Aussi, les dirigeants de la Révolution estimaient-ils pouvoir bénéficier des avantages que procurait une grande ville comme Alger pour avoir une plus grande emprise sur les militants du FLN, de meilleures liaisons. Ils étaient surtout persuadés que la capitale était propice à la clandestinité totale, avec ses «planques», ses «caches» multiples, ses nombreux agents de liaison confondus dans la masse et les protections de toute sorte dont ils pourraient bénéficier.
La Zone autonome d’Alger sera structurée, peu avant la grève de huit jours de janvier 1957 durant la bataille d’Alger. Les membres du CCE, Abane Ramdane, Larbi Ben M’hidi, Krim Belkacem, Saad Dahlab et Benyoucef Benkhedda, se sont réunis secrètement dans la maison de Yacef Saadi en haute Casbah, pour tracer un plan d’action et une répartition des tâches. Le commandement politico-militaire était au début assumé par Ben M’hidi, secondé par Benkhedda, mais, au moment de quitter Alger le 25 février 1957, juste après l’arrestation de Ben M’hidi, le CCE avait délégué ses pouvoirs sur la Zone autonome d’Alger à Abdelmalek Temmam, membre suppléant du CNRA, aujourd’hui très peu médiatisé. Celui-ci sera très rapidement arrêté et sera remplacé par Yacef Saâdi, un homme aguerri et jouissant de la confiance totale des dirigeants. Il héritera d’une organisation durement éprouvée par les attaques répétées de la 10edivision parachutiste du général Massu.
Yacef Saadi réussira, néanmoins, à réorganiser les cellules du FLN et à intensifier les actions armées, grâce à un bon encadrement des fidayine (et fidayate), qui ébranlèrent les états-majors de l’armée coloniale. Il sera malheureusement trahi par les « bleus » enrôlés par le capitaine de sinistre réputation Paul-Alain Léger, à travers le fameux agent double nommé Hacène Ghendriche dit Zerrouk qui a collaboré à la capture du chef de la ZAA, le 24 septembre 1957. Cette histoire est aujourd’hui sujet d’une vive polémique qui a sort une nouvelle fois le héros de la bataille d’Alger de son silence pour répondre à ceux qui l’accusent d’avoir « balancé » ses compagnons suite à son arrestation.
Après Yacef Saadi, Ali Ammar dit Ali La Pointe, unique rescapée de la rafle, prendra les rênes de l’organisation, mais il sera très vite localisé, dans une rue de la Casbah, où il sera tué, avec ses compagnons : Hassiba Ben Bouali, Hmid Bouhamidi et Petit Omar, dans une cache plastiquée par les paras du 1erREP, le 8 octobre 1957.
La bataille d’Alger s’achève et, avec elle, la première étape de la ZAA. Pendant la crise de l’été 1962, cette zone se trouvera au centre des grands tiraillements qui déchiraient les organes de commandement de la Révolution.
Avec la venue du commandant Azeddine, un des trois adjoints du chef de l’état-major général de l’ALN, Yacef, détâché à Alger dans le cadre de la lutte contre l’OAS, les hommes de la ZAA, menée par Yacef Saadi, fraichement libéré, ont grandement facilité la tâche aux unités combattantes de l’armée des frontières pour écraser les ultimes poches de résistance et de conquérir Alger en un temps record.
Ils se sont notamment confrontés, au niveau de la Casbah, à une coriace tentative de rébellion menée par les combattants de la wilaya IV qui avaient investi la capitale et y ont régné jusqu’au dernier jour, mais vite contenue par les hommes de Yacef Saadi, ancien maître des lieux et dont le rôle a été capital.
Dans son offensive, l’Etat-major général sous la conduite du colonel Boumediene, s’est appuyé sur ces deux anciens dirigeants de la wilaya IV : le commandant Azzedine, ancien chef du mythique bataillon Ali-Khodja et Yacef Saâdi, ancien chef de la Zone autonome d’Alger. Sur décision du conseil de la Wilaya IV, le commandant Azzedine, nommé alors chef de la Zone autonome d’Alger, est placé en résidence surveillée alors que son adjoint, le commandant Omar Oussedik, est arrêté.
D’ultimes combats ont eu lieu à la Casbah d’Alger, le 29 août 1962, et ont laissé plusieurs morts (une trentaine selon des statistiques non-officielles) et des blessés, dont de nombreux civils.
L’issue de l’affrontement a permis aux partisans du Bureau politique, conduits par l’ancien chef de la ZAA, Yacef Saadi, de s’emparer de certains points stratégiques comme la radio, du port de toutes les administrations stratégiques.
Une situation chaotique règne pendant plusieurs jours à Alger, au point que la France a, de nouveau, menacé d’intervenir pour «protéger ses ressortissants». L’intervention de l’UGTA appelant à une grève générale est venue alourdir le climat déjà délétère. Mais ce fut l’occasion pour le peuple algérien, meurtri par les drames de la guerre et de la colonisation, de descendre dans la rue et de scander son célèbre slogan resté dans les annales : «Sebaâ s’nin barakat ! » (Sept ans ça suffit !).
IN MÉMORIA