L’ambassadeur Elizabeth Moore Aubin à La Patrie News : «L’Algérie a fait beaucoup pour unir les factions palestiniennes»
En poste à Alger depuis février 2022, l’ambassadeur Elizabeth Moore Aubina représenté les Etats-Unis dans un contexte international très tendu. Dans cet entretien accordé à La Patrie News, la diplomate américaine estime avoir participé activement à relever les relations algéro-américaines« à un tout autre niveau ». C’est sous les lambris du salon bleu de la villa Monfeld qu’elle a choisi d’aborder des questions d’actualité, notamment sur le conflit au Sahara occidental, la situation à Ghaza et les tensions provoquées au Maghreb par le couple Israël-Maroc.
Entretien réalisé par Tarek Hafid
La Patrie News : Madame l’ambassadeur, votre mission en qualité d’ambassadeur des Etats-Unis à Alger prendra fin prochainement. Estimez-vous travailler dans le sens de maintenir de bonnes relations entre les deux pays ?
Ambassadeur Elizabeth Moore Aubin : Je ne dirai pas prochainement, mais il y aura une fin. En fait, je n’ai pas seulement participé à maintenir de bonnes relations. Avec mon équipe et mes interlocuteurs algériens, nous avons été en mesure d’amener les relations à un tout autre niveau. Notre relation bilatérale s’est approfondie et s’est élargie grâce à l’engagement durable des dirigeants et grâce aux partenariats économiques que nous avons été en mesure de créer et de renforcer. Également en raison de notre engagement pour soutenir la préférence des Algériens à apprendre l’anglais et notre habilité à mettre en place un certain nombre de programmes pour y parvenir. Tout cela en plus de nos discussions continues sur des évènements régionaux et globaux et notre habilité à travailler ensemble pour chercher des solutions aux défis auxquels fait face le monde aujourd’hui.
Nous avons été en mesure de construire des relations plus profondes et durables. Nous avons eu des relations durables avec le leadership des deux pays, c’est-à-dire avec les Américains qui sont venus ici et les Algériens qui sont allés aux Etats-Unis.
Aussi, nous avons eu plusieurs échanges entre nos dirigeants, notamment entre les président Biden et Tebboune lors du Sommet du G7 de Bari. C’est la première fois depuis 2006 que nos dirigeants se rencontrent. La dernière rencontre étant celle entre Abdelaziz Bouteflika et Georges Bush.
Il faut reconnaitre que cette période a été marquée par des tensions entre les deux pays suite à la reconnaissance par le président Donald Trump de la «marocanité» du Sahara occidental. Cet acte a été quelque peu dilué par l’administration Biden…
Je suis arrivée en Algérie en février 2022 et c’est en 2020 que le président Trump a fait cette proclamation. Le président Biden n’a pas changé la proclamation car c’est un fait historique. L’administration Biden est partie dans une direction différente parce que nous soutenons le leadership des Nations Unies, du secrétaire général de l’ONU et de son envoyé personnel pour le Sahara occidental pour trouver une solution durable pour le peuple sahraoui.
Nous sommes engagés afin que le Secrétaire General de l’ONU et l’équipe dirigée par Staffan de Mistura puissent trouver une solution durable qui réponde aux attentes du peuple sahraoui et c’est sur cela que nous avons travaillé durant trois années et demie.
Il y a effectivement un soutien des Etats-Unis en faveur du secrétaire des Nation Unies, de son envoyé personnel ainsi que tout le cadre pour une résolution de ce conflit. Cependant, les Etats-Unis s’opposent à l’organisation d’un referendum d’autodétermination. Selon vous qu’elle serait la solution à ce conflit ?
Une solution que nous voulons est une solution qui réponde aux besoins du peuple sahraoui. Nous devons trouver une solution, le monde doit trouver une solution pour aboutir à une conclusion pour sortir de cette sorte d’état de stagnation dans lequel nous nous trouvons. Nous croyons que le meilleur groupe pour le faire ce sont les Nations Unies, sous le leadership de l’envoyé personnel.
Depuis 2008, la position des Etats-Unis est la même puisque nous considérons que le plan d’autonomie marocain est une solution viable. Nous n’avons pas du tout changé notre perspective sur cela en presque deux décennies, c’est ce que nous avons dit. Cependant, en fin de compte, ceci doit être une solution sous l’égide des Nations Unies.
Pour que le Maroc accorde cette autonomie, il faudrait que le Sahara occidental lui appartienne…
C’est pour cela qu’il y a un envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU qui travaille sur ça. Il est clair que c’est un problème difficile à résoudre. Il dure depuis 49 ans et il n’a pas encore été résolu. Nous reconnaissons que c’est un problème difficile. Comme vous le savez, nous avons travaillé pendant longtemps sous les hospices de l’ONU, avec plusieurs envoyés spéciaux du secrétaire général de l’ONU. Nous allons continuer à soutenir ce cadre-là pour trouver une solution à ce problème difficile.
Votre mandat s’achève également avec les massacres subis par la population palestinienne de Ghaza. Ce contexte a-t-il provoqué de la part des autorités algériennes, une incompréhension de la position des Etats-Unis qui soutiennent politiquement et militairement Israël ?
Il y a eu plusieurs consultations entre les Etats-Unis et l’Algérie sur ce dossier. Le secrétaire d’Etat Antony Blinken et le ministre des Affaires étrangères Ahmed Attaf se sont entretenus à cinq reprises sur cette question au cours de cette année. Nous continuons à discuter avec nos amis algériens de ce problème très difficile. Mais il ne faut pas faire l’erreur d’oublier que la raison pour laquelle nous sommes dans cette situation ce sont les actions du Hamas en date du 7 octobre. Il ne faut pas oublier comment tout cela a commencé.
Avec nos interlocuteurs algériens, nous nous entendons sur trois choses importantes : Premièrement il faut arriver rapidement à un cessez-le-feu immédiat, deuxièmement, nous devrions apporter toute l’aide possible au peuple palestinien, et troisièmement, il faut qu’il y ait une solution à deux Etats. Nos deux pays estiment nécessaire de travailler ensemble. Nos objectifs ne sont pas très éloignés les uns des autres.
Nous travaillons d’ailleurs sur cela au sein du Conseil de Sécurité des Nations Unies, et bien sûr nous sommes d’accord sur la résolution appelant à un cessez-le-feu. Toute la communauté internationale est d’accord pour un cessez-le-feu, à l’exception d’un seul acteur important, le Hamas. Il est important de le souligner. Les Etats-Unis veulent un cessez-le-feu immédiat qui procure une voie de paix qui réponde aux besoins d’Israël en terme de sécurité et qui procure la dignité et une voie d’avenir pour les habitants de Ghaza. Tout ceci pour parvenir à une solution à deux Etats.
C’est la vision américaine du conflit qui considère que tout a débuté le 7 octobre et non pas à partir des années 1940…
Non, le conflit a commencé depuis des décennies mais les combats à Ghaza ont débuté le 7 octobre.
Il y a eu par le passé plusieurs bombardements de Ghaza. Cela est également valable concernant la partie qui s’oppose à un accord de cessez-le-feu Les Palestiniens disent que c’est la partie israélienne, avec à sa tête le Premier ministre, qui le refuse. La situation est très complexe comme vous l’avez précisé. Finalement, est-ce que la solution passe par Washington, c’est-à-dire par une implication du président Biden -ou peut-être à l’avenir par le président Trump – qui feront pression sur le gouvernement israélien ?
Les employés du gouvernement américain travaillent depuis très longtemps sur la résolution de ce problème. C’était le cas avant et après le 7 octobre. Ils travaillent depuis des décennies pour une solution à deux Etats. Nous avons discuté et travaillé très étroitement notamment avec l’Egypte et le Qatar pour parvenir à un cessez-le-feu accepté de tous sauf par le Hamas. Nous ne sommes pas isolés et nous ne travaillons pas seuls. Nous sommes avec nos partenaires, nos alliés et nos amis pour trouver une solution. Nous parlons avec tout le monde, ainsi qu’avec l’Algérie. L’Algérie a fait beaucoup pour unir les factions Palestiniennes. Le président Tebboune a beaucoup travaillé sur ce sujet.
La normalisation des relations entre le Maroc et Israël a-t-elle provoqué une montée de la tension dans la région?
Je ne vois pas que la relation entre le Maroc et Israël comme ayant causé des tensions en Afrique du Nord. Je ne vois pas cela comme une conséquence immédiate. Je pense qu’il y a énormément de questions qui provoquent des tensions sur le continent et je ne pense pas qu’Israël ait besoin d’en être une.
Les Algériens n’apprécient pas du tout l’entrée d’Israël dans la région par la voie du Maroc. Cela peut-il provoqué des tensions ?
L’Algérie est un pays souverain et a le droit de prendre ses propres décisions concernant son voisinage, mais je ne vois pas Israël comme une menace pour l’Algérie.
Un ministre israélien avait pourtant menacé l’Algérie à partir du Maroc en mettant en avant sa proximité avec l’Iran…
Est-ce que c’était juste un commentaire ou une menace ? Je ne vois pas cela comme une menace contre l’Algérie, contre son existence, son intégrité territoriale ou sa souveraineté.
Les Etats-Unis ont accordé des autorisations au Maroc pour l’acquisition d’équipements militaires, notamment des missiles Javelin et des systèmes lance-roquettes multiples HIMARS. En cas de conflit armé, Washington accepterait que ces armes soient utilisées contre l’Algérie?
Les Etats-Unis sont amis avec l’Algérie et le Maroc. Nous espérons qu’un jour l’Algérie et le Maroc soient amis. Il n’y a aucune intention de la part des Etats-Unis de causer un conflit entre les deux pays.
Certains milieux diplomatiques font état d’une initiative américaine de règlement de la crise entre Alger et Rabat. Quand a-t-elle eu lieu et pourquoi n’a-t-elle pas aboutie ?
Les officiels américains parlent avec les officiels des deux pays. Il est difficile d’avoir des relations tendues avec son voisin. Ce que nous voulons c’est que les Algériens et les Marocains puissent s’asseoir et avoir une conversation sur les choses qui font d’eux des voisins et des amis et peut être des familles, puisqu’il y a des familles des deux côtés, et ainsi être en mesure de trouver une solution.
La fonction d’ambassadeur des Etats-Unis à Alger risque-t-elle d’être plus complexe pour votre successeur si Donald Trump est élu ?
Je ne sais pas quand je vais quitter Alger car le processus tel qu’il est défini par la constitution des Etats-Unis exige la confirmation du Sénat. Je peux vous dire que les relations entre les Etats-Unis et l’Algérie sont importantes et je resterai ici jusqu’à ce qu’il y ait une succession en bonne et due forme. C’est vous dire à quel point nous donnons de l’importance aux relations entre les Etats-Unis et l’Algérie. Peu importe qui est le président des Etats-Unis, les ambassadeurs sont importants, le travail des ambassades est important, le travail des diplomates est important pour renforcer les relations bilatérales. J’ai la meilleure équipe de la planète au sein de l’ambassade à Alger, elle travaille au renforcement et à l’élargissement les relations entre les Etats-Unis et l’Algérie.
La Sonatrach a récemment signé des mémorandums d’entente avec ExxonMobil et Chevron. Bien qu’ils soient importants, ces accords ont été très peu commentés dans la presse surtout qu’ExxonMobil devait s’installer en 2019. Ses dirigeants avaient décidé de geler leur décision dès le début du Hirak. Concrètement, l’arrivée de ces super majors offrira quels avantages à l’Algérie ?
Que ce soit ExxonMobil, Chevron ou toute autre compagnie américaine, ma conviction est qu’elles offrent les meilleures solutions à l’échelle internationale pour toutes économies. Nous faisons du transfert de technologies, nous recrutons du personnel local, il faut savoir que les managers et les employés des compagnies américaines sont des Algériens. Nous créons également de vrais partenariats dans lesquels les deux parties tirent profit. Je travaille tous les jours pour créer de véritables partenariats entre nos deux pays. La venue d’ExxonMobil, Chevron qui viennent s’ajouter à d’autres compagnies comme Occidental Petroleum est très positive car elles apportent de nouvelles opportunités pour nos deux économies. Il y a plus de cent compagnies américaines qui activent en Algérie et selon le FMI, les Etats-Unis sont le premier investisseur direct dans le pays. Je veux travailler pour faire davantage.
Votre vœu de quitter Alger dans un vol régulier direct vers les Etats-Unis ne devrait pas se réaliser. Où en sont les négociations pour la signature de l’accord open-sky?
Pour entreprendre des vols directs entre un pays et les Etats-Unis, la loi américaine impose la signature d’un accord Open-sky. Normalement, les négociations durent entre trois et cinq ans, cela nécessite du temps. Cependant, depuis que je suis ici, j’ai tout fait pour pousser les négociations afin d’obtenir une signature de l’accord le plus rapidement possible. Nous sommes sur la bonne voie et donc proches de ce que les deux parties souhaitent. La seconde phase des négociations devrait avoir lieu durant l’automne prochain. Il est vrai que je ne suis pas sûre de repartir aux Etats-Unis dans un vol direct mais j’attends avec impatience de lire dans la presse que c’est une chose qui s’est concrétisée.
La partie américaine comprend la position de la partie algérienne qui considère cet accord comme une forme de perte de souveraineté ?
Il n’a aucun Algérien qui a fait part de cela. Je ne peux pas parler au nom du gouvernement algérien. Je dirai que la partie américaine prend en compte les demandes de la partie algérienne. Nous sommes en train de trouver la voie la plus juste pour y parvenir.
C’est donc un accord Open-sky négocié ?
Tous les accords sont négociés. Nous avons une formule standard ensuite il y a des négociations pour une solution acceptée par les deux parties.
Quels sont les avantages d’avoir des vols directs entre l’Algérie et les Etats-Unis ?
Il y a des avantages économiques et également en termes de relations entre les peuples. Ne pas passer par Paris et éviter d’attendre cinq à six heures à l’aéroport Charles-de-Gaulle pour arriver à New-York est un avantage incroyable ! Cela permettra une réelle croissance du tourisme et des échanges économiques. Un vol direct d’une durée de huit heures peut changer beaucoup sur le plan économique.
Durant votre mandat, est-ce qu’il y a eu une augmentation de la délivrance des visas pour les Etats-Unis ?
Les demandes de visas ont augmenté de manière significative. Il y a de plus en plus d’Algériens qui souhaitent visiter les Etats-Unis ou qui veulent s’y rendre pour faire du business. Pour cela nous avons augmenté le nombre d’employés de la section consulaire et nous faisons en sorte que chaque demandeur puisse avoir l’opportunité d’avoir une interview avec un officier consulaire pour qu’il puisse déterminer sa qualification à obtenir un visa.
Avez-vous une idée sur le nombre de visas accordés aux ressortissants américains par les autorités algériennes ?
Je vous propose de poser cette question aux autorités algériennes.
Que retiendrez-vous de votre passage à Alger ?
Je vais garder en moi la gentillesse, l’hospitalité, la générosité et l’ouverture de cœur des Algériens que j’ai rencontré en visitant 43 wilayas du pays. Il y a réellement quelque chose de magique en Algérie. C’est le sentiment que je vais garder en moi pour toujours.
Quel conseil donneriez-vous à votre successeur ?
C’est justement ce que je viens de vous dire. C’est qu’il sorte, qu’il aille à la rencontre des Algériens, qu’il découvre ce vaste pays et qu’il comprenne qui sont réellement les Algériens. Vous savez, nos peuples ne se connaissent pas. Plus nous créerons des opportunités pour parler, pour partager, avoir des discussions autour d’une chekhchoukha, d’une rechta ou d’un zviti et partager des expériences, cela créera des liens entre nos deux peuples et promouvoir cette compréhension. Cela nous conduira à travailler ensemble pour notre bien commun.
T.H.