Témoignage exclusif
Le 25 août 1958, le FLN ouvre un deuxième front sur le propre territoire de l’ennemi.
Par le Moudjahid Aissa Kasmi
L’année 1958 constitue incontestablement une étape charnière dans la marche irrésistible de la révolution algérienne vers la réalisation de son objectif ultime tel que défini par la déclaration du premier novembre 1954, confirmé et clarifié davantage par la plateforme adoptée par le congrès de la Soummam du 20 août 1956.
En effet, c’est durant l’été de cette année que le FLN avait décidé de passer à l’action en déclenchant un deuxième front sur le territoire même de l’ennemi en application d’une décision qui avait été prise par Abane Ramdane au mois de mai 1957, alors qu’il se trouvait à l’époque au Maroc.
Dans son ouvrage intitulé « Du PPA au FLN, témoignage d’un combattant », Omar Boudaoud rappelle les directives de Abane à ce sujet en écrivant : « En passant par Tétouan, Abane me rencontra. Dès le début de l’entrevue, il aborda la situation du FLN en France et m’apprit avoir transmis des directives pour engager des actions armée adaptées aux possibilités locales. Elles étaient demeurées sans effet.
Il semblait croire que certains cadres de la Fédération étaient influencés par une frange de la gauche française qui répugnait à l’action armée…Ayant regagné Meknès, je reçus deux jours plus tard un message me demandant de revenir d’urgence à Tétouan. J’y retrouvai Ben Khedda et Abane qui m’ont notifié la décision du CCE me désignant comme responsable de la Fédération de France ». Abordant le passage à l’action, il ajoute : « Au milieu de l’année 1958, nous étions prêts pour l’action dans le cadre des directives reçues lors de ma désignation à la tête du Comité Fédéral. L’organisation était solide, les armes disponibles, les hommes entraînes et la foi à son plus haut niveau ». Il est évident que le choix du mois d’août pour allumer les flammes de la guerre en France avait toute sa symbolique. Il avait imprimé à la révolution une cadence accélérée à travers l’insurrection populaire du Nord Constantinois déclenchée sous l’impulsion du Chahid Zighoud Youcef, suivie une année après par la tenue du congrès de la Soummam le 20 août 1956, à Ifri Ouzellaguene.
Les opérations paramilitaires programmées avaient plusieurs objectifs. En premier lieu, il fallait démontrer que le FLN avait atteint une vitesse de croisière lui permettant de frapper les forces ennemies là où il veut et quand il veut. Ensuite, le FLN voulait contraindre les autorités françaises à maintenir le maximum de troupes et de policiers en métropole pour faire face à la nouvelle situation d’insécurité que provoqueront inéluctablement les actions envisagée. Enfin, le troisième objectif et non des moindres, visait à faire prendre conscience au peuple français et du coup à l’opinion internationale qu’en Algérie, se déroulait une véritable guerre d’indépendance et non pas des « événements » ou de simples « troubles à l’ordre public » comme voulait le faire croire, tambour battant, la propagande colonialiste.
C’est ainsi que la date desdites opérations avait été fixée au 25 août 1958, en mettant en œuvre un dispositif impressionnant impliquant près de 500 volontaires les plus aguerris et rompus à l’action armée au sein de l’Organisation Spéciale, dont la mission consistait à mener des opérations spectaculaires contre des cibles névralgiques, tout en prenant le soin d’épargner à tout prix les populations civiles. En l’espace d’un mois, il y eut au total 242 attaques contre 181 objectifs dont les plus importants et les plus médiatisés sont les raffineries et les dépôts d’essence de Mourepiane (Marseille) et de Lavera dans le Midi. L’un des Fidayine choisis pour cette mission est encore en vie.
Il s’agit de Kachebi Hocine dit Si El-Hocine Oukachebi, né le 28 juin 1935 à Bouhathem (Toudja), dans la wilaya de Bejaia. Il émigre au mois d’octobre 1955 en France où il s’est fixé à Rouen, dans la région de Normandie où l’on certainement précédé d’autres compatriotes de sa région. Ayant adhéré au FLN au début de l’année 1956 et en un laps de temps très court, il devient membre de l’Organisation Spéciale composée de groupes de choc prêts à affronter toutes les épreuves, à accepter tous les sacrifices. Si El-Hocine avait en fait toutes les qualités requises pour ne reculer devant aucun obstacle. C’était un pur nationaliste, jeune, de forte corpulence, courageux et résolument déterminé à contribuer à la libération de son pays quel qu’en soit le prix, même le sacrifice suprême. Au sein de l’Organisation Spéciale, Il n’avait pas tardé à prouver son engagement indéfectible et sa volonté de participer à toutes les actions de commandos les plus audacieuses. Le groupe dont il faisait partie était composé de 6 Fidayine qui avaient pour mission de faire exploser un dépôt de carburants de la Société Lille Bonnières Colombes, située au quai des colonies à Rouen.
Après de minutieux préparatifs, le groupe au complet devait passer à l’action dans la nuit du 28 août 1958. Mais voilà que le jour J, Si El-Hocine, le téméraire, le combattant de la liberté, surprend ses camarades en leur demandant de se retirer et de le laisser seul face à la mort qu’il savait inéluctable. Voyant leur étonnement devant sa résolution, il eut la clairvoyance de leur expliquer qu’il ne servait à rien de sacrifier six hommes, alors qu’un seul suffirait pour aboutir au résultat escompté. Parmi ses cinq frères de combat, quatre ont été convaincus par son raisonnement implacable et se sont retirés, tandis que le cinquième, le nommé Naïmi Abdelkader, originaire de Mostaganem, ne voulant rien savoir, s’est joint à lui pour aller ensemble au feu, au sacrifice. C’est donc dans la nuit du 28 août 1958, à 1h15, que le Fidaï intrépide, défiant la mort, a pu escalader les trois réservoirs de carburants ciblés pour pouvoir placer les trois bombes dont il était porteur, accompagné de son camarade Naïmi, aussi audacieux que lui. Malheureusement, au moment où il a actionné la troisième bombe, elle lui explosa pratiquement entre les mains, le blessant grièvement sur différentes parties du corps.
S’adressant à son compagnon qui voulait le sauver à tout prix, il le suppléa de partir, de sauver sa peau et de le laisser seul affronter la mort. Mais, en voulant le secourir vaille que vaille, ils avaient perdu beaucoup de temps au point où ils ont été surpris par les renforts arrivés en toute vitesse. Son camarade Naïmi, gravement blessé au cours de l’accrochage qui s’en est suivi, n’a pu survivre à ses blessures. Il est tombé au champ d’honneur dès son transfert à l’hôpital, avant son interrogatoire. Alors que Si El-Hocine, incapable de se mouvoir, a été arrêté, soigné et soumis aux interrogatoires les plus humiliants et inhumains. Détenu d’abord à la prison de Rouen pour les besoins de l’enquête, il a été ensuite transféré à la prison de Fresnes à Paris jusqu’au mois de novembre 1959, puis à la prison de Loos (Lille). Jugé par le tribunal permanent des forces armées de Lille, sous le chef d’inculpation de « Destruction ou détérioration volontaire de construction ou installation susceptible d’être employée par la défense nationale », il a été condamné aux travaux forcés à perpétuité.
Sa défense avait été assurée par Maitres Benabdellah et Verges, deux grands avocats constitués par le FLN. Au lieu d’être libéré juste après le cessez-le-feu, le 19 mars 1962, il a été maintenu eu prison jusqu’au 10 mai 1962, pour être transféré d’abord à la fameuse prison de Lambèse (Batna) et ce n’est que le 13 mai 1962, qu’il a pu retrouver sa liberté et rejoindre sa famille à Bouhathem. Un mois environ après, soit, vers la mi-juin 1962, il se marie avec une cousine, une authentique Moudjahida elle aussi, la dénommée Kachebi Fatima, née le 11 juin 1936 à Bouhathem (Toudja), Cette dernière avait fait partie des réseaux actifs de soutien multiforme à l’ALN. Ayant été identifiée, elle a fini par être arrêtée au mois de septembre 1960, en compagnie de nombreuses autres militantes de la région de Toudja. Elle a été détenue d’abord à la maison d’arrêt de Bougie, du 16 septembre au 19 octobre 1960, période durant laquelle elle avait subi les plus pires supplices, avant d’être transférée à la prison de Sétif. Elle a été jugée et condamnée par le tribunal permanent des forces armées de Sétif, le 17 novembre 1960, à deux ans de prison ferme pour « atteinte à la sûreté extérieure de l’État ». Après sa condamnation, elle a été incarcérée à la prison de Constantine où elle est restée jusqu’à sa libération après le cessez-le-feu le 19 mars 1962. Après l’indépendance, Si El-Hocine s’est fixé en famille à Ain-Benian où il a travaillé comme surveillant agricole pendant quelques années avant de prendre sa retraite. Encore vivants tous les deux, nos deux valeureux Moudjahidine terminent tranquillement leurs jours à Ain-Benian au milieu de leurs enfants et petits-enfants qui les entourent de toute l’affection et la considération qui leur sont dues.