Les conclusions du comité d’experts chargé de l’élaboration de propositions sur la révision de la Constitution constitueront une première étape dans la démarche du président de la République Abdelmadjid Tebboune en vue de l’amendement constitutionnel et serviront de base à un très large processus de consultations qu’il compte lancer en associant les acteurs de la scène politique et de la société civile.
Farid HOUALI
Le président de la République Abdelmadjid Tebboune a décidé de la création de ce comité en concrétisation des engagements qu’il a placés à la tête des priorités de son mandat à la présidence de la République, celui de l’amendement de la Constitution qui constitue la pierre angulaire pour l’édification d’une Nouvelle République. Á travers cette décision, le président de la République Abdelmadjid Tebboune répond à l’une des principales revendications du mouvement populaire. L’installation du Comité, un mois après la prise de ses fonctions de président de la République, traduit la détermination de Abdelmadjid Tebboune à concrétiser ses engagements électoraux et à aller rapidement vers des réformes politiques et institutionnelles auxquelles aspirent les citoyens. Au lendemain de son élection à la magistrature suprême, Abdelmadjid Tebboune a en effet annoncé une «profonde réforme» de la Constitution en associant notamment des universitaires, des intellectuels, des spécialistes et des membres de la communauté nationale établie à l’étranger pour «une reformulation du cadre juridique des élections, un renforcement de la bonne gouvernance à travers la séparation du monde des affaires de la politique, et une mise en place de mécanismes garantissant la probité des fonctionnaires publics».
Pour ce faire, le comité d’experts chargé de l’élaboration de propositions sur la révision de la Constitution, présidé par le professeur Ahmed Laraba, professeur de droit international public, membre de la Commission du droit international de l’ONU, et constitué de 18 universitaires issus de plusieurs universités et de la communauté algérienne établie à l’étranger, a été installé le 14 janvier dernier, lors d’une cérémonie qui s’est déroulée au niveau de la Présidence, et présidée par Noureddine Ayadi, directeur de cabinet de la présidence de la République. Une manière concrète de mobiliser les compétences nationales à travers les quatre coins de l’Algérie et de la diaspora nationale à l’étranger afin de les associer aux grands chantiers à lancer pour la réédification de l’Etat et des institutions nationales, indiquait Noureddine Ayadi, qui précisait que « le Comité pourra élargir son champ de réflexion, en toute liberté et responsabilité, à d’autres aspects de la Constitution, et partant proposer tout amendement qu’il jugera approprié à l’intérêt général ».
Le comité aura, ainsi, à « analyser et à évaluer, sous tous ses aspects, l’organisation et le fonctionnement des institutions de l’Etat » et à « présenter au président de la République des propositions et recommandations ayant pour objet de conforter l’ordre démocratique fondé sur le pluralisme politique et l’alternance au pouvoir». Les propositions et recommandations du comité devraient également permettre de « prémunir notre pays contre toute forme d’autocratie et d’assurer une réelle séparation et un meilleur équilibre des pouvoirs en introduisant davantage de cohérence dans le fonctionnement du pouvoir exécutif et en réhabilitant le Parlement notamment dans sa fonction de contrôle de l’action du gouvernement». Ce comité aura également à «proposer toute mesure de nature à améliorer les garanties de l’indépendance des magistrats, à renforcer les droits des citoyens et à en garantir l’exercice, à conforter la moralisation de la vie publique et à réhabiliter les institutions de contrôle et de consultation». Les conclusions des travaux du comité, traduits dans un rapport et un projet de la loi constitutionnelle devront être remis dans un délai de deux mois à compter de la date d’installation dudit comité. Une fois remis, le projet de révision de la Constitution fera l’objet de larges consultations auprès des acteurs de la vie politique et de la société civile avant d’être déposé, suivant les procédures constitutionnelles en vigueur, auprès du Parlement pour adoption. Le texte adopté par le Parlement sera ensuite soumis à un référendum populaire.
Dans le même cadre, des consultations ont été lancées par le Président Abdelmadjid Tebboune avec des personnalités nationales, des présidents de partis et des représentants de la société civile, et ont porté sur « la situation globale du pays et la révision de la Constitution, pour asseoir les bases de la République nouvelle qui est au centre des revendications populaires. »
Les principaux axes de la révision constitutionnelle
Dans une lettre adressée à Ahmed Laraba, président du Comité d’experts chargé de formuler des propositions pour une révision constitutionnelle, le président de la République, Abdelmadjid Tebboune a rappelé avoir « à la tête des priorités de mon mandat à la présidence de la République, l’amendement de la Constitution, pierre angulaire pour l’édification d’une nouvelle République afin de réaliser les revendications de notre peuple exprimées par le mouvement populaire », réaffirmant qu’une révision profonde de la Constitution est « souhaitable et nécessaire »
Elle est souhaitable, car elle permettra, ajoute Abdelmadjid Tebboune, la consécration de la volonté souveraine et des aspirations légitimes de notre peuple à travers l’organisation d’un référendum sur lequel je me suis engagé pour l’adoption de la nouvelle constitution. Ainsi, le Comité est « invité » à faire ses propositions et recommandations autour des axes suivants :
Le renforcement des droits et libertés des citoyens
La réflexion doit porter sur l’élargissement et l’enrichissement des espaces de liberté du citoyen à la fois par la consécration de nouvelles libertés individuelles et collectives, le cas échéant, et la consolidation des droits constitutionnels garantis. Il s’agira de donner un contenu et un sens aux droits et libertés consacrés et de protéger particulièrement la liberté de manifestation pacifique et la liberté d’expression et de la presse écrite, audiovisuelle, et sur les réseaux d’information qui doivent s’exercer librement sans porter atteinte à la dignité, aux libertés et aux droits d’autrui.
La moralisation de la vie publique
Le comité devra examiner et proposer des mécanismes propres à éviter les conflits d’intérêts entre l’exercice des responsabilités publiques et la gestion des affaires de sorte à soustraire à l’influence de l’argent la gestion des affaires publiques. La réflexion doit porter également sur les moyens de renforcer davantage les mécanismes de prévention et de lutte contre la corruption, y compris l’implication de la société civile dans cette œuvre de salubrité publique.
La réflexion devra s’étendre aussi à la réhabilitation et au renforcement des institutions de contrôle de manière à conférer à leur action plus d’effectivité dans la protection du patrimoine et des deniers publics.
L’équilibre des pouvoirs
Il s’agira particulièrement de promouvoir l’action politique dans sa principale fonction d’impulsion et d’animation de la vie publique dans le respect des règles démocratiques fondées sur les principes d’alternance au pouvoir et de promotion du pluralisme politique.
Á ce titre, il conviendra spécifiquement, selon Abdelmadjid Tebboune, d’assurer un fonctionnement harmonieux des pouvoirs par la redistribution des pouvoirs au sein de l’Exécutif et la mise en place de contre-pouvoirs efficaces destinés à éviter toute dérive autocratique. Dans ce cadre, « il importe particulièrement de rendre immuable et intangible la limitation du mandat présidentiel à un seul mandat, renouvelable une fois ».
Le renforcement du pouvoir de contrôle du Parlement
Il s’agira à ce niveau de mettre en place des mécanismes efficaces permettant au Parlement d’exercer pleinement ses missions dans le contrôle et l’évaluation de l’action du gouvernement à travers particulièrement (i) le renforcement du pouvoir des élus, notamment l’opposition parlementaire, dans la fixation de l’ordre du jour des séances des deux chambres du Parlement, (ii) la consécration d’une séance par mois au moins au contrôle de l’action du gouvernement et à l’évaluation des politiques publiques en présence du Premier ministre ou du Chef du gouvernement, selon la formule retenue et enfin ,(iii) la possibilité pour les élus de constituer des commissions d’enquête parlementaires sur des faits faisant l’objet d’informations judiciaires. Dans le sillage de ces mesures, il y a lieu également de revoir la configuration de la composante du Conseil de la nation y compris le mécanisme de désignation du tiers présidentiel afin de privilégier les compétences scientifiques tout en veillant à la représentation nationale. Il s’agira, enfin, d’évaluer objectivement la possibilité d’élargir le pouvoir d’amendement des lois du Conseil de la nation.
L’indépendance du pouvoir judiciaire
La justice est l’un des fondements de l’Etat de droit. Elle doit s’exercer en toute indépendance dans le respect de la loi, hors de toute pression ou influence. Cet objectif ne peut être pleinement atteint sans une réelle protection du magistrat.
Certes, au plan formel, la Constitution en vigueur a consacré cette indépendance sans prévoir toutefois des mécanismes opérationnels à même de rendre effective cette indépendance qui passe nécessairement par :
– le respect du principe de l’inamovibilité du magistrat du siège déjà consacrée par la Constitution mais restreinte considérablement par la loi et inappliquée dans la pratique.
– la reconfiguration de la composante du Conseil supérieur de la magistrature pour le soustraire à l’influence directe de l’Exécutif et sa réhabilitation dans son rôle de gestion du corps de la magistrature (nomination à toutes les fonctions judiciaires et gestion de la carrière).
Nul n’est au-dessus de la loi
Il s’agira essentiellement de revoir la portée de l’immunité parlementaire en la circonscrivant à la sphère de l’activité parlementaire au sens strict du terme qui exclut tous les actes qui n’ont pas un rapport direct avec le mandat parlementaire.
Dans le prolongement de cette réflexion, la communauté nationale établie à l’étranger doit recouvrer sa pleine citoyenneté pour bénéficier des mêmes droits et être soumise aux mêmes devoirs que les citoyens résidant sur le territoire national. Aussi importera-t-il de revoir les dispositions constitutionnelles qui limitent l’accès des résidents nationaux à l’étranger à certaines Hautes responsabilités de l’Etat et aux fonctions politiques.
La refonte du processus électoral
Il s’agira d’abord de donner un ancrage constitutionnel à l’Autorité nationale indépendante des élections et de procéder, ensuite, à la suppression de la Haute instance indépendante de surveillance des élections dont la mission est devenue sans objet du fait que l’organisation des élections relève désormais d’une autorité indépendante, émanation exclusive de la société civile.
« Tels sont, à titre indicatif, les grands axes de réflexion auxquels devra s’attacher votre Comité. Il lui sera naturellement possible, s’il l’estime nécessaire, d’élargir son champ de réflexion à d’autres sujets relatifs au fonctionnement de nos institutions et de notre vie politique et de formuler toute proposition utile allant dans le sens de l’approfondissement de l’Etat de droit dans le respect de la cohérence d’ensemble du dispositif constitutionnel de manière à répondre adéquatement aux préoccupations citoyennes exprimées notamment par le mouvement populaire », relève encore le président de la République Abdelmadjid Tebboune.