Le commandant Mohamed Rouaï, dit Tewfik, un militant de la première heure au cœur de la Révolution
L’intelligence au service de la cause nationale
Un jour, sans doute, la contribution de chacun sera connue et reconnue à sa juste valeur. La mémoire d’une jeune nation est un trésor à protéger jalousement et à fructifier par l’évocation des sacrifices de ses héros, tous ses héros, y compris ceux dont la mission consistait justement à agir dans l’ombre.
A chaque fois que la contribution de l’un d’eux est reconnue, c’est celle de tous les autres, nombreux, qui l’est aussi mais plus que cela c’est une impulsion nouvelle et supplémentaire dans la consolidation des précieux acquis de la Révolution de Novembre. Pour la jeunesse d’aujourd’hui et celle de demain, les héros de la Guerre de libération nationale sont sources d’inspiration et d’espérance. L’un de ces héros est le défunt Mohamed Rouaï, dit Tewfik, dit aussi El-Hadj Barrigou (1).
Le commandant Mohamed Rouaï, dit si Tewfik était un cadre dirigeant de la Wilaya V historique et du ministère de l’Armement et des Liaisons générales (MALG) de feu Abdelhafid Boussouf, dit si Mabrouk. Mohamed Rouaï, militant du PPA-MTLD, a rencontré si Abdelhafid Boussouf au début des années 1950 lorsque, après la découverte par le colonialisme de l’Organisation Secrète (OS), ce dernier a dû se réfugier dans l’Ouest du pays pour échapper à la répression déclenchée contre les militants de l’OS et du MTLD. Leurs chemins ne vont plus se séparer jusqu’à l’indépendance.
L’un et l’autre se sont retirés de la vie publique après le recouvrement de la souveraineté nationale. De si Tewfik, on ne connaît que très peu de choses, à l’exception de quelques témoignages de certains de ses frères d’armes. De nombreuses photos de l’époque le montrent aux côtés du Président Bouteflika, du colonel Boumediene, du colonel Lotfi, de Boualem Bessaïh et d’autres cadres et militants de la Révolution.
L’attitude décontractée des uns et des autres sur ces photos témoigne d’une grande proximité et d’une réelle fraternité forgées dans le combat libérateur. Les grades et les responsabilités des uns et des autres ne créaient pas des limites protocolaires artificielles entre des frères d’armes et des frères tout court.
Si Tewfik est de cette race d’hommes ayant vécu dans l’ombre pour servir leur pays. Il est, en vérité, des hommes qui naissent pour servir une cause. Des hommes nés non pas pour vivre une vie banale mais pour servir leur pays. Des hommes bravant les dangers, prêts à mourir à chaque instant.
C’est le cas de cet officier supérieur de l’Armée de libération nationale (ALN) qui a vécu pour un seul idéal, celui de voir le pays libéré de l’arrogance colonialiste à laquelle il s’est confronté très tôt. En effet, Mohamed Rouaï est né le 26 mai 1929 à Mohammadia, anciennement Perrégaux, dans la wilaya de Mascara, à la veille du centenaire de la colonisation, célébré avec faste par les colons grands propriétaires terriens de cette région, dont la richesse était le fruit de la spoliation des biens des Algériens. Ayant fait ses premiers pas dans ce bourg tenu par la grande bourgeoisie coloniale, ce militant nationaliste, trempé dans la discrétion et préférant l’action clandestine, ne pouvait accepter le sort dégradant que réservait le colonialisme aux Algériens, à savoir, celui du statut infamant de l’indigénat.
Militant solide et exigeant, il ne pouvait échapper à l’œil vigilant et averti de si Mabrouk qui était recherché par la police française, à la suite de la découverte de l’Organisation Secrète (OS). La rencontre de si Mabrouk avec si Tewfik, donnera, aux futures structures de la Révolution en Oranie (Wilaya V) et aux départements du MALG/GPRA, un cadre valeureux qui sera investi de missions délicates à la mesure de sa détermination et de sa perspicacité. Sa notoriété au sein des premiers noyaux des services secrets algériens explique l’importance des missions dont il fut chargé, lui, qui était parmi le triumvirat qui formait le cabinet du colonel Boussouf, l’un des décideurs de la Révolution au sein du CCE, du CIG et à la tête du MALG.
Doué d’un caractère fort, forgé dans les conditions de travail implacables des services secrets, et de grandes capacités d’analyse reconnues, conjugués à son penchant pour l’effacement propice, l’action du militant clandestin, il fut presque naturellement choisi pour participer à la formation du tout puissant MALG.
Un ministère qui fut d’un énorme apport à l’effort de guerre pour l’indépendance. Les hommes qui ont approché si Tewfik, dans la fournaise exaltante de la Guerre de libération nationale, retiennent de lui une force de conviction rare et une abnégation sans égale ainsi qu’un engagement sans faille dans l’exercice de ses missions.
Les structures de la Révolution, faut-il le rappeler, tirent leurs qualités dans l’action et l’importance de leur apport au combat libérateur, de la qualité intrinsèque des hommes qui avaient formé leurs premiers noyaux. Si Tewfik était parmi le premier groupe ayant doté la Révolution algérienne de sa structure sécuritaire destinée à protéger le combat du peuple algérien des menées subversives du colonialisme français.
Ce fut le MALG. Il s’agit du ministère qui avait mis à mal les différents services français, notamment les plus « spécialisés », à l’image du SDECE. Du 10 octobre 1958 à juin 1962, il fut chargé de superviser, en qualité de directeur des liaisons générales du MALG, l’acheminement du courrier et la transmission des dossiers sensibles : une mission ultra secrète dont dépendaient des centaines de vies humaines et, toutes proportions gardées, l’avenir de la lutte de libération nationale.
Le défunt si Tewfik avait connu une ascension à la mesure de ses aptitudes et compétences au sein des structures cloisonnées du MALG. Membre du triumvirat formant le cabinet de Boussouf, aux côtés dudit Nehru et d’Abdelaziz, Mohamed Rouaï était responsable de toutes les liaisons, dans un contexte marqué par la guerre du renseignement menée d’une manière implacable par les services de l’armée coloniale qui n’avaient aucun scrupule pour user de la torture afin de soutirer l’information.
En sa qualité de premier responsable des liaisons générales, le commandant Tewfik savait « qui était qui, où était qui et à quel moment », signe suprême de confiance et de responsabilité au sein des instances de la Révolution. La nomination méritée de Mohamed Rouaï, dit Tewfik, à ce poste stratégique n’est pas le fruit du hasard, comme elle ne peut découler d’une quelconque fantaisie ou favoritisme d’un homme comme Boussouf, rompu à l’organisation minutieuse et fonctionnant au quart de tour.
Le choix de feu Rouaï a été, comme en témoignent les nombreux agents qu’il avait désignés pour la délicate tâche d’acheminer le courrier officiel des instances de la Révolution, des plus judicieux. L’action de Rouaï fut si vaste qu’elle débordait le long du tracé frontalier ouest qui était hermétiquement quadrillé par la soldatesque française, en plus du barrage électrifié qui fut, depuis son édification, l’ennemi numéro un de la Révolution, au point de ramener un colonel de l’ALN de la première heure, le célèbre colonel Ammar Ouamrane, un dur parmi les durs, à l’évidence de céder la mission de l’acheminement de l’armement à une structure plus organisée et plus rompue à ce genre de missions délicates, après avoir reconnu qu’il avait perdu près de six mille hommes dans cette périlleuse mission. La question de l’approvisionnement en armements du maquis de l’intérieur était, en effet, d’une importance cruciale pour la continuité de la révolution et, aujourd’hui encore, elle soulève des polémiques politiciennes. Pour prendre la juste mesure de la difficulté de cette mission, il faut garder à l’esprit le fait que l’armée d’occupation a justement tout fait et utilisé tous les moyens pour rendre les frontières tant est que ouest totalement étanches.
Combien d’hommes valeureux y ont laissé leurs vies ? Pour se rendre compte de l’extrême difficulté de cette mission, on peut lire le témoignage d’un autre malgache, Abdelmadjid Maâlem, et le récit héroïque des convois d’armes sur l’itinéraire de ce qu’il appelle la «piste Amirouche». C’est dans ces conditions très particulières et à une étape décisive de la Révolution que si Tewfik s’est vu confier la délicate mission d’acheminer les armes vers les maquis de l’intérieur.
Il s’agit d’un homme de poigne par excellence, doté d’une vigilance sans faille qu’il a dû forger au fur et à mesure qu’il accumulait les missions les plus délicates, bras droit et adjoint immédiat d’un Boussouf au faîte d’une gloire tirée d’une action et d’une organisation qui ont doté la Révolution d’un système sécuritaire ayant défié l’armée coloniale sur son propre terrain, celui qu’elle maîtrisait le mieux, à savoir le renseignement, les opérations de noyautage et les coups fourrés les plus invraisemblables. Boussouf, plus connu pour sa réserve et son jugement implacable, peu enclin à l’improvisation ou au copinage, sut faire le tri parmi ses hommes de confiance, en confiant une mission frappée du cachet «ultra secret» à Rouaï.
Il s’agit d’une nouvelle structure, appelée par Boussouf S4. Un service spécial d’une extrême sensibilité, à tel point que même des cadres importants du MALG ignoraient jusqu’à son existence. L’un d’eux en témoigne : « Tous les services que Boussouf avait créés avaient cette caractéristique du secret, mais ce service spécial devait l’être davantage à ses yeux. C’était lui-même qui l’avait dénommé ainsi, sans nous donner d’explication sur la signification du S4.
Il avait décidé de confier la direction de cette nouvelle structure à son homme de confiance le plus proche, son vrai bras de droit qui lui est resté fidèle jusqu’au bout, Mohamed Rouaï dit Tewfik… Boussouf avait donné des ordres stricts aux autres services de porter assistance en cas de besoin à Tewfik et à ses collaborateurs. »
Ce témoignage de Mohamed Lamkami, ancien cadre de la Direction de la documentation et de la recherche (DDR) qui dépendait directement du MALG, repris par Chérif Abdedaïm dans son livre intitulé Boussouf, le révolutionnaire aux pas de velours, résume parfaitement l’envergure de l’homme, sa compétence et le crédit dont il jouissait auprès du père fondateur des services secrets algériens. Ce service spécial tenu par Rouaï, à partir de 1961, avait pour mission de faire parvenir le maximum d’armes dans les wilayas et d’approvisionner les combattants de l’ALN de l’intérieur en armes et munitions, en dépit des barbelés et des fils électriques des lignes Challe et Morice de triste mémoire.
Mohamed Rouaï, l’énigme qui défia l’efficacité des services de renseignements français
Méticuleux et organisateur de réseaux hors pair, feu si Tewfik ne laissait pas indifférents les services de renseignements français, dotés d’équipements sophistiqués et de limiers aux méthodes peu enclines au respect de la morale de la guerre. La délicatesse des missions dont il s’acquittait et son influence grandissante, notamment dans les structures des communications et d’acheminement des armes vers l’intérieur, au moment où l’armée coloniale déployait tous les moyens dont elle disposait pour asphyxier les maquis de l’intérieur, ne pouvaient qu’attirer l’intérêt des services de renseignement français. Tous les efforts déployés pour l’identifier ou le localiser s’avérèrent vains, comme en témoigne l’une des rares fiches établies par les services de police coloniale à son sujet : « Il remplit les fonctions de commissaire politique et aurait sous ses ordres plusieurs polices». En dépit des moyens dont ils disposaient, les services français ne formulaient aucune certitude. Ceci est révélateur des capacités de cet homme à maintenir un cloisonnement strict et à demeurer un mystère, au point que la nature de ses activités demeura méconnue de l’ennemi, durant la Guerre de libération nationale. Cet état de fait résume, à lui seul, l’apport de cet homme à la Révolution et la manière dont il le prodiguait au sein de ses structures qui exigeaient le maximum de discrétion et de vigilance. L’homme de l’ombre qu’il était fut réellement à la hauteur des missions dont il a été chargé, déjouant tout les plans d’infiltration d’un ennemi suréquipé et jouissant d’un encadrement formé dans les écoles d’armes les plus spécialisées d’Europe. C’est aussi ce qui explique ce choix de Boussouf, un homme averti qui ne laisse rien au hasard et qui avait un penchant presque religieux au secret et à l’organisation clandestine, exigeant avec les hommes de premier plan, doués de facultés d’appréciation de situations complexes et d’une volonté sans faille.
Le moudjahid Rouaï, un guerrier humaniste
Devant son activité intense, due essentiellement à la multitude de missions aussi délicates que périlleuses dont il s’acquitta avec bravoure, si Tewfik, qui se distinguait par les mérites résultant de sa perspicacité dans le combat, de son sens d’analyse et du calcul juste – un sens propre aux hommes de l’ombre – était aussi porteur des valeurs humaines les plus nobles que lui reconnaissent tous ses frères d’armes qui l’ont approché. Il était fidèle en amitié et loyal. Il était d’une grande générosité avec ses compagnons, au point que son sens de la solidarité est devenu légendaire. C’est ainsi que Boualem Bessaïh, dit commandant Lamine, ancien commandant de l’ALN et cadre du MALG, actuellement président du Conseil constitutionnel, raconte, à ce propos, l’estime que vouait le colonel et chahid Lotfi à si Tewfik: « Nous avons été invités un jour, Rouaï dit Tewfik et moi-même, chez le colonel Lotfi à Oujda, à la veille du retour de celui-ci en Algérie. Vous êtes des frères, nous confie Lotfi, et je sais que demain je vais mourir au combat. Je vous demande de prendre soin de l’enfant que porte le ventre de mon épouse.» L’un des plus glorieux chefs de l’ALN, mort pour l’indépendance du pays, ne pouvait s’exprimer ainsi que devant des hommes de valeur, en qui il reconnaissait la loyauté et le sens de la fidélité et de la solidarité. Dahou Ould Kablia rapporte que le commandant Mohamed Rouaï, dit Tewfik, fort de sa parfaite connaissance des frontières et du système de liaisons, avait pris une part active dans la préparation du retour en Algérie du colonel Lotfi en étudiant méticuleusement toutes les options possibles pouvant lui garantir le maximum de sécurité.
Cependant, le colonel Lotfi a finalement choisi son propre itinéraire en dehors des options étudiées. Le commandant si Tewfik déployait une activité des plus intenses, lors du dernier quart d’heure de la colonisation. Il eut à assumer des missions délicates, même au moment des négociations entre le GPRA et l’Etat français. Il prit une part active dans la confection des dossiers stratégiques des négociations. Cette mission exigeait du doigté dans le travail de coulisses et beaucoup de lucidité dans la confection des dossiers basés sur la documentation. Selon plusieurs témoignages, un dossier sensible avait été remis par le MALG à Saâd Dahlab, afin de lui permettre de négocier en position de force et de pouvoir anticiper les éventuelles réactions de l’ennemi, pour mieux les neutraliser. Mais, selon ces témoignages, Saâd Dahlab n’avait pas trop pris au sérieux ce dossier, l’assimilant à de simples notes d’information et ce n’est qu’en écoutant le ministre français Pierre Joxe qu’il réalisa toute la valeur du dossier qui lui avait été confié par le MALG. Il s’agit là d’un haut fait d’arme du mythique MALG qui, malgré des moyens modestes comparés à ceux dont jouissait l’ennemi, a pu, une fois de plus et au moment où la question algérienne connaissait son ultime étape vers une issue heureuse, décoder la stratégie de la partie française dans les négociations, en dotant les négociateurs du GPRA d’une arme décisive pour anticiper les visées de l’ennemi. Ce fut une autre leçon d’intelligence savamment administrée à un ennemi arrogant. Parmi les faits d’armes de si Rouaï, il y a lieu de citer le cas de l’exfiltration d’un Algérien, nommé Mokhtar, originaire d’Oran, qu’il réussit à envoyer à Genève, via Paris, sans soulever le moindre soupçon des services de sécurité de l’ennemi. Il s’agit du militant qui a eu l’idée d’acheminer des armes en provenance du Maroc, camouflées dans des rouleaux de bitume. Cette idée avait, alors, séduit Boussouf qui avait chargé son homme de confiance, en l’occurrence le commandant Mohamed Rouaï, dit Tewfik, de prendre contact avec Bentchicou de Constantine, sénateur et personnalité très introduite au sein de l’administration coloniale, pour solliciter sa contribution dans cette opération. Bentchicou offrait à cette opération d’envergure la couverture idéale. Il s’avère, ensuite, que Bentchicou avait accepté de contribuer à cette opération, mais personne, aujourd’hui, ne peut donner d’autres détails sur sa mise en œuvre sur le terrain. Toujours est-il qu’il y a lieu d’en retenir la difficulté de la mission, d’une part, et l’audace déployée pour l’accomplir, d’autre part. Fidèle à sa logique du secret, il n’a laissé aucune trace écrite sur ce pan de l’histoire contemporaine algérienne. Son humilité et sa modestie l’ont certainement empêché d’étaler au grand jour ses nombreux faits d’armes et les actions à haut risque qu’il avait menées et dirigées. Cet homme d’action qui avait déployé une activité si intense, si utile au cours de la Révolution et dans l’anonymat qu’exigeait le cloisonnement propre aux structures du MALG, était, aussi, un homme politique et un militant nationaliste, avec tout le sens du devoir qu’exige l’engagement envers son pays et la nation. C’est ainsi que le moudjahid Mohamed Rouaï s’illustre, encore une fois, dès l’indépendance acquise, en signant, en compagnie de sept autres cadres du MALG et militants de la cause nationale, à savoir Nourredine-Yazid Zerhouni, Mohamed Lamkami, Boualem Bessaïh, Kasdi Merbah, Beldjelti Hassen…, un communiqué, rendu public le 16 juillet 1962, en réaction aux événements douloureux qui allaient prendre forme et se concrétiser par des tiraillements entre frères de combat. Il s’agit d’un document historique, voire d’un véritable testament de fidélité à la Révolution du 1er novembre 1954. C’était, aussi, un sérieux avertissement, rédigé dans la finesse qui caractérise ces hommes du MALG, et adressé à ceux qui s’obstinaient, dans le climat délétère de cette époque, à mener le pays vers la dérive, en les appelant à mettre en avant la raison et les intérêts suprêmes de la nation. Ce groupe de militants sincères venait, dans la réalité, s’assumer devant l’Histoire, conscient des risques réels qu’encourait le pays fraîchement sorti d’une guerre impitoyable ayant duré sept ans. Ils venaient de signer le premier appel urgent aux différents protagonistes, leur demandant de dépasser leurs divergences et de faire preuve de maturité politique dans l’intérêt de la nation et de l’unité nationale. C’est ainsi qu’ils avaient interpellé le GPRA pour s’incliner devant les résolutions du CNRA, l’ultime organe légiférant de la Révolution et l’institution légitime pour arbitrer les litiges et conflits entre les différentes parties issues des appareils et structures dirigeantes de la Révolution. L’engagement sans faille et sincère de si Tewfik pour les intérêts suprêmes du peuple algérien fut vérifié, encore une fois, après cet appel, en se retirant de la vie politique avec ce sentiment du devoir accompli. Il refusa de s’incruster dans les conflits de pouvoir ayant émaillé les premières années de l’indépendance.
Son patriotisme aigu et son nationalisme total et intégral l’empêchèrent de se complaire dans la délivrance des révélations susceptibles d’envenimer une situation suffisamment explosive. Il refusa, aussi, le confort d’étaler ses faits d’armes, pour satisfaire un nombrilisme qu’il n’avait jamais cultivé ou nourri, lui, de surcroît, qui était issu d’un terroir pétri de valeurs nobles peu enclines à verser dans la gloire personnelle ou à faire valoir les exploits individuels, là, où le combat collectif pour la cause nationale prime toutes autres considérations. Le commandant si Tewfik préféra se retirer de l’action politique dans le silence qui caractérisait les hommes de l’ombre, en choisissant de vivre dans une Algérie indépendante, avec une mémoire intacte d’une Révolution grandiose, au lieu de s’engager dans les intrigues ayant engendré d’autres malheurs à un peuple meurtri par une guerre d’indépendance des plus féroces. Fort de son sentiment du devoir accompli, Rouaï léguera, au même titre que les hommes qui avaient une haute idée de la Révolution, aux générations de l’indépendance, le véritable sens de l’honneur et du sacrifice pour la patrie. Il a eu le mérite et le courage de se retirer après l’indépendance, prodiguant, de la manière, une autre leçon de bravoure aux générations en charge de la mission de la construction du pays. Pour tout cela et bien d’autres qualités qu’un simple portrait de presse ne peut mettre en valeur, le commandant Mohamed Rouaï, dit Tewfik, mérite amplement son statut de héros de la Guerre de libération nationale et de nationaliste trempé dans les valeurs humanistes de la glorieuse Révolution du 1er novembre 1954. C’est à ce prix et rien qu’à ce prix que les hommes, même morts, demeurent vivants. Ils ne cesseront d’être glorifiés au cœur même de la mémoire éternelle des nations nées dans la douleur.
Le moudjahid Mohamed Rouaï, nous a quittés alors qu’il était dans la force de l’âge (48 ans), le 24 mai 1977. Il a été inhumé sur la terre de ses ancêtres sur les monts de Béni Chougrane – Sidi Dahou /Mascara. Il convient de rappeler que la tribu de Béni Chougrane a, très tôt, fait allégeance à l’Emir Abdelkader pour le combat libérateur. Plus tard, elle rejeta aussi la conscription imposée par les forces coloniales aux jeunes Algériens. A ce titre, la tribu fut pourchassée et ses membres furent contraints de trouver refuge dans les plaines de Mohammadia, Mostaganem et Oran. L’évocation de son combat et de sa contribution à la glorieuse Guerre de libération nationale lui rend bien évidemment justice, mais bien plus, et à travers sa personne, elle rend justice à tous ceux, très nombreux, qui ont participé, peu ou prou, à l’épopée révolutionnaire. Rendre justice, par la reconnaissance, à la génération de Novembre, c’est aussi et surtout servir l’Algérie éternellement debout comme l’étaient les hommes qui l’ont relevée ■
Nacer Zenati
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1) – Le défunt n’aimait pas que ce surnom soit utilisé dans le sens où il fait référence à Perrégaux, aujourd’hui Mohammadia, son lieu de naissance. Comme tous ses frères d’armes, si Tewfik se définissait avant tout comme Algérien. Par respect au défunt, le surnom de El-Hadj Barrigou n’est mentionné, ici, que pour mémoire. En outre, ce surnom avait été provisoirement « emprunté » par le défunt à un chahid de la région de Mohammadia, pour « brouiller » l’ennemi.