Par Maitre Serge Pautot, ancien coopérant en Algérie, docteur en droit, avocat au barreau de Marseille, auteur de l’ouvrage « France-Algérie, du côte des deux rives »
Le Conseil d’administration du Conseil français du culte musulman (CFCM) s’est réuni, le 19 janvier 2020 à la Grande mosquée de Paris pour l’élection du Bureau du CFCM pour les six années à venir. Le CFCM, créé en 2003, est le principal interlocuteur des pouvoirs publics français sur le culte musulman, l’Islam étant la deuxième religion en France, avec 5 à 6 millions de pratiquants.
Avant d’entamer ses travaux, le Conseil d’administration (CA) a tenu à rendre hommage à tous ceux qui se sont investis dans la marche du CFCM, notamment, le Recteur, Dalil Boubaker, président sortant du CFCM dont EL DJazair avait publié un long entretien dans le numéro 92 de novembre 2015.
La composition du Bureau Exécutif (BE) du CFCM, présentée par les trois fédérations (UMF, Union des Mosquées de France, courant Maroc, CCMTF, Comité de coordination des musulmans turcs de France, et GMP, Grande mosquée de Paris, courant Algérie) ayant obtenu le plus grand nombre de délégués lors des élections du 10 et 11 novembre 2019, a obtenu 60 voix sur les 67 exprimées (7 abstentions).
Les chantiers de la nouvelle équipe
La présidence du CFCM est à présent assurée par M. Mohammed Moussaoui du 19 janvier 2020 au 19 janvier 2022, M. Chems-Eddine Hafiz du 19 janvier 2022 au 19 janvier 2024 et M. Ibrahim Alci du 19 janvier 2024 au 19 janvier 2026. Dans le respect de la pluralité du paysage de l’Islam de France. Tenant compte des objectifs que poursuivra la nouvelle équipe, cette dernière a décidé d’associer, dans la mesure du possible, toutes les composantes de l’islam de France à travers les différentes commissions mises en place au sein du bureau du CFCM.
Le Conseil d’administration a d’ores et déjà validé dix commissions et les grands axes de leurs missions.
Une commission dédiée à la réforme. Elle doit se pencher très rapidement sur le mode d’organisation du CFCM pour le rendre plus proche des fidèles à travers la mise de conseils départementaux du culte musulman. Dans cette même volonté de proximité, il faut revoir le système de désignation par cooptation qui donne trop de pouvoir aux fédérations nationales au détriment des élus de la base.
Une commission dédiée à formation des imams et aumôniers. Elle doit se pencher sur leur statut, la création au niveau local et national de conseils des imams et aumôniers, la réorganisation des aumôneries ainsi que le mode d’affectation des imams et des aumôniers.
La commission dédiée aux mosquées. En concertation avec la commission chargée des questions financières, elle a pour mission de proposer aux porteurs de projets des modèles intégrant des sources de financement : Immeubles de rapport, Sociétés Civiles immobilières (SCI). Elle doit également proposer des formations aux cadres associatifs en charge de la gestion des mosquées, ainsi qu’une réflexion sérieuse sur le régime associatif (1901, association ou 1905, clergé) adapté à la gestion des mosquées.
Une commission juridique. Elle apportera son expertise à l’ensemble des commissions et permettra aux instances musulmanes d’être en phase avec les dispositions législatives s’appliquant aux cultes.
La commission communication. Elle mettra en place le site internet du CFCM et tous les outils de communication avec des objectifs d’information et de formation.
Une commission dédiée aux publications du CFCM. Elle a pour l’objectif d’associer les intellectuels musulmans dans la promotion d’une culture islamique pour connaître les valeurs authentiques de l’islam et déconstruire les discours et les thèses extrémistes.
Une commission sur l’harmonisation des heures de prières et la mise en place d’un calendrier lunaire unifié très attendus par les musulmans de France.
Une commission en charge des pratiques religieuses : abattage selon les rites, pèlerinage, fêtes religieuses, lieux de sépultures.
Enfin, la commission sciences et éthique, dédiée à la bioéthique, l’écologie et les questions sociétales. Elle sera mise en place afin que le culte musulman puisse apporter sa contribution aux différents débats portant sur ces sujets et promouvoir les bonnes pratiques qui en résultent.
D’autre part, l’Observatoire de lutte contre l’islamophobie, mis en place en 2011, doit être consolidé pour une meilleure mise en œuvre de la convention- cadre, signée entre le CFCM et le ministère français de l’Intérieur en juin 2010. L’observatoire national doit s’appuyer sur des comités locaux afin de mieux accompagner les victimes et créer un service de veille dédié à la lutte contre la haine sur le net et les réseaux sociaux.
Dans le même esprit, le CFCM s’approchera des pouvoirs publics pour la mise en place d’une convention-cadre sur le radicalisme se réclamant de l’islam. Un Observatoire national de lutte contre le radicalisme, appuyé par des comités départementaux, permettra aux imams et aumôniers d’œuvrer avec les acteurs mobilisés dans la lutte contre le radicalisme. Les administrateurs du CFCM appellent les différentes composantes du CFCM à faire vivre au sein du CFCM l’esprit de concertation et d’entraide fraternelle, et à mettre l’intérêt général de l’islam et des musulmans de France au-dessus de toute autre considération.
Le CFCM : représenter le culte musulman
Le Conseil français du culte musulman, créé le 28 Mai 2003 par publication au Journal Officiel de la République Française le 7 Juin 2003, annonce n°1783) est une association française régie par la loi du 1er juillet 1901, placé sous l’égide du ministère de l’Intérieur, et qui a vocation à représenter les musulmans de France auprès des instances étatiques pour les questions relatives à la pratique religieuse. Toutefois, dans les faits, selon le Recteur Dalil Boubakeur, le président sortant, cette instance « ne représente pas les musulmans mais le culte musulman ».
Le conseil d’administration est élu pour trois ans par des délégués des mosquées dont le nombre est déterminé uniquement par la surface des lieux de culte. Le conseil élit en son sein le bureau exécutif qui élit à son tour le président du CFCM pour la durée du mandat. Les conseils régionaux du culte musulman (CRCM) sont élus en même temps.
Le CFCM intervient dans les domaines suivants :
– dans les relations avec le pouvoir politique français,
– dans la construction des mosquées,
– dans le marché des aliments halal,
-dans la formation de certains imams,
-dans le développement de représentations musulmanes dans les prisons et dans l’Armée française,
-dans la nomination d’aumôniers dans les hôpitaux,
-dans la construction de carrés réservés aux musulmans dans les cimetières.
-Il essaye de coordonner les dates des fêtes religieuses (dont celles du Ramadan).
Jusqu’en 1973, la grande mosquée de Paris était le principal lieu de culte musulman en France. La grande mosquée de Lyon a été construite quasi entièrement avec des fonds du roi Fahd ben Abdelaziz Al Saoud .En 1990, Pierre Joxe, alors ministre de l’Intérieur sous la présidence de François Mitterrand, lance le Conseil de réflexion sur l’Islam de France, qui est chargé de présenter des propositions pour l’organisation du culte des musulmans. Dans sa déclaration le 23 novembre 1997, Jean-Pierre Chevènement (alors ministre de l’Intérieur chargé des cultes), dit :« L’islam est une religion nouvelle en France. Avec environ quatre millions de résidents de culture musulmane, elle est rapidement devenue la deuxième religion du pays. La moitié des musulmans qui vivent sur notre territoire national sont français. La plupart des autres sont appelés à le devenir. Le gouvernement ne saurait s’en désintéresser. J’ai suivi avec attention et médité les efforts de plusieurs de mes prédécesseurs pour intégrer l’Islam dans la communauté nationale. J’ai le même objectif : aider à l’affirmation d’un islam français. Seulement, les difficultés qu’ils ont rencontrées m’incitent à la prudence. Il y a un paradoxe de l’Islam dans ses rapports avec la laïcité…Nous devrons parvenir à trouver les modalités pratiques de nos rapports, ce qui suppose l’existence d’un interlocuteur légitime, ou du moins considéré comme tel par le plus grand nombre. L’absence d’un clergé unifié et hiérarchisé ne doit pas être un obstacle insurmontable. L’État n’imposera pas ses choix. Ce n’est pas son rôle. Il agréera ceux qui lui seront proposés».
Le Conseil est quelquefois perçu comme censé représenter la communauté musulmane alors que ses fonctions sont exclusivement liées au culte. Par exemple, le 3 novembre 2016, invité par le Vatican, Anouar Kbibech, alors président du CFCM, se rend à Rome en compagnie de ses vice-présidents, dans le but de débattre les relations entre chrétiens et musulmans.
Les différentes tendances
Elles sont diverses et représentatives avec les institutions suivantes :
La Fédération française des associations islamiques d’Afrique, des Comores et des Antilles (FFAIACA)
La Fédération « Invitation et mission pour la foi et la pratique »
La Fédération nationale des musulmans de France (FNMF)
La grande mosquée de Paris (GMP)
Le Rassemblement des musulmans de France (RMF)
Le Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF)
L’Union des organisations islamiques de France (UOIF)
Chaque composante du conseil reste très liée à son pays « d’origine » :
La Turquie pour le Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF)
On relève le Maroc pour le Rassemblement des musulmans de France (RMF) et l’Union des mosquées de France, l’Algérie pour la grande mosquée de Paris (GMP), l’Égypte pour les Frères musulmans via l’Union des organisations islamiques de France (UOIF)
Le Mandat des Présidents du CFCM. Depuis sa création, voici les mandats des Présidents :
2003-2008 : Dalil Boubakeur
2008-2013 : Mohammed Moussaoui
2013-2015 : Dalil Boubakeur
2015-2017 : Anouar Kbibech
2017-2019 : Ahmet Ogras
2019-2020 : Dalil Boubakeur (intérim)
2020-2022 : Mohammed Moussaoui
Dalil Boubakeur est le premier président du CFCM. Élu en 2003, il est réélu en 2005 malgré la défaite de la grande Mosquée de Paris et la victoire de la Fédération nationale des musulmans de France. En juin 2008, Mohammed Moussaoui, vice-président du Rassemblement des musulmans de France,remplace Dalil Boubakeur à la présidence, à l’issue des élections. Il écourte son mandat en 2013 pour permettre la mise en oeuvre d’une réforme, souhaitée par les autorités françaises, mettant en place une direction collégiale et tournante.En juin 2013, Dalil Boubakeur, recteur de la grande mosquée de Paris, redevient président du CFCM, élu à une très large majorité des membres du conseil d’administration.Le 30 juin 2015, Anouar Kbibech, président du Rassemblement des musulmans de France, succède à Dalil Boubakeur .Le 1er juillet 2017, Ahmet Ogras, chef d’entreprise et président du Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF), prend la présidence . Son arrivée à la tête du Conseil est analysée comme un renforcement de l’influence des Frères musulmans dans cette institution . Il quitte la présidence le 30 juin 2019 remplacé par intérim par Dalil Boubakeur en attendant les élections du 19 janvier 2020 au cours desquelles le conseil d’administration désigne comme nous venons de le voir Mohammed Moussaoui pour assurer la présidence du 19 janvier 2020 au 19 janvier 2022, puis Chems Eddine Hafiz du 19 janvier 2022 au 19 janvier 2024 et enfin Ibrahim Alci du 19 janvier 2024 au 19 janvier 2026 .
Visite du Président de la République
En juin 2017, le Président Emmanuel Macron est invité par Anouar Kbibech, président du CFCM, à participer à la rupture du jeûne de ramadan de 2017. Il appelle les musulmans de France à combattre le fanatisme, les « prédicateurs de haine » et le « repli identitaire Il loue la fermeté des « autorités musulmanes » dans leur lutte contre la déchirure « entre les Français de toutes croyances et les Français de confession musulmane ». Il regrette que les « générations les plus jeunes [aient] des réticences à passer les portes [des] institutions », demande que les imams qui officient en France soient formés sur le sol français et pointe du doigt ceux qui « au nom de leur foi [veulent] se soustraire aux lois de la République. »
Emmanuel Macron, qui a plusieurs fois regretté la persistance de cet « Islam consulaire » (sous l’influence des pays étrangers), entend mieux encadrer le culte musulman, en garantissant plus de transparence dans son financement. L’exécutif doit faire des propositions en février à ce sujet.
« Tout ce qui peut séparer doit être combattu »
Dans un autre ordre d’idées, c’est la conclusion de la Commission nationale consultative des droits de l’homme qui a remis au Gouvernement français son rapport annuel relatif à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. Si la situation du racisme en France s’est largement améliorée au regard des décennies précédentes et si l’arsenal législatif s’est nettement renforcé, il y a toutefois lieu de constater la persistance des préjugés racistes et une montée préoccupante de l’intolérance au cours des dernières années.
La période actuelle de crise économique cumule tous les facteurs défavorables à la tolérance. L’« indice longitudinal de tolérance » élaboré par les chercheurs montre une régression. Non seulement la tolérance en France a reculé, pour la quatrième année consécutive, mais encore ce recul s’étend à des groupes sociopolitiques qui jusqu’ici résistaient à la « tentation xénophobe ». L’indice concernant les Maghrébins et les musulmans continue de se dégrader, ces deux groupes restant d’ailleurs, avec les Roms, les moins bien tolérés. Et, pour la première fois, on assiste, souligne le rapport de cette Commission, à une baisse de la tolérance concernant les noirs et les Juifs.
Nouveaux avatars du racisme, l’Arabo-musulman et le Rom sont les cibles privilégiées de cette recrudescence de l’intolérance. Les études d’opinion traduisent également l’émergence d’un phénomène d’islamophobie et l’expression de plus en plus ostentatoire et banalisée des préjugés à l’égard des Roms, tandis que les statistiques du ministère français de l’Intérieur enregistrent, cette année encore, une hausse des actes antimusulmans.
Les expressions racistes se banalisent sur un fond de cyber-anonymat, de culture de la parole-choc, de débat sur les contours de l’humour, voire de défiance à l’endroit d’un discours antiraciste perçu comme censeur. Cette banalisation est partagée par toutes les catégories – citoyens, journalistes, élus – et inquiète jusque dans les instances internationales, questionnant l’image que la France donne d’elle-même à l’étranger.
Si la CNCDH se félicite des contributions, nombreuses, des acteurs institutionnels autant qu’associatifs, elle note cependant qu’un long chemin reste encore à parcourir. Face à un phénomène qui touche au cœur même du pacte républicain, la volonté politique doit s’affirmer sans faille et s’accompagner de mesures concrètes et effectives .Au fil de ses recommandations, la CNCDH met l’accent sur l’éducation, seule à même d’outiller les citoyens en devenir face aux raisonnements simplistes. L’éducation et la formation, véritables pierres angulaires du combat contre le racisme, doivent cibler largement les professionnels mais aussi les enfants dès l’école maternelle.
Face au débat sur la question du foulard dans l’espace public et à l’hystérie islamophobe agressive, le Président du Conseil Français du Culte Musulman, le Recteur Dalil Boubakeur, avait réuni en octobre 219, à la Grande Mosquée de Paris, le Conseil Religieux de cette instance en présence de tous les représentants des fédérations musulmanes.. Et à l’issue des délibérations, le Conseil Religieux avait donné le communiqué suivant à la suite d’incidents à la Mosquée de Bayonne.
1) Condamne avec force l’attaque de la mosquée de Bayonne qui a fait 2 victimes et interpelle les personnalités politiques et médiatiques qui doivent prendre la responsabilité de leurs propos outranciers qui banalisent la haine du musulman.
2) Affirme que les Français de confession musulmane sont avant tout des citoyens de ce pays pour lequel leurs ancêtres se sont battus au péril de leur vie.
3) Insiste sur la liberté de tout un chacun de vivre sa foi dans le respect du cadre républicain ;
4) Rappelle que le port du voile est une prescription religieuse, mais celles qui ont décidé de s’en affranchir ne sont pas moins musulmanes et restent dans la communauté des croyants.
5) Engage une réflexion sur la structuration du ministère des Imams avec notamment la mise en place du Conseil de l’Ordre des Imams de France.
6) Rend hommage aux Imams qui, par leur travail au quotidien, contribuent fortement à immuniser la communauté musulmane contre la radicalisation et les dérives communautaristes.
7) Conscient de l’engagement de plus en plus affirmé des femmes sur la question religieuse, le CFCM propose l’intégration de théologiennes (Mourchidates) au sein du Conseil religieux.
8) Engage la réflexion sur la mise en place d’une formation continue contre la radicalisation tant au niveau régional que national.
9) Se félicite des propos de M. le Président de la République qui a insisté sur la liberté individuelle et citoyenne dans l’espace public.
10) Engage dès à présent une réflexion sur les signes de radicalisation religieuse afin de lever toute confusion avec la pratique religieuse piétiste. Les conclusions seront remises au Bureau Exécutif du CFCM avant la fin de l’année.
De tout cela on retiendra que tout ce qui peut séparer, doit être condamné.
Serge PAUTOT