Le drapeau national
Sens et symbolique
Par Noureddine Khelassi, conseiller du ministre de la Communication, porte-parole du gouvernement. *
Le drapeau et les valeurs patriotiques consubstantielles ne sont pas des valeurs ringardes en 2020. Les immenses défilés du mouvement populaire Hirak, avec le déploiement, à grande échelle, de l’étendard national l’ont prouvé. Durant plus d’une année, arborer la bannière avec l’étoile et le croissant sur fond vert-blanc-rouge n’était en rien un acté démodé, ridiculement vieillot ou de piètre goût, selon la définition du mot ringard qu’en donnent les dictionnaires. Déployer autant de drapeaux, dans l’ensemble du pays, le même jour et dans une aussi longue durée interroge beaucoup sur l’habitus patriotique des Algériens. Cet acte lourd de sens renvoie aux rituels codifiés, à la symbolique du drapeau en tant que tissu de signes.
D’aucuns pourraient penser en 2020 que le drapeau est seulement un attribut conventionnel de l’autorité politique. Dans ce cas, l’étendard a une fonction de rassembleur, de symbole patriotique, de garant de l’ordre national. Les couleurs algériennes expriment alors l’association étroite sang-sacrifice-sol. On est, à ce titre, face à une sacralisation des trois éléments et à celle du drapeau qui les cristallise. A ce propos, le drapeau, c’est l’ADN du patriotisme, le marqueur du nationalisme, le fil rouge de l’appartenance à une nation. C’est le plus petit dénominateur commun ou le plus petit multiple commun d’un peuple.
En Algérie comme ailleurs, la fonction du drapeau est de maintenir en permanence un double contact : la nation affiche sa présence, le citoyen qui pavoise, notamment les jours de fêtes nationales comme le 5 Juillet ou lors des manifestations pacifiques du Hirak, exprime son adhésion à la nation, manifeste sa fierté d’être algérien et revendique son appartenance au corps national. Mais le drapeau n’a pas de sens uniquement dans les périodes de rituels codifiés (fêtes nationales, décès d’une personnalité nationale, conflit, victoire lors d’une grande manifestation sportive, manifestation de grande ampleur comme le Hirak…). Il s’agit notamment des commémorations nationales qui forment une série de paroxysmes réguliers de manifestations canalisées de ferveur patriotique occasionnelle.
Surtout, il a une fonction phatique. En linguistique, il s’agit de paroles ordinaires, répétitives, voire insignifiantes, prononcées dans le but de maintenir le contact entre le destinateur et le destinataire (émetteur et récepteur selon la définition de Mac Luhan). Par rapport aux moments d’expression paroxystique, la fonction phatique du drapeau est celle du patriotisme ordinaire. Celui des cours d’histoire qui enracinent dans l’esprit la sacralité du drapeau. Celui des cours de récréation où la levée des couleurs stimule les sentiments de loyauté et d’attachement au pays et à ses institutions même si elles souffrent d’un déficit démocratique chronique.
En Algérie, le drapeau est finalement le résultat d’une accumulation historique. Au début de la Régence turque, les frères Kheireddine et Barberousse arboraient lors des combats en mer et sur terre un drapeau vert, rouge et jaune. Plus tard, l’Emir Abdelkader utilisera deux étendards. Il a usé d’un drapeau blanc et vert. Ce drapeau a été retrouvé après la mort de l’Emir (1883), au Caire, à la «Maison des Vestiges». L’autre oriflamme est exposée au Musée de l’ANP à Riadh El Feth, à Alger. Elle est de couleur bleu foncé, d’environ deux mètres de long sur un mètre de large, bordée de carrés de tissu couleur ocre et rouge. Si on attribue communément la matrice du drapeau à une initiative éclairée de l’Emir Abdelkader, les avis des historiens étrangers et algériens convergent pour dire que la fixation de l’emblème national algérien revient sans conteste au père du nationalisme algérien, Messali Hadj.
Pour certains, c’est l’épouse de ce dernier qui aurait tout simplement conçu le drapeau.
Elle l’aurait dessiné en 1937 dans le quartier algérois de Belcourt où il aurait été vu pour la première fois dans l’Histoire du pays. Pour d’autres, la forme officielle, c’est-à-dire actuelle, s’est décidée en 1934, avec les trois couleurs qui y figurent : le vert, le blanc et le rouge symbolisant l’unité des trois pays maghrébins, l’Algérie, la Tunisie et le Maroc. Autre thèse : le drapeau serait né en 1933, au siège de l’Etoile nord-africaine dans le 18e arrondissement de Paris, non loin du célèbre quartier de Barbès, pour être porté par des Algériens en 1934 à Alger et à Tlemcen. En 1943, le Parti du peuple algérien (PPA) ajoute l’étoile au croissant qui barre au milieu les trois couleurs. Deux ans après, lors des massacres collectifs du 8 mai 1945, le drapeau ainsi dessiné sera vu à Sétif entre les mains d’un jeune scout des SMA, Saal Bouzid, assassiné lors de cette manifestation. Messali Hadj aurait, enfin, fixé définitivement le drapeau algérien tel qu’on le connaît aujourd’hui, en 1948, et, clin d’œil malicieux de l’histoire, un certain 14 juillet, pour promouvoir l’idée d’indépendance de l’Algérie.
Dans les textes, la Constitution (art.62) stipule que l’Etat «garantit le respect des symboles de la révolution, la mémoire des chouhada et la dignité de leur ayants droit et des moudjahidine». L’article 5 énonce simplement que «l’emblème national, le sceau de l’Etat et l’hymne national sont définis par la loi». Justement, la loi n°63/145 promulguée par l’Assemblée constituante de 1963 définit les caractéristiques du drapeau. La Constitution de 1976 énonce les principes de l’hymne national et du drapeau. La Constitution amendée en décembre 1996 énonce (article 6) que « l’emblème national et l’hymne national sont des conquêtes de la Révolution du premier novembre 1954 » et qu’ils sont surtout « immuables ».
Le code pénal et le décret du 13 novembre 1984 sanctionnent quiconque attente aux symboles de la souveraineté et ne respecte pas les conditions de sa levée sur les places publiques et institutions de la République.
Finalement, le drapeau algérien, adopté le 3 avril 1962 par le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), et officialisé par la loi du 25 avril 1963, est une synthèse des étendards de la Régence turque, des emblèmes de l’Emir Abdelkader et des écussons de l’Etoile nord-africaine, synthèse que l’on doit au nationalisme du PPA-MTLD, matrice du FLN qui a mené le combat libérateur du peuple.
N. K.
*Noureddine Khelassi, conseiller du ministre de la Communication, porte-parole du gouvernement. Expérience de 40 ans dans le journalisme en Algérie et en France. Reporter, éditorialiste et chroniqueur…A travaillé notamment à l’agence nationale APS, à l’AFP Et dans le groupe de RFI en qualité de responsable de la rédaction de RMC-Moyen-Orient, filiale radiophonique arabophone de RFI, et au service de presse de la présidence de la République algérienne. Ancien journaliste de la rédaction de l’hebdomadaire algérien La Nation.
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