Le fichage d’individus selon leurs opinions politiques autorisé par décret en France : Quand la dictature se justifie
La patrie des « liberté, égalité et fraternité », n’est plus que l’ombre d’elle-même depuis que le ministre français de l’Intérieur, Gérard Darmanin, a réussi à faire passer en catimini des décrets particulièrement liberticides.
Opinion politique, activité sur les réseaux sociaux, comportement religieux ou données de santé : autant d’éléments qui pourront désormais être collectés dans les fichiers du renseignement selon trois décrets passés sous les radars de la presse.
Recueillir une somme importante d’informations sur l’opinion politique de personnes «pouvant porter atteinte à la sécurité publique ou à la sûreté de l’Etat», des pseudos Twitter, des données de santé, des éléments de comportement religieux : c’est ce que permettent désormais trois décrets du ministère de l’Intérieur publiés dans la matinée du 4 décembre et consultables dans le Journal Officiel (de France).
S’ils sont passés relativement inaperçus dans la presse (à quelques rares exceptions près), ces textes renforcent pourtant significativement les méthodes allouées au renseignement territorial… et suscitent des questionnements quant aux objectifs poursuivis.
Portant sur le «Fichier de prévention des atteintes à la sécurité publique» (PASP), la «Gestion de l’information et prévention des atteintes à la sécurité publique» (GIPASP) et les «Enquêtes administratives liées à la sécurité publique» (EASP), ces décrets élargissent considérablement les possibilités de surveillance de toute personne présentant un risque pour l’ordre public, à savoir non seulement les individus radicalisés mais aussi des manifestants violents, ou encore des hooligans, comme l’explique le site spécialisé NextInpact.
Cependant l’expression utilisée dans le décret PASP pour désigner ces personnes reste très générale et pourrait concerner, en théorie, de nombreux cas. Les trois décrets font ainsi référence au fichage des individus dont les activités seraient «susceptibles de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou de constituer une menace terroriste portant atteinte à ces mêmes intérêts».
Afin de préserver la «sûreté de l’Etat», les trois textes prévoient également tout un arsenal de mesures de surveillance comme la possibilité de ficher des individus selon «des opinions politiques, des convictions philosophiques, religieuses ou une appartenance syndicale». La nuance est donc importante puisque la précédente version permettait le fichage des individus selon leurs activités, et non pas de leurs «opinions».
Les décrets PASP et GIPASP ajoutent en outre la possibilité de ficher «des données de santé révélant une dangerosité particulière». Il s’agira, pour les services de renseignement, de prêter attention aux «données relatives aux troubles psychologiques ou psychiatriques obtenues conformément aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur». Quant aux destinataires de ces données, les agents des services de renseignement, les policiers et gendarmes, mais aussi (nouveauté) les procureurs, pourront tous accéder à ces fichiers de surveillance. Un autre point qui soulève bien des inquiétudes est la surveillance des «activités sur les réseaux sociaux». Une grande nouveauté qui ne figurait pas dans le précédent décret.
Elle permet aux forces de l’ordre de recueillir les identifiants et pseudonymes utilisés sur les réseaux sociaux, par des individus surveillés, à l’exclusion des mots de passe. Parmi les autres points énumérés dans le décret de 2020, citons, outre le fichage des liens avec «des groupes extrémistes», les éléments ou signes de radicalisation, ou encore la détention d’armes, la possibilité pour les fonctionnaires du renseignement territorial de répertorier des éléments concernant les «pratiques sportives», la détention «d’animaux dangereux» et même, élément nouveau, des données relatives à des «facteurs de fragilité», comme les «facteurs familiaux, sociaux et économiques» ou les «addictions».
Peu médiatisée, raison sans doute, la publication de ce décret relatif à la sécurité intérieure n’a pas manqué de faire réagir, notamment à gauche. Même inquiétude grandissante du côté d’Amnesty Manon Aubry, eurodéputée La France insoumise, voit pour sa part dans le décret gouvernemental du 4 novembre, un «nouveau cap franchi dans la société de surveillance généralisée et la dérive liberticide et autoritaire».
A.O