Le premier juillet 1962 : la parole retrouvée
Les accords d’Evian qui reconnaissaient au peuple algérien le droit de choisir librement son destin, prévoyaient un scrutin d’autodétermination. En fait ces accords reconnaissaient l’indépendance de l’Algérie par la France, qui tenait à préserver des formes politiques et juridiques du passage à l’indépendance. Le FLN, qui fut toujours considéré comme un tendance, certes active et irréductible, par le général de Gaulle comprit l’importance de l’enjeu et reconnut très tôt la nécessité de compromis inévitables. Comme la souveraineté pleine et entière du nouveau gouvernement algérien était reconnue dans tous les domaines (défense comprise) et sur un territoire indivisible, le FLN accepta une présence temporaire de bases militaires et la garantie des investissements. Il proposa lui-même des textes qui accordaient de larges droits à la minorité européenne.
La gestion d’une période transitoire fut confiée à un Exécutif provisoire composée de douze membres dont neuf Algériens. L’armée française n’eut plus de compétence opérationnelle et pour garantir la neutralité du scrutin, l’Exécutif mit en place une nouvelle armée de 60.000 hommes, la « force locale » composée d’Algériens auxiliaires de la gendarmerie et des groupes mobiles et appelés dans l’armée française. Il eut aussi pour tâche d’accélérer l’algérianisation de l’administration. Il assura les conditions du scrutin d‘autodétermination. Celui-ci fut fixé au dimanche 1er juillet 1962.
L’Algérie allait connaître pendant cette courte période de trois mois et demi un déchaînement inouï de violences à attribuer aux commandos de l’OAS. Ce furent les massacres aveugles visant les Algériens, les destructions systématiques de maisons et des édifices publics. Cela prit fin d’une manière inattendue par un accord de cessez-me feu signé par des dirigeants de l’OAS et des représentants de l’Exécutif provisoire le 17 juin.
Le scrutin eut lieu dans le calme
Le scrutin eu lieu le dimanche 1er juillet 1962, dans 6.000 bureaux de vote ouverts de huit heures à dix-huit heures. Partout la population algérienne vécut se moment historique dans l’allégresse et des manifestations de joie extraordinaires. Ce que l’on doit retenir c’est que partout l’ordre fut préservé. Les combattants de l’ALN rentrèrent dans les grandes villes et firent régner l’ordre. Les quelques cas de pillage firent sévèrement sanctionnés. Les correspondants de presse témoignèrent de l’attitude bienveillante des Algériens envers les étrangers et les Pieds Noirs. Ceux-ci, très souvent furent très souvent protégés par les combattants de l’ALN. Le cas d’Oran fut particulier. Une provocation des éléments de l’OAS restés dans la ville fit officiellement 95 morts et 163 blessés parmi les Algériens et les Pieds Noirs. Le GPRA condamna et appela au calme. Une commission mixte d’enquête établit l’existence de tirs de provocations. Des soldats français stationnés à la place Foch répliquèrent aux tirs venus des terrasses. De son côté le FLN prit des dispositions extrêmement sévères pour maintenir l’ordre et protéger les Européens. Le chef de l’ALN, le capitaine Bakhti prit alors des mesures exceptionnellement sévères envers les Algériens coupables de dépassements.Il reconnut même : « après avoir été jugés pour assasinats, pillages ou port d’armes, plusieurs dizaines de musulmans ont été déjà condamnés à mort par des tribunaux de l’ALN et exécutés. Plusieurs autres criminels seront jugés et exécutés au cours des prochaines vingt-quatre heures. »
Les Pieds noirs créérent la surprise en allant voter nombreux. On estimait alors à 300.000 le nombre d’entre eux qui avaient quitté le pays. Les présents votèrent en masse. Ils ne furent nulle part inquiétés, le FLN ayant sévi avec la plus grande fermeté envers les cas de dépassement constatés. Tout le mone constat l’attitude conciliatrice de la population algérienne et des responsables du FLN.
Les Pieds Noirs d’Alger : l’expectative avec quelques lueurs d’espoir
Dans les grandes villes vers lesquels s’étaient repliés les Européens, la situation était tendue depuis plusieurs jours. Les nouvelles autorités n’arrivaient pas assurer la sécurité. Les pillages se multipliaient et surtout les vols de voiture. Les combattants de l’ALN en tenue et armés firent leur apparition à Alger, organisant des patrouilles même dans les quartiers européens. La presse française rapporta qu’ils sévirent fermement contre les pillards. Un journaliste déclara avoir venu un jeune algérien promené dans la ville portant au cou une pancarte « je suis un voleur ». Des Européens témoignèrent s’être plaints à un responsable FLN de Belcourt qui leur restitua les objets volés. Les victimes de spoliation se virent réintégrés dans leurs biens par des responsables FLN qui bastonnèrent les occupants abusifs. On note un changement d’attitude chez les Pieds Noirs. Gérard Maron du Figaro notent : « les partants sont toujours nombreux mais les départs ne sont plus massifs ni surtout précipités. Ils s’échelonnent dans le temps. On ne part plus avec deux valises, tenaillé par la peur. On prend le temps de boucler les malles et de mettre ses affaires en ordre pour un éventuel retour. C’est l’expectative avec quelques lueurs d’espoir. Signe spectaculaire de cette chute soudaine de la fièvre de l’exode : on ne fait plus la queue des journées et des nuits entières devant les guichets des compagnies aériennes et maritimes. On ne patiente plus aux portes des postes et des banques. »
A Bab el Oued, ancien fief des extrémistes de l’OAS, le quartier est silencieux mais a retrouvé un semblant de vie normale. A côté de la légendaire place des trois horloges, ils sont des centaines d’Européens à se presser dans l’école de filles de la rue de Normandie, faisant la queue devant les isoloirs. Un commentateur français note : « Celle qui fut la ville de tous les « non » et de toutes les passions a donc dit oui dans un calme quasi-total. »
Dans les quartiers c’est la liesse populaire. Ils sont des milliers à parcourir la ville, chantant et dansant. Les enfants sont en uniforme : pantalons (ou jupe pour les filles) en vert, chemise blanche et cravate rouge. Les hauts parleurs déversent sans discontinuer les nouveaux hymnes qu’ils ne sont pas tous à connaître et qui sont vite retenus. Les tenues sont pleines de paillettes en formes d’étoiles et de croissant. Partout on vend des calots rutilants en vert et rouge. L’envoyé d’un journal note : « j’ai vu des maquisards de l’ALN doubler la force locale à la porte des écoles, des mairies, des mosquées, aidés par les fedayin en civil. A travers toute l’Alger musulmane, c’était la marée. Partout s’allongeaient des files interminables patientant pendant des heures. Les infirmières avaient fort à faire. Il y eut de nombreux évanouissements. Cette participation monstre des musulmans était prévue, mais elle s’est déroulée dans un climat de dignité et de maturité politique qui a étonné les observateurs. Le journaliste du Figaro apporte ce témoignage : « Nulle part en ces heures de liesse musulmane je n’ai noté le moindre acte de vengeance, le moindre geste de colère. Je me suis promené seul dans la Casbah, parmi la masse exubérante et bariolée. Sans me connaître, on m’a interpelé au passage à plusieurs reprises, avec le sourire, pour m’offrir le thé à la menthe ou la kahoua de la réconciliation. » Un autre correspondant apportera son témoignage le 4 juillet: « au cours de cette explosion de joie populaire des musulmans, il n’y a pas eu le moindre incident, pas l’ombre d‘une provocation, pas un geste de colère ou de menaces. Il faut souligner ce sang froid des musulmans comme la sagesse et la raison dont on fait preuve les Européens noyés au milieu de cette kermesse de style castriste. Sur le visage de ces jeunes musulmans qui, aux limites du délire criaient leur joie, leur foi et leur espoir, on ne lisait ni la haine ni la vengeance. »
Le même journaliste est présent dans Alger le lendemain : « Des soldats de l’ALN, des scouts, des gamins en uniforme, des chorales de jeunes filles FLN défilent au pas en chantant des chants révolutionnaires. Toute la population de cinq à soixante-dix ans apprend à marcher au pas. » Il a même remarqué un vieux notable défilant à cheval à la rue d’Isly précédant des habitants de son village qui défilent au pas. « Dans la rue Michelet, un fourgon à bestiaux déboule en trombe : une cinquantaine de femmes kabyles en longues robes bariolées s’y entassent les unes sur les autres, poussant des youyous. J’ai même vu passer un fourgon mortuaire plein à craquer de jeunes, de vieux, de grand-mères et de toute une marmaille hurlant d’allégresse… »
Le 3 juillet 1962, à 12 heures 35, l’Algérie est juridiquement indépendante
A 10 heures 15, dans l’immeuble administratif du Rocher Noir, les membres de l’Exécutif provisoire sont réunis autour d’une table, dans la salle de la commission de contrôle du scrutin. Il y a le président Abderrahmane Farès, Roth le vice président et d’autres membres : Abdeslam, Hamidou ainsi que Capitant conseiller du gouvernement français. Kaddour Sator, président de la commission de contrôle lit le procès-verbal du référendum. Les résultats ne sont pas complets mais il y a 5.900.000 oui. Aussitôt, Fouchet, haut-commissaire de la France pour la période transitoire gagne l’immeuble de l’Exécutif et remet à Farès la lettre du général de Gaulle par laquelle celui-ci prend acte des résultats et proclame l’indépendance de l’Algérie. Farès se rendit aussitôt dans la cour du bâtiment. Un détachement de l’ALN se tenait au pied du grand mât dressé pour l’occasion ainsi qu’un groupe de jeunes scouts. Il donna l’ordre de lever les couleurs nationales. Les scouts entonnent l’hymne national. Farès et Roth rendent alors visite au haut-commissaire qui les accueille sur le perron. L’Algérie est formellement indépendante.
RN