L’école des colonies françaises : asseoir une fausse belle image de la France
Un article paru sur le site ‘The Conversation’ concernant l’école coloniale française nous a fait replonger quelques dizaines d’années en arrière, les images les plus diffuses dans la mémoire se superposant à celles présentes, surtout en Algérie où le souvenir est encore vivace de cette nuit coloniale que le peuple a eu à subir dans sa chair.
L’article en question est adapté de l’ouvrage de Carole Raynaud-Paligot, ‘L’École aux colonies entre mission civilisatrice et racialisation 1816-1940, paru aux éditions Champ Vallon, 2021’. Suite aux recherches effectuées par l’auteure dans les archives de la France coloniale, elle a pu rectifier ‘l’apologie’ de la mission civilisatrice de l’école coloniale française ‘tant dans sa rhétorique que dans sa mise en pratique’ et qui a participé à la construction de l’image légendaire d’une France ‘pays des droits de l’homme qui aurait généreusement fait bénéficier de sa culture des populations restées en-dehors de la modernité’. Nonobstant qu’il n’en était rien de ces affirmations ni de cette légende ‘fleurie’, le fait de se considérer comme une race supérieure venue civiliser des populations ‘sauvages’ vivant à l’ère glaciaire comme des animaux. D’ailleurs, à l’instar de Jules Ferry, les colons français rappelaient le ‘droit et le devoir de civiliser les races ‘’inférieures’’.
L’école, partie prenante du projet colonial
Contrairement à ce qui était largement partageait concernant le rôle civilisateur de l’école coloniale, cette dernière, toujours selon l’auteure du livre- et de l’article- avait comme rôle principale de transmettre la langue française aux populations colonisées afin de faciliter la communication avec elles. Cette communication avait pour but essentiel l’exploitation économique des colonies en faisant travailler les autochtones pour les grandes exploitations des colons, contre des salaires de misères, sans aucune justice ni assurance.
Dans le même sillage, l’école a été mise à contribution pour diffuser aux enfants colonisés, dès leur jeune âge, l’amour de la France qui était considérée comme supérieure et salvatrice, en leur donnant l’impression de les sortir d’une civilisation sauvage et primitive, vers une vie moderne mais différente, avec comme corolaire la construction d’une identité nationale différente avec comme patrie la France, dans toute sa grandeur !
Une politique de différentiation
Alors qu’au début de la colonisation, la politique était de faire asseoir les enfants français et colonisés à la même table pour rapprocher ‘des populations appelées à œuvrer ensemble à mettre en place le projet colonial’, l’idée a vite été abandonnée pour laisser place à une différenciation entre l’enfant français qui recevait une instruction de qualité qui lui facilitait le chemin jusqu’aux études supérieures et l’enfant colonisé qui ne recevait que des rudiments de lecture et de calcul. L’instruction reçue à l’école par l’enfant colonisé ne permettait à ce dernier qu’à se diriger vers l’exploitation agricole ou l’usine du colon pour, justement, y être exploité, avec, en sus, une perte de sa personnalité d’origine par un martelage incessant de ‘nos ancêtres les Gaulois’ et de mère patrie qui est la France.
Trop instruire, contraire aux intérêts de la France coloniale
L’école coloniale avait aussi pour mission ‘inhabituelle’ de ne pas ‘trop instruire’ les enfants des populations colonisés pour éviter d’en faire des ‘élites’ qui pourraient rechercher autre chose que la nourriture et le ‘vivre tranquille’. C’est là aussi un mythe qui a été détruit par les recherches entreprises dans les archives coloniales françaises qui a mis à jour ces pratiques injustes de l’école coloniale française.
Dans un autre sens, l’administration coloniale a commencé à réclamer la formation d’auxiliaires subalternes parmi la population colonisée, beaucoup moins onéreux que le personnel ‘importé’ de la métropole. Mais il y a eu aussi l’opposition des colons pour une éducation scolaire normale, même limitée dans le temps, pour éviter de se retrouver face à une concurrence moins chère qui postule à des emplois administratifs d’un côté et, de l’autre, avoir une main-d’œuvre bon marché et illettrée pour leurs exploitations agricoles et leurs usines.
Des témoignages encore vivants
En Algérie, les enfants de colonisés avaient toutes les peines du monde pour passer d’un niveau à un autre et, arrivés en CM2 (Cours Moyen 2ème année), ils sont obligés de passer un concours pour continuer leurs études au collège mais tout est mis en branle pour les arrêter. Une voie de garage consistant en une classe de Fin d’études était mise en œuvre pour accueillir la quasi-totalité des enfants colonisés qui ne devaient en aucun cas être autorisés à continuer leurs études. Une fois l’année terminée, les élèves indigènes étaient dirigés vers une activité professionnelle, généralement agricole. Ils sont encore nombreux et bien vivants, les algériens qui ont eu à subir ce véritable apartheid au cours de leur scolarisation, surtout ceux qui ont fait les deux périodes, l’école coloniale et l’école algérienne postindépendance. Et pas seulement en Algérie !
Voilà l’école civilisatrice de la France coloniale et son mythe complètement mis à nu, de même que la légende d’une France des droits de l’Homme !
Tahar Mansour