Livre blanc sur la politique marocaine au Sahara Occidental
CHAPITRE III / 2ère Partie
LE MAROC ENTRE LE DROIT INTERNATIONAL ET LES MANOEUVRES POLITIQUES
Ainsi la marche verte marocaine décidée et exécutée par le Maroc, alors que l’accord tripartite de Madrid dont l’encre n’avait pas encore séché, avait brouillé les cartes et laissait entrevoir que le Maroc, malgré la défection de la Mauritanie, venue plus tard, montrait clairement que la position marocaine était machiavélique et allait poser un nouveau problème à la société internationale, aussi bien du point de vue de l’application du principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, que pour la gestion du Sahara Occidental. En effet, l’Espagne communique à l’ONU, dès la signature de l’accord tripartite de Madrid, sa démission comme puissance administrante et de fait en donnait la gestion à la Mauritanie et au Maroc, sans le consentement de l’ONU. Cette situation appelle deux observations:
1- Par la saisine, en 1966, du comité des 24 de l’ONU, dans le cadre de la commission de la décolonisation, l’Espagne s’est mise, avec l’accord de l’ONU dans un statut spécial qui implique deux devoirs:
a- L’administration du territoire, jusqu’à la concrétisation des aspirations du peuple Sahraoui,
b- La garde des territoires et l’obligation de la préservation de la «chose gardée», notion de droit civil, mais applicable en la circonstance comme est applicable une autre notion, celle de la gestion du «bon père de famille».
2- Le dessaisissement volontaire de l’Espagne de ses devoirs est en fait un acte volontaire qu’on ne peut lui reprocher. Mais le faire dans la forme qui en est faite, par une simple information de démission, qui ne prend effet que quand le comité spécial aura désigné un successeur, sans se soucier des suites juridiques que cela impliquait, cela veut dire que:
a- L’acte de démission de l’Espagne est en réalité, non seulement un déni de droit et un affront adressé à la société Internationale, car les devoirs de l’Espagne ne pouvaient, en aucun cas, être délégués à quelque puissance que ce soit et quelles que soient les circonstances. Il ne s’agissait pas seulement d’approbation de la décision espagnole, mais cette démission impliquait une autre décision de l’organe légal dépositaire de la tutelle sur le territoire, qui est l’organisation des Nations Unies qui doit désigner un gestionnaire en cas de défaillance du titulaire légal de gestion. Le vide administratif n’est pas admis en la matière.
b- Par la gestion du dossier par l’ONU et la reconnaissance par l’Espagne du droit du peuple Sahraoui à l’autodétermination, le territoire du Sahara Occidental échappait assurément à la souveraineté de l’Espagne. Il n’est plus sujet du droit espagnol, mais sujet du droit international. C’est pourquoi les organes de l’ONU avaient désigné l’Espagne comme administrateur du territoire, sous le contrôle de l’ONU, et c’est pourquoi il leur incombait de designer intuitu personnage, un administrateur.
c- Le comité spécial chargé du dossier du Sahara Occidental commet un acte de négligence qui le rend responsable de la suite des évènements, en l’occurrence, l’occupation du Sahara Occidental. En effet par son silence regrettable, il admet implicitement le fait accompli par le Maroc et la Mauritanie et admet illicitement que les «deux parties concernées» se sont substituées à l’Espagne comme «puissances administrantes» au Sahara Occidental et se donnaient par cet acte le statut de «partenaire». Le Maroc, ipso facto, devenait «partie». Le Comité aurait dû, pour respecter les formes, designer un Etat administrateur pour remédier à la vacance de la mission d’administration.
d- Par la carence de l’ONU et après l’évacuation de la Mauritanie (reconnaissant qu’elle n’avait aucune revendication sur le Sahara Occidental), le Maroc a réussi par se retrouver seul face à l’ONU et dépositaire de fait du droit de négocier avec cette Organisation. Malheureusement pour lui, il y avait le POLISARIO qui s’était fait reconnaitre un statut de «concerné» par le dossier du Sahara Occidental. Cette situation compliquait la tâche du Maroc et mettait en péril son projet d’annexion pure et simple. C’est là que la défaillance de l’ONU est devenue plus grave, car cette situation était contraire à toutes les résolutions onusiennes concernant la décolonisation. Il y a ainsi une reconnaissance de fait de «l’agression» et de «l’occupation illégale» d’un territoire sous protection de l’ONU.
Ainsi il parait clair que tout ce qui s’est produit au Sahara Occidental après le retrait de l’Espagne, entre 1975 et 1976, tombe sous le coup:
- Des dispositions internationales punissant l’agression caractérisée du Maroc et de la Mauritanie avec la complicité de l’Espagne, agression qui somme toute, est essentiellement dirigée contre un territoire sous la tutelle d’une institution internationale et contre cette même institution, que sa Charte la qualifie de «garante de la paix internationale».
- L’engagement total de la responsabilité de l’Etat espagnol, dont la démission est lourde de conséquences,
- La législation relative à la non-assistance à personne (et à peuple) en danger.
- L’occupation par la force d’un territoire ne peut en aucun cas profiter à l’occupant.
Cet ensemble de remarque ne peut échapper, en Droit, à la qualification de «crime de faire et de s’abstenir de faire».
Cette analyse devra bien un jour être ajoutée à la doctrine du droit international en matière de gestion des territoires en passe de devenir indépendants et qui ne sont plus sous l’autorité des états colonisateurs, dès le moment où ils reconnaissent à ces territoires le droit à l’autodétermination. Ces territoires se trouvent alors en situation transitoire. Cette ouverture devra, sans aucun doute, non seulement enrichir la recherche en droit, mais aussi cerner un peu plus le domaine des responsabilités des Etats, dans diverses situations et notamment l’abandon de territoires ou remise de territoires sous la sentence «donner ce qui ne nous appartient pas à qui n’y a pas droit». Malheureusement cette situation s’est produite plusieurs fois dans l’histoire contemporaine (en Palestine, en Algérie, en Angola, au Sahara occidental…).
B- Le détournement du droit International de ses principes fondamentaux et les tergiversations marocaines.
- L’affaire du Sahara Occidental a commencé comme une simple affaire de décolonisation, dans le cadre de la déclaration de 1960 de l’ONU, sur le droit des Peuples à disposer d’eux-mêmes. Cette déclaration est devenue la référence en matière de décolonisation, puisqu’elle a fixé la procédure par la consultation populaire des territoires concernés. Ce fut donc l’occasion pour beaucoup de pays de se libérer du joug du colonialisme. L’affaire du Sahara Occidental a été inscrite à l’ordre du jour permanent de l’Organisation des Nations Unies, comme affaire à mener à sa conclusion. Malheureusement ce fut l’occasion, depuis, d’une surenchère sans précédent par différents acteurs, qui entrèrent en lice sans qualité et se sont considérés et même se sont faits admettre, soit comme parties prenantes, soit comme intéressés sous diverses formes. Ce fut le cas et ça l’est encore, de l’ancien colonisateur, l’Espagne, qui a fui ses responsabilités, pourtant déléguées à lui par une instance internationale. C’est ainsi que le Maroc, craignant un blocage de ses prétentions, proposa le recours à la CIJ qui aura à donner un avis consultatif sur les divergences qui commençaient à prendre jour devant l’ONU. Cette dernière trouva la proposition intéressante et elle la fit sienne. La Cour Internationale de Justice a été saisie par le Secrétaire Général des Nations Unies qui lui transmit:
- La résolution 3292 (le l’assemblée générale des nations unies, en date du 13 décembre 1974.
- Le dossier de l’affaire, tel que l’a réuni le Secrétaire Général des Nations Unies.
- Les questions posées à la Cour et qui sont:
- La question 1: Le Sahara occidental (Rio de Oro et Sakia El Hamra) était-il au moment de la colonisation par l’Espagne, un territoire vide entre le royaume du Maroc et l’ensemble Mauritanien?
- La question 2: Quelles étaient les liens juridiques de ce territoire avec le Royaume du Maroc et l’ensemble Mauritanien ?
Le dossier présenté par le Secrétaire général (les Nations Unies était aussi complet que possible et contenait les pièces que les parties (Maroc, Mauritanie, Espagne) ont bien voulu remettre à l’appui de leurs affirmations. En plus, lors de la préparation des audiences de la Cour, les parties ont été inscrites à présenter leurs documents à la Cour. Après avoir passé en revue des centaines de documents et écouté les représentants des Etats, la Cour a rendu son avis consultatif le 16 octobre 1975 en ces termes:
«A la question1, elle a été d’avis à l’unanimité que le Sahara occidental (Rio de Oro et Sakiat Hamra) n’était pas un territoire sans maitre au moment de la colonisation par l’Espagne».
« A la question 2, la Cour a estimé que les éléments et renseignements portés à sa connaissance n’établissaient l’existence d’aucun lien de souveraineté territorial entre le territoire du Sahara Occidental d’une part, et le royaume du Maroc ou l’ensemble Mauritanien, d’autre part ».
Certes, l’arrêt de la Cour International de Justice, voulant peut-être faire œuvre légaliste, reconnut pour le Maroc l’existence de liens juridiques tout en affirmant, pour clarifier sa position, que ces liens juridiques ne peuvent en aucun cas être un obstacle à la mise en œuvre du dispositif d’autodétermination prévu par la résolution 1514 de 1960. Cette mention, pour être juste, aurait dû être mise dans son contexte juridique qui considère toute relation contractuelle (commerce, mariage et statut personnel par exemple) comme liens juridiques.
Donc, malgré toutes ces preuves qui détruisent de façon irréfutable toute prétention à la récupération ou à la reconstitution d’un empire (si l’on peut parler d’empire qui, en fait, était un ensemble de féodalités qui évoluaient, au gré des vents, et dont l’identité réelle n’a été constituée que par la colonisation française et espagnole) au nom de prétendus droits historiques, qu’on dit irréfutables. L’Espagne crée le précédent de donner un statut juridique au Maroc et l’ériger comme prétendant à une succession d’Etat et donc de partenaire tout désigné pour agir en lieu et place de l’ancien colonisateur, avec mission de continuer le système colonial sans y changer quoi que ce soit, si ce n’est de s’assurer un monopole de coopération économique et administrative, l’adjonction de la Mauritanie n’étant qu’une façade pour faire passer le contrat ignoble appelé « traité tripartite » depuis le départ de la Mauritanie qui reconnut qu’elle n’avait aucune prétention territoriale et finit par se retirer de la compétition.
Le deuxième acteur de cette parodie de « légalité » est le Maroc qui, au nom de prétendus droits historiques, a présenté des pièces et documents que la Cour de Justice Internationale a rejetés, car contraire à la réalité historique qui ne retient que les actes positifs. Toutes les allégations du Maroc sont tombées du fait même que tout le monde s’accorde, depuis la prétendue expansion Saadienne dans l’Afrique de l’Ouest Saharien que ce n’étaient que des razzias et des expéditions limitées dans le temps et dans l’espace, en fonction des contingents levés çà et là auprès de tribus qui n’étaient que des alliés et que le Maroc s’était évertué, sans succès, à présenter comme sujets. Ces sujets ont toujours refusé de reconnaitre au roi du Maroc une quelconque autorité sur eux et toujours décliné toute allégeance si ce n’est le respect religieux dont jouissent tous les docteurs de la religion musulmane auprès des fidèles. Hormis cela, ils n’étaient liés par aucun serment de quelque nature que ce soit, si ce n’est l’intérêt de la situation ou le butin, car c’était la règle en ces temps-là. On n’en veut pour preuve que le comportement espagnol quand l’Espagne a commencé à s’installer sur les côtes du Sahara Occidental, elle a traité avec les chefs locaux et non avec sa majesté le roi du Maroc qui s’est prévalu de traités signés avec les puissances européennes et avec les Etats-Unis d’Amérique.
A suivre …