Louisa Hanoune diagnostique la révolution pacifique du Hirak Béni : Acquis et propositions de sortie de crise
La secrétaire générale du Parti des Travailleurs (PT), Louisa Hanoune s‘est longuement attardée sur les acquis majeurs, ce qui reste à réaliser et surtout les atermoiements rencontrés par la révolution du sourire qui subjugué le monde par son aspect pacifique, pour atteindre la plénitude de ses objectif, à savoir le changement dans la gouvernance et la mise sur rails d’une Algérie qui peinait à prendre son envol.
En préambule de ce rapport-bilan soumis à discussion des travaux du bureau politique du parti le 20 février dernier, Louisa Hanoune est catégorique : « La révolution du 22 février 2019 n’a pas atteint ses objectifs, dont le principal est le départ du régime » a-t-elle indiqué avant de sérier les raisons principales qui ont conduit à cet état de fait. En effet, deux années après l’explosion populaire qui a embrasé le pays, Louisa Hanoun considère que « les questions socio-économiques sont sciemment occultées alors que la situation est en dégradation effrayante continue notamment depuis le début du confinement prétendument sanitaire ». Et pour étayer ses propos, elle ajoute : « Des voix dans le pouvoir et à l’extérieur mènent campagne à l’intérieur du pays et à l’étranger pour que le processus révolutionnaire reste sur le terrain politique exclusivement comme si le temps s’était arrêté en février 2019 alors que la situation était déjà très difficile pour les travailleurs, la jeunesse et les larges couches entraînant la multiplication des suicides, l’explosion de la Harga et des expressions de la décomposition ». Ce qui a conduit selon elle à « l’effondrement généralisé tel un tsunami qui a dévasté l’économie nationale et les conditions de vie de la majorité écrasante »a-t-elle indiqué. Sur le plan socio-économique, c’est pareil, selon elle. « Des bouleversements violents se sont produits sur le plan socio-économique produit de la poursuite et de l’approfondissement des mêmes politiques dévastatrices qui ont provoqué la ruine du pays » a-t-elle martelé. Les atteintes aux libertés n’ont pas été du reste puisqu’elle a rappelé que : « c’est établi, les gouvernements et régimes qui imposent des politiques impopulaires régressives s’attaquent aux libertés pour empêcher les mobilisations » note la première responsable du PT. Ce qui selon elle n’est pas l’apanage des pays en voie de développement. « Cela est valable aujourd’hui y compris dans ce qu’on appelle les grandes démocraties, a –t-elle expliqué, en citant la France, les Etats Unis etc. « Chez nous, a-t-elle rappelé, le pouvoir qui a pris les rênes du pays après la démission de Abdelaziz . Bouteflika a recouru à la répression pour sauver le système, imposer les élections présidentielles mais aussi la loi de finances 2020 et la loi sur les hydrocarbures régressives », fait-elle remarquer avant d’ajouter : « Et la même politique est poursuivie à travers le confinement qui a été utilisé par le gouvernement pour consacrer une politique de désertification industrielle et sociale et bâillonner les libertés ».
De la nature du régime découle la politique socio-économique
Pour le PT, les questions socio-économiques sont centrales car elles déterminent la nature des régimes en place. Et d’abonder dans le sens de la poursuite des acquis notamment avec l’arrivée de la pandémie et l’imposition du confinement. « Au PT, nous sommes convaincus que même s’il n’y avait pas eu la covid-19 et le confinement, le contenu social et économique de la 2ème révolution algérienne se serait imposé dans un processus naturel, réalisant la jonction entre les questions politiques démocratiques et les questions socioéconomiques et provoquant la décantation sociale » a-t-elle fait savoir avant de nuancer : « Oui, nous marchons ensemble pour le départ du système mais les travailleurs et retraités ont besoin du versement et de l’augmentation de leurs salaires et pensions et cela est valable pour les larges couches vulnérables poussées dans la détresse sociale ».
Halte à la pensée unique !
« Nous avons entendu des voix déclarer qu’il faut d’abord chasser le système puis poser les autres questions. Attention ! Ce discours a été servi au peuple tunisien et égyptien et à de nombreux autres qui se sont soulevés. Le résultat a été la confiscation des révolutions. D’autres voix avancent qu’il faut écarter les idéologies c’est-à-dire consacrer la pensée unique . Ce qui pour Louiza Haoune représente un piège, dans lequel il faut absolument se garder d’y tomber. « C’est un piège mortel et qui nous renvoie au système du parti unique dont les origines remontent à 1954 lorsque le FLN a imposé aux partis de se dissoudre et d’adhérer individuellement dans la révolution, la suite est connue » a-t-elle précisé sur un ton qui appelle à la prudence. Revenant aux sources de l’éclatement de la révolution pacifique du Hirak, Louisa Hanoune dira « L’exigence de la rupture avec le système était le produit de décennies de luttes, de souffrances et de privations sur l’ensemble du territoire national de plusieurs générations de militants pour la démocratie, de syndicalistes d’ouvriers, de fonctionnaires, d’étudiants et femmes, d’organisations populaires qui ont consenti d’énormes sacrifices, mené des combats sur le terrain des libertés et des droits sociaux économiques », a-t-elle indiqué avant de tenter des éclaircissements . « La révolution du 22 février 2019, comme toute révolution est le produit d’accumulations d’aspirations opprimées et de luttes, elle est l’expression de la maturation du processus révolutionnaire, des conditions objectives a-t-elle expliqué et qui prennent des formes diverses comme les grèves, les manifestations etc.. sans que personne ne puisse les prédire ».
« La Révolution du Hirak n’est pas d’essence démocratique seulement… »
« Non, la révolution de 22 février n’est pas d’essence démocratique seulement, car pour les chômeurs le départ du système c’est la garantie de l’emploi, pour les salariés et les retraités ce sont des salaires et pensions garantissant une vie digne, pour les travailleurs précaires ce sont des emplois permanents avec des salaires conformes aux diplômes, pour les fellahs ce sont les conditions et les moyens pour qu’ils travaillent la terre et contribuent dans la sécurité alimentaire et cela est valable pour les autres couches de la société », a –t-elle souligné . Et de poursuivre son argumentaire : « Pour l’écrasante majorité ce sont les droits à la santé et à l’enseignement gratuits, ce sont des services publics de qualité garantissant l’égalité entre tous les citoyens : l’eau, l’électricité, les transports, le logement, etc… ». Ce qui conduit depuis mars 2020, selon elle, à « l’effondrement économique et social, les questions du pouvoir d’achat des salariés et des emplois menacés, de l’emploi sont devenues vitales. Les couches moyennes plongées désormais dans la détresse sociale partagent les mêmes préoccupations comme les transporteurs, les travailleurs indépendants, les services, les PMI/PME., les professions libérales, bureaux d’étude et la levée partielle du confinement après 10 mois d’inactivité, n’a pas entraîné une réelle reprise de l’activité, exemple des transporteurs et des commerçants à cause de la chute du pouvoir d’achat ». Quant à la notion du départ du système , largement revendiqué par le Hirak, Louisa Hanoune lui attribue une autre approche : « Pour la majorité écrasante, le départ du système n’a de sens que s’il est mis fin dans l’immédiat à ses souffrances et aux politiques qui les provoquent, c’est ce que nous disent les travailleurs, les étudiants, les jeunes, les commerçants, les travailleurs indépendants »,précise-t-elle.. Cet état de fait a conduit également à un gel de l’activité partisane affectée par la régression socio-économique : « L’activité politique partisane également a été affectée par la régression socioéconomique, les militants peinent à verser leurs cotisations, à cela viennent s’ajouter la fermeture des salles et les restrictions en matière de libertés. Et de citer les cas de la Tunisie et de l’Egypte pour étayer ses propos : « L’exemple de la Tunisie et de l’Egypte où les révolutions ont été confisquées le démontre : vider une révolution de son contenu social et économique, alors que la majorité croule sous la misère et les privations équivaut à la faire échouer, à la défaire.
L’URSS et la Chine sont passés par là…
« La révolution politique, démocratique était valable pour l’ex URSS et les pays dits socialistes, la Chine où les droits sociaux économiques existaient, mais pas les libertés démocratiques confisquées par les régimes bureaucratiques » rappelle Louisa Hanoune dans son réquisitoire. Mais, nuance-t-elle, « Dans les pays riches ou pauvres où les régimes sont aux services d’une minorité et des intérêts des multinationales c’est-à-dire du capital international, la révolution pour chasser ces régimes a pour objectif d’asseoir une démocratie véritable avec son contenu politique, économique, social et culturelle ». Revenant aux objectifs de la « Révolution du sourire » qu’elle appelle de tous ses vœux Louisa Haoune affirme : « Parmi les objectifs de la révolution du 22 février 2019, se trouve la pleine nationalisation des hydrocarbures en particulier, la réappropriation des nationalisations en général et de tous les attributs de la souveraineté économique ».
« La satisfaction des besoin urgents pour la majorité est la matrice du Hirak »
Pour Louisa Hanoune , « la satisfaction des besoins socio-économiques urgents pour la majorité »reprsente la matrice la plus noble de revendications de la révolution du 22 février 2019. « Ce sont les grèves dans différents secteurs de la production publique et privée, dans les services, dans la fonction publique (santé, éducation, finances, ONS, formation professionnelle, etc.) c’est la satisfaction des revendications des employés de l’ONS qui s’opposent à la perte de 20% de leurs salaires suite à leur transfert du ministère des finances vers celui de la numérisation et exigent la préservation de leurs statuts particulier » qui sont à satisfaire. C’est en outre : « la prise en charge urgente des écoles qui sont dans un état de délabrement très avancé. La satisfaction des revendications des populations mobilisées pour le logement, l’eau, les hôpitaux, le transport, le gaz, l’électricité, l’environnement », souligne Louisa Hanoune.
« Combattre la Covid-19 par la prévention et l’anticipation »
Au sujet de la lutte contre la propagation du coronavirus , Louisa Hanoune préconise de « réunir toutes les conditions matérielles et humaines pour, en particulier, combattre le COVID 19, par la prévention et l’anticipation, les soins, tests, vaccins en quantité suffisante pour protéger la population et renforcer le personnel de la santé par toutes les mesures de protection et la satisfaction des revendications socioprofessionnelles, c’est assurer la disponibilité des médicaments dont environ 400 sont en rupture. Et en général assurer les soins aux personnes malades abandonnées à cause de la covid-19 ». Et pour relancer l’activité économique il faudra : « Il faudra réunir les conditions pour la levée totale des restrictions sur l’activité économique, sociale, transport, culture, sport, rétablir les conditions normales de vie pour sauver les bases économiques et sociales du pays, c.ad remplacer les moyens du moyen âge, à savoir le confinement par les moyens de prévention et de protection ».
« Le Hirak est né sur le sol algérien, il a évolué et se poursuivra en Algérie »
Pour la S.G du P.T, le Hirak béni est d’essence algérienne et ne peut se voir greffer des injonctions externes. « Nous constatons beaucoup d’agitation à l’extérieur du pays de la part de gouvernements impérialistes qui cherchent à sauver le système. Et de la part d’autres acteurs, des algériens se réclamant de la révolution, qui, de l’extérieur tentent de détourner, voire privatiser le processus révolutionnaire pour le dénaturer au service d’un projet politique réactionnaire »a-t-elle fait remarquer avant de s’interroger : « Faut-il rappeler le rejet de toute ingérence étrangère quelle que soit la nationalité de ses auteurs dès le 22 février 2019 par les millions de manifestants et l’affirmation de l’attachement à la souveraineté nationale, condition pour que s’exerce la souveraineté du peuple » a-t-elle tonné . « Des Algériennes et des Algériens ont payé le prix de leur engagement dans la révolution ont fait et font face à la répression sous toutes ses formes, la hogra, les arrestations, les procès iniques » fait-elle remarquer. Et d’attribuer la notoriété à un mouvement pacifique né chez nous « Mais comme il s’agit d’un processus politique révolutionnaire authentique et non pas un plan préfabriqué dans des laboratoires occidentaux ou arabes, alors quelles que soient les manœuvres des forces de la contre révolution, en définitive la révolution poursuivra son cours avec les rythmes et les délais qu’elle-même aura à dégager jusqu’à la victoire ».
Le PT rejette toute démarche qui va à contre-courant des revendications sociales
Les acteurs directs de la révolution sont à l’intérieur du pays. Ce sont eux qui ont la tâche de faire aboutir les objectifs de la révolution, de défaire les forces de la réaction avec le soutien des algériens libres là où ils se trouvent. Par conséquent le transfert du centre de la révolution vers l’extérieur du pays relève de l’impossible ainsi que les tentatives visant à la charger d’un contenu et d’objectifs étrangers aux aspirations de la majorité qui s’expriment sur le terrain en Algérie. Nous rejetons les dérives totalitaires, nous refusons toute démarche dont les promoteurs s’attaquent au multipartisme, aux syndicats qui sont la base de la démocratie, de l’organisation de la société et veulent les dissoudre dans une démarche fascisante.
« Le PT est un parti socialiste et fier de l’être »
Pour la responsable du PT : « Notre parti est socialiste et fier de l’être d’autant que la crise mondiale du système capitaliste établit que seul l’avènement du socialisme sauvera la civilisation humaine du chaos. Il se bat pour la démocratie véritable, la souveraineté du peuple à travers une assemblée constituante nationale et souveraine, pour la refondation politique, institutionnelle, constitutionnelle sur la base de la rupture avec le système en place. Et se bat pour la défense des acquis socio-économiques de l’indépendance, pour la préservation de la propriété collective, l’indépendance économique, la défense des nationalisations » a-t-elle souligné. Et de conclure : « l’exigence de la satisfaction des besoins sociaux économiques urgents est la condition pour préserver le caractère pacifique de la deuxième révolution algérienne pour le départ du système donc pour préserver la souveraineté nationale » conclut-t-elle avec optimisme.
Ferhat Zafane