Manifestations du 11 décembre 1960 : échec au plan de Gaulle
Le général de Gaulle a toujours voulu maintenir l’Algérie au sein de l’empire colonial français. Déjà en 1945, alors président du gouvernement provisoire, et sentant la révolte des militants nationalistes monter, il avait donné des instructions précises au commandant des forces armées françaises en Algérie pour se préparer à réprimer tout mouvement de révolte. Il aurait déclaré : « Il ne faut pas laisser l’Algérie nous filer entre les doigts. » En mars 1944, il estimait avoir récompensé les sacrifices des milliers d’Algériens qui avaient combattu pour la libération de la France en promulguant les décrets accordant la citoyenneté française à des milliers d’Algériens.
Il avait compris que l’empire colonial français devait se réformer, notamment en associant à sa direction des représentants modérés des populations autochtones, acquises au maintien de la présence coloniale française.
Un plan « malgache »
C’est lui qui avait mis au point la solution dite « malgache », appliquée à Madagascar : élimination des éléments indépendantistes les plus radicaux et négociations d’une indépendance formelle avec des éléments modérés acceptant la domination française. A son retour au pouvoir à la suite du coup d’état du 13 mai 1958, il eut, face au mouvement révolutionnaire algérien, une attitude constante : il fit engager des moyens militaires importants avec le « plan Challe » pour tenter d’obtenir une victoire militaire. En même temps, il fit des ouvertures en direction des éléments algériens modérés. Il chercha également par des mesures destinées à améliorer le sort des populations algériennes les plus pauvres à susciter une adhésion populaire à sa politique, en réalité à sa personne. En 1960, le général tenait en main son plan dont il était sûr qui lui permettrait d’éviter l’indépendance de l’Algérie et de ne pas négocier avec le FLN. Déjà, en novembre 1960, la presse française se faisait l’écho du plan de Gaulle pour l’Algérie : installation d’un gouvernement local constitué par des personnalités algériennes modérées fortement soutenues par la France qui dirigerait de fait le pays, appel à une cessation des combats et même décision d’une trêve unilatérale. Ce gouvernement local, totalement inféodé à la France, se chargerait de négocier avec le FLN et organiserait l’autodétermination. Le 2 mars 1960, étaient signés des accords entre les représentants de la nouvelle république indépendante de Madagascar qui prévoyaient la direction effective du gouvernement français sur les questions économiques et financières ainsi que sur l’armée et la diplomatie.
De Gaulle croit pouvoir déclencher un soutien des Algériens à sa personne
Le 16 novembre 1960, de Gaulle avait annoncé l’organisation d’un référendum pour faire approuver l’idée d’autodétermination et qui devait se tenir en janvier 1961. Le 9 décembre 1960, il entame une visite en Algérie pour lancer sa campagne. Les extrémistes parmi les Français d’Algérie déclenchent une grève générale à Alger et dans plusieurs villes. Ils s’en prennent aux forces de l’ordre et aux populations algériennes qui sont la cible d’attentats. Le 11 décembre 1960, la population algérienne, exaspérée, réagit. Bien des années plus tard, le général Challe apporta son témoignage : « Le gouvernement et son soutien politique, l’UNR essayeront tout au long de l’année 1960, de mettre sur pied un parti neutraliste, une troisième force destinée à prôner la politique gouvernementale d’association entre la France et l’Algérie. Malgré les efforts considérables de l’administration et de l’UNR, la troisième force échoua et n’arriva jamais à prendre quelque consistance. » Durant l’année précédente, le gouverneur général Delouvrier appelait ouvertement les Algériens à manifester aux cris de « vive de Gaulle ». Le général de Gaulle pensait ainsi s’en sortir par la création d’un Etat algérien totalement inféodé à la France. Il pensait pouvoir entraîner les Algériens à le soutenir directement.
Les Algériens manifestent pour des négociations avec le GPRA
Les manifestants d’Alger, Oran, Annaba, ont manifesté aux cris de « Algérie indépendante » et avancèrent les mots d’ordre du FLN en demandant l’ouverture de négociations directes avec le GPRA. Les manifestations des Algériens contre la violence déchaînée par les extrémistes européens entrainèrent la réaction brutale de l’armée. Le mythe de l’Algérie française telle que voulue par les extrémistes avait vécu, comme tombait le mythe d’un FLN minoritaire s’imposant aux populations algériennes par la violence. Les Algériens rejetèrent le plan de Gaulle d’une Algérie dépendant de la France et dirigée par un gouvernement local totalement inféodé.
Les éléments modérés sont déjà acquis à l’indépendance
Il faut relever que la politique du FLN, depuis le déclenchement de la guerre de libération, a été de couper la voie à l’émergence d’une tendance politique modérée, en dehors du FLN. Jean Daniel écrivait dans l’Express du 15 décembre 1960 : « Tous les éléments musulmans sans lesquels les institutions provisoires sont impossibles à mettre en place ou perdent complètement leur sens, tous ces éléments peu à peu renforcent leur solidarité avec le FLN. » En 1960, les élus musulmans modérés prenaient position publiquement pour l’indépendance. Indépendance négociée avec le GPRA. Les personnalités formées à l’école française et sur lesquelles comptait le général de Gaulle se prononçaient pour l’indépendance et se plaçaient sous l’autorité du FLN.
Une Algérie révolutionnaire s’est exprimée dans les rues
Au lendemain des manifestations du 11 décembre 1960, le général vit sa marge de manœuvre extrêmement rétrécie. Le choix d’une négociation directe avec le GPRA fut un choix forcé. Jean Daniel écrivait à juste titre : « Cette guerre de six années ne s’est pas faite seulement contre le colonialisme. Elle s’est faite pour réveiller la torpeur des masses apolitiques, pour donner à chaque Algérien une conscience nationale et un élan révolutionnaire. Depuis les journées de décembre à Alger et Oran, le GPRA n’a plus de doutes : l’Algérie révolutionnaire existe et l’adversaire ne peut plus se permettre aucune action psychologique. »
In Memoria